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Et la Roussotte ajouta:

– Parce que Catho disait: «Il est l’ami de tout ce qui pleure; il a un sourire toujours et souvent un écu pour consoler une misère. Il parle rudement aux forts et doucement aux faibles. Sa main est de fer pour nos seigneurs et maîtres qui nous pillent, nous saignent et nous pendent. Sa main est une caresse pour ceux qui vont, la nuit, sans gîte et sans espoir.» Oui, Catho nous dit cela quand elle réunit toutes les pauvres ribaudes, vieilles et jeunes. Et tout ce qui avait souffert se rua sur le Temple pour délivrer l’ami de ceux et de celles qui pleurent… Et maintenant que je vous vois, ô monsieur… comme je suis heureuse d’avoir été de celles qui marchèrent sur le Temple! Car, vrai Dieu, cela se voit à vos yeux et à votre figure que vous êtes resté l’ami de tout ce qui pleure…

Pardaillan regarda la Roussotte. Elle était comme rajeunie et transfigurée. Elle était belle, la ribaude vieillie, de toute la beauté de sa pauvre âme ignorante et simple. Elle pleurait de joie et de douleur.

La joie était pour avoir revu ce Pardaillan dont le souvenir les hantait toutes deux, depuis qu’elles avaient associé leurs humbles fortunes, et dont le soir, après le couvre-feu, elles aimaient à se raconter les faits et gestes comme elles se fussent raconté des légendes du temps de la Table ronde. La douleur était pour ce cri qu’elles avaient entendu réciter à maître Guillaumet.

Et Pardaillan, voyant ces larmes, fut remué jusqu’au fond du cœur. Un coup de soleil pénétra jusqu’à ce cœur, et, ayant vidé son verre, tout embarrassé, il se mit à rire de son bon rire, ne sachant que répondre à ces ribaudes; car Pardaillan, qui était plein d’esprit, devenait très bête quand il se trouvait en présence de ces explosions de naïve admiration. En effet, il s’ignorait lui-même.

Il saisit donc simplement une main de la Roussotte, une main de Pâquette, et les réunit sous le même baiser très doux et très respectueux, ce dont les deux ribaudes pâlirent d’orgueil, car on ne baisait la main qu’aux rois et aux princesses.

– À mon tour! dit alors le jeune homme noir. Je ne vous trahirai pas, chevalier de Pardaillan, et je tuerai de ma main quiconque vous voudrait livrer, parce qu’un jour, jour de carnage et d’horreur, vous poursuivi, vous traqué, vous qui n’aviez pas une seconde à perdre, vous avez rencontré près du cimetière des Innocents un enfant qui cherchait la tombe de sa mère; parce que vous avez consolé cet enfant, que vous l’avez pris par la main et conduit sur la tombe; parce que cet enfant vous a regardé et a juré de ne jamais vous oublier; parce que je suis cet enfant, monsieur, et que je m’appelle Jacques Clément!…

– Jacques Clément! murmura sourdement le chevalier qui tressaillit à ses souvenirs. Le fils d’Alice de Lux!…

– Oui! fit le moine en se levant, et sa voix devint âpre, rauque, ardente. Le fils d’Alice de Lux que vous avez consolé aussi, que vous avez essayé de sauver! Alice de Lux dont j’ai su la terrible histoire en confessant une suivante de Catherine de Médicis! Et puisque vous êtes Pardaillan, puisque vous avez souffert, vous aussi, par la hideuse Médicis, puisque vous connaissez le crime de l’infernale vieille reine, puisque enfin Dieu nous met en présence aujourd’hui, c’est que Dieu veut que je vous console à mon tour! Écoutez! écoutez donc, vous que Catherine a fait pleurer! J’ai condamné Catherine de Médicis au plus effroyable supplice! Car je connais le seul point vulnérable de ce cœur maudit, et c’est dans son fils, entendez-vous dans son fils bien-aimé, que je la frapperai! Et en frappant Hérode, ce n’est pas seulement ma mère et vous que je vengerai! C’est aussi les projets de Dieu que je servirai! Car c’est Dieu qui m’a envoyé le poignard vengeur!…

À ces mots, et avant que Pardaillan eût pu faire un geste, avant que Charles d’Angoulême eut pu se demander si cet inconnu était un illuminé, un fou, Jacques Clément se tourna, vers les deux hôtesses, fit un signe mystérieux de reconnaissance et dit:

– Adieu, chevalier de Pardaillan. Suivez votre destinée qui est flamboyante. Moi, je suis la mienne qui est effroyable… Allons, femmes, ouvrez-moi la porte de communication!…

Effarées, la Roussotte et Pâquette avaient vu le signe. Elles marchèrent vers le fond de la pièce et disparurent dans une salle voisine, suivies de Jacques Clément. Quelques minutes plus tard, elles rentraient. Pardaillan avait saisi la main de Charles d’Angoulême, tout bouleversé de ce qu’il venait de voir et d’entendre, et avait murmuré:

– La porte de communication!… C’est-à-dire le moyen d’arriver jusqu’à Claude et Farnèse… et peut-être jusqu’à Violetta!…

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