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– Bon, dit-il, pas mort! Ma foi, j’en eusse eu regret… Il en reviendra, et quand il en sera revenu, eh bien, je serai son homme, s’il lui convient de recommencer…

Pardaillan se redressa alors, s’avança aussi loin qu’il put, allongea la main, et atteignit le trousseau de clefs. En un instant, il eut ouvert les énormes cadenas des anneaux qui encerclaient ses chevilles.

Alors il voulut s’élancer. Et une sorte de désespoir furieux descendit dans son âme: Pardaillan ne pouvait plus marcher! Il pouvait à peine se soutenir… Il sentait la faiblesse l’envahir… Il comprenait qu’il allait tomber près de Bussi-Leclerc. Dans quelques minutes, Leclerc reviendrait à lui… et alors…

Pardaillan tomba sur ses genoux… D’un geste tout instinctif, il saisit la dague de son adversaire évanoui, et la serra, l’incrusta à son poing. Et il attendit…

Ce fut une minute longue comme une heure, une minute où il connut tout le désespoir, l’angoisse; où tout ce qu’il avait en lui de force, de pensée, d’énergie, toute son âme, fut employé à repousser l’évanouissement et à ramener une réaction… Cette réaction se produisit. Pardaillan trempa ses mains dans l’eau qui croupissait dans les flaques du sol. Et cette fraîcheur acheva de le ranimer. Alors, il se releva.

– Je veux, dit-il, les dents serrées par l’effort de la volonté… Je veux! donc, je peux!… Je veux marcher! Je veux sortir!… Je veux vivre!…

Et ce miracle naturel de l’action violente opérée par une âme sur un corps s’accomplissait!… Pardaillan épuisé par la perte du sang, Pardaillan à qui on avait oublié de descendre un morceau de pain, Pardaillan se levait, il marchait… il saisissait le falot et le trousseau de clefs… il sortait de sa tombe!… Et ayant refermé la porte à triple tour, la porte du cachot où gisait Leclerc évanoui, il eut un soupir qui exprimait un monde, et, flamboyant d’espérance, d’un pas souple, nerveux, agile, il se mit à monter…

Là-haut, dans la cour, attendaient les quatre arquebusiers. Le geôlier Comtois, penché sur le trou de l’escalier, écoutait… Pardaillan s’arrêta au premier sous-sol. Il était devant la porte du cachot de Charles – du moins, selon ce que lui avait dit Maurevert. Avec ce calme effrayant qui préside aux actes de tout homme à la suprême minute où sa vie dépend d’un faux geste, Pardaillan se mit à essayer les clefs et à tirer les verrous, ce qui ne se fit pas sans grincements. De l’autre côté de la porte, Pardaillan entendait une sorte de halètement furieux…

À ce moment, de l’étage inférieur, montèrent des clameurs étouffées, des coups sourds comme si on eût ébranlé une porte à coups de bélier: c’était Bussi-Leclerc qui, revenu de son évanouissement, et constatant qu’il se trouvait enfermé, poussait des hurlements de rage, et essayait de démolir à coups de pied l’épais panneau de chêne.

– J’aurais dû l’étrangler tout à fait, grommela Pardaillan. Bah!… pauvre diable de gouverneur!… je lui dois une revanche, après tout…

Comme il parlait ainsi, la porte sur laquelle il s’escrimait s’ouvrit. Il entra vivement et la repoussa derrière lui. Le cachot s’éclaira de la faible lueur du falot qu’il tenait à la main. Et cette lumière lui montra quelqu’un qu’il ne reconnut pas d’abord, un jeune homme en lambeaux, couvert de sang, des yeux hagards, une bouche convulsée dans un visage livide, fou de désespoir…

Cet être fit un bond terrible, et Pardaillan se sentit enlacé, étreint par deux bras furieux; un souffle rauque le frappa au visage, deux mains convulsées se crispèrent à sa gorge, et une voix à peine distincte gronda:

– J’en tiens un! Meurs, misérable!…

– Charles! Mon enfant! haleta Pardaillan… Silence! silence! ou nous sommes perdus!…

– Ô Violetta! rugit Charles avec un effroyable sanglot, pardonne-moi de ne pouvoir n’en tuer qu’un pour venger ta mort!…

Dans ces demi-ténèbres, tandis qu’en bas résonnaient sourdement les appels de Leclerc, ce fut une lutte atroce: Charles employait toutes ses forces à étouffer… à serrer… à tuer! Tuer qui!… Pardaillan!… Et Pardaillan ne voulait ni tuer, ni blesser le jeune homme! Et il comprenait que s’il ne le blessait pas, il allait mourir!… Et, en haut, sans aucun doute, les geôliers écoutaient ces bruits, et malgré la défense du gouverneur allaient se décider à descendre!…

L’instant fut effroyable. Et le redoutable événement prévu se réalisa! Le geôlier Comtois et les arquebusiers descendaient!… Pardaillan entendit leurs pas qui heurtaient les pierres dans les ténèbres… Alors, il cessa de se défendre. Il eut un rire étrange, et comme les mains de Charles, libres enfin, s’incrustaient à sa gorge, il prononça:

– Ce sera beau que Pardaillan ait été tué par le fils de Marie Touchet!

Charles entendit ce rire. Il entendit ces mots… Il ne les comprit pas! Mais ce rire… ce rire inoubliable qui déjà plus d’une fois l’avait fait frissonner… oui, ce fut ce rire qu’il reconnut!… Il bondit en arrière et, de ses yeux exorbités par un indicible étonnement, considéra celui qu’il avait voulu tuer… Et alors, il le reconnut!… Il tomba à genoux…

Il voulut jeter un cri, une clameur traduisant la détestation de sa folie, sa joie éperdue, le fabuleux étonnement qui transformait la réalité de cette scène en un rêve insensé… Prompt comme la foudre, Pardaillan se pencha et lui colla la main sur la bouche: Comtois et les arquebusiers passaient devant la porte!… Leurs pas, dans les ténèbres, tâtonnaient!

– À moi! À moi! hurlait la voix d’en bas.

– Nous voici, monseigneur! cria Comtois.

Ils passèrent!… Ils descendirent vers le deuxième sous-sol. Pardaillan, sans prendre le temps d’essuyer la sueur d’angoisse qui ruisselait sur son visage, saisit Charles par les épaules, le releva et haleta:

– Silence!… Au nom de Violetta vivante, silence!…

Violetta vivante! Dans la suprême recommandation, il trouvait moyen de glisser une suprême espérance!… Charles ébloui, tremblant, fou de stupeur, se laissa entraîner… Ils sortirent! En quelques instants, ils atteignirent le haut de l’escalier, et Pardaillan, sans hâte, referma à triple tour la porte de la tour du Nord!…

Au même moment, on entendit derrière cette porte la galopade affolée des gardes qui, terrifiés, remontaient et se heurtaient du front aux ferrures intérieures!… Pardaillan s’appuya à la porte pour souffler un instant. Charles saisit ses mains et, comme dans le cachot, se mit à genoux, couvrant les mains de Pardaillan de larmes brûlantes.

– Ô Pardaillan, sanglota le jeune duc, ô mon frère, pardon… je vous ai frappé, moi!… Vous!… J’ai voulu vous tuer!… J’étais fou, Pardaillan… le désespoir m’ôtait le sens!… Maudits soient mes yeux qui ne vous ont pas reconnu! Pardaillan, je ne suis qu’un misérable…

– Bon! bon! fit Pardaillan. Maintenant que nous sommes à moitié libres, nous avons quelques minutes devant nous pour dire des bêtises. Videz donc votre sac, monseigneur… Ouf! on respire déjà mieux ici, bien que ce ne soit pas encore l’air de la liberté…

Et Pardaillan respira à grands traits.

– Pardaillan, reprit Charles, tant que vous n’aurez pas pardonné, le fils du roi Charles IX restera à vos pieds…

Le chevalier se pencha, saisit le petit duc, l’enleva et le serra sur sa poitrine.

– Enfant, murmura-t-il, depuis la mort de mon père… et d’une autre… je ne vivais plus qu’avec une pensée de haine; je vous ai rencontré, et j’ai compris que si j’étais pour jamais mort à l’amour, une affection, du moins, pouvait encore réchauffer mon cœur. Je vous dois beaucoup plus que vous ne me devez: je n’avais plus de famille, et vous venez de me dire que j’ai un frère…

– Oui, Pardaillan, fit ardemment le jeune homme, un frère qui vous admire, un frère qui vous a placé si haut dans son cœur qu’il se demande en vain comment il pourra être digne de vous…

Ainsi, ces deux âmes solidement trempées oubliaient tout pour se témoigner leur amitié. Et, cependant, la situation était terrible. Mais Pardaillan était familiarisé avec les dangers; et nulle situation, si effrayante qu’elle fût, ne pouvait l’étonner. Quant à Charles d’Angoulême, au contact de cette âme exceptionnelle, il se sentait grandi, capable d’héroïsme; et une sorte d’orgueil l’enivrait, à comprendre qu’il se haussait aux sublimes efforts.

Il ne disait pas un mot de Violetta.

La parole de Pardaillan lui suffisait; elle était vivante!… Et maintenant, devant cette réalité inouïe, devant cette délivrance qui le ramenait violemment à la vie dans la minute même où il ne voyait que la mort, une émotion extraordinaire le bouleversait.

Ils étaient dans cette cour étroite par laquelle on accédait à la tour du Nord. Au-delà de cette cour, il y en avait d’autres. Et là, ils rencontreraient des sentinelles, des geôliers, des gardes, des postes entiers, toute une garnison. Pour toute arme, ils n’avaient à eux deux que la dague arrachée par le chevalier à Bussi-Leclerc…

Pardaillan leva la tête vers ce pan de ciel qu’on apercevait au-dessus des murs et sur lequel se découpaient en noir les crénelures de la tour. À l’éclat des étoiles, il vit qu’il avait encore quelques heures de nuit.

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