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– DOULEUR…

– Oui, continua-t-il en hochant la tête, douleur! C’est ici le royaume de la douleur… Et dire que moi, moi Maurevert, MOI! comprends-tu, Pardaillan? moi que tu poursuis depuis seize ans… depuis le coup de poignard qui piqua le sein de ta chère Loïse… À propos! sais-tu qui m’avait donné ce poignard, sachant à quoi il était destiné?… Une de tes vieilles amies! cette excellente Catherine de Médicis que tu fis enrager un peu, jadis!… Donc, moi, moi qui tremble depuis seize ans, moi qui fuis depuis seize ans… Oh! que tu m’as fait peur, Pardaillan!… Comprends-moi bien. J’ai mené une existence atroce, j’ai erré de maison en maison, de ville en ville, j’ai fui par monts et par plaines! Pendant seize ans, j’ai tremblé, Pardaillan!… Non, tu ne sauras jamais quelle affreuse chose c’était que d’avoir peur de ton ombre, le jour, la nuit, dans la forêt, au fond du Louvre, toujours, partout!… Eh bien, moi, moi Maurevert, dis-je! moi que tu hais, moi que tu as cherché seize ans, moi dont tu aurais mangé le cœur si ta griffe s’était appesantie sur moi… ah! moi, je vais sortir d’ici, libre, heureux, respirant à pleins poumons, riche, sûr de vivre en paix, honneur et prospérité pendant de longues années, heureux comme tu ne fus jamais! Et à chaque heure de ma vie, je me dirai: L’infernal Pardaillan est mort. Je l’ai vu mourir sous les tenailles du bourreau. J’ai jeté la dernière pelletée sur son cadavre de bête fauve! Et j’ai tué son ami, le petit Valois. Et ce soir, son amie, la petite Violetta, me versera du vin et de l’amour! Ah! qu’en dis-tu, Pardaillan?

Pardaillan souriait. Mais Maurevert ne remarqua pas qu’il s’était appuyé du dos au mur pour ne pas tomber.

Pardaillan souriait. Maurevert, dans l’obscurité, ne remarqua pas que les veines de son front se gonflaient, comme si l’afflux de sang allait faire éclater le crâne du prisonnier…

Pardaillan souriait… Il continuait à regarder la chauve-souris qui voletait de-ci de-là dans le cachot.

– La voilà partie! dit-il tout à coup d’une voix si paisible que Maurevert, écumant, grinçant, se laboura le visage à coups d’ongles.

– Oh! démon!… Je t’arracherai bien une plainte! Une seule! Pour que je puisse me repaître du souvenir de cette plainte jusqu’à la fin de ma vie!…

La chauve-souris était sortie du cachot. Pardaillan murmura:

– C’est curieux comme j’ai sommeil… Dormons donc en ce cas!

Il s’allongea sur le sol, posa sa tête sur son bras replié, et ferma les yeux. Si Maurevert avait pu voir l’effroyable souffrance qui déchirait cet homme, il fût devenu fou de joie. Mais ayant dirigé le jet de lumière sur lui, Maurevert vit qu’il dormait paisiblement, la poitrine soulevée par un souffle rythmique, les lèvres souriantes… Et Maurevert gronda une imprécation furieuse et hurla:

– Ton dernier sommeil! Dors ton dernier sommeil! Moi, je vais voir M. de Guise, et ensemble nous reviendrons, accompagnant le tourmenteur… Dors bien, Pardaillan!… Mais tu n’en entendras pas moins tout ce que je voulais dire!… Violetta, et d’une!… Charles d’Angoulême et de deux!… Bon, mais on m’a assuré que tu avais deux amis encore. Deux amis? Tu vas savoir ce que j’en ai fait: Claude et Farnèse sont aux mains d’une femme que tu connais: la toute-puissante Fausta. Ils sont condamnés à mourir de faim! Comprends-tu?…, Au fond du palais de la Cité, tes deux derniers amis meurent de faim!… Qu’en dis-tu?… Claude, ça fait trois! Farnèse, ça fait quatre!… Tiens, Pardaillan, parmi toute la souffrance que je te verse, je vais te donner une joie; j’ai beau chercher, je ne trouve pas qui peut être encore ton ami pour le tuer!… J’enrage, Pardaillan, de savoir qu’il y a peut-être encore sous le ciel des gens que tu aimes et que je ne connais pas… Mais enfin, quatre désespoirs pour accompagner ton désespoir! je m’en contente!… Violetta, Charles, Claude, Farnèse: cela fait quatre! Quatre qui souffrent et vont mourir d’une façon ou d’une autre, uniquement parce qu’ils étaient tes amis! Au revoir, Pardaillan, à bientôt!

Pardaillan ne bougea pas. Il continuait à dormir…

– Au revoir, te dis-je! À demain, ou peut-être à après-demain, car je te laisserai peut-être un jour ou deux à croupir dans ton désespoir avant de t’achever… Allons, dors bien… moi aussi, je vais me coucher… la blonde Violetta m’attend, la chambre est parfumée… dans le mystère de l’alcôve, la petite bohémienne attend son époux… À bientôt, Pardaillan!…

Il sortit à reculons, les yeux fixés sur le prisonnier, espérant encore surprendre un tressaillement, une plainte, une larme… Paisible et souriant, Pardaillan dormait.

Alors Maurevert mâcha une insulte, tendit le poing et, étant sortit referma la porte lui-même. Lui-même poussa les verrous. Il écouta à la porte, et il n’entendit rien… Alors, il remonta précipitamment l’escalier, suivi par le geôlier et les quatre arquebusiers, grondant de sourdes imprécations, et essuyant la sueur de rage qui inondait son front… Quelques minutes plus tard, il entrait dans l’appartement de Bussi-Leclerc.

– Oh! oh! s’écria le gouverneur, par les cornes de Satan, d’où sors-tu donc pour être ainsi livide comme un mort?…

– De l’enfer! répondit Maurevert en se laissant tomber sur une chaise.

– Je comprends, ricana Bussi-Leclerc, le damné Pardaillan t’a injurié comme il a fait pour moi, hein?… Il a dû t’en raconter… Car il a la langue bien pendue, le sacripant! Que t’a-t-il dit, voyons?

– Rien! dit Maurevert en se versant un verre d’une bouteille que le gouverneur était en train de vider.

– Rien!… Je ne comprends pas! fit Bussi-Leclerc. Enfin, peu importe. Tu as satisfait ton envie, c’est l’essentiel…

– Pour quand le bourreau est-il prévenu? demanda Maurevert en se calmant à cette pensée du bourreau.

– Quand? Après-demain soir; notre grand Henri veut voir appliquer la question. Toi aussi, hein?

– Sans doute. J’accompagnerai le duc comme je l’accompagne partout. À quelle heure sera-ce?

– Mais vers les neuf heures. Après quoi notre duc s’ira coucher; car il part le lendemain pour Chartres, avec une grande procession. Demain, il ne sera bruit que de cela dans Paris… Seras-tu du voyage à Chartres et de la belle procession?

Maurevert ne répondit pas à cette question: il balbutia quelques paroles d’adieu et se retira; puis, une fois hors la Bastille, il prit aussitôt le chemin de Montmartre. Bussi-Leclerc demeuré seul haussa les épaules et grommela:

– Le Pardaillan a dû l’étourdir d’insultes… comme il m’a étourdi, moi!… Oui, mais moi, je ne me laisse pas insulter… Pardieu, c’est bien sûr qu’il m’a pris en traître, au moulin… Je ne connaissais pas son coup… mais je le connais maintenant!…

Bussi-Leclerc se coucha. Il paraît qu’il passa une mauvaise nuit, car trois ou quatre fois, il dérangea son valet de chambre pour se faire apporter du vin. Et à chaque fois, il demandait:

– Dis-moi, as-tu jamais entendu dire que Bussi-Leclerc ait été désarmé?

– Jamais, monseigneur!…

– À la bonne heure! Sans quoi, je t’eusse coupé les oreilles.

Le valet de chambre s’enfuyait épouvanté, non sans remarquer que son maître maugréait toutes sortes de jurons et malédictions. En effet, cette nuit-là, Bussi-Leclerc fit une effrayante consommation de sang-Dieu , de mort du diable de tripes de Satan , de tête et ventre , sans compter la consommation de vin. Le lendemain, il se leva de très bonne heure et son valet, qui l’habillait, l’entendit grommeler:

– Oui, mais s’il meurt avant, il n’en sera pas moins établi que j’ai été vaincu. Je suis perdu de réputation. Autant crever au coin d’une borne que de continuer à vivre avec cette pensée qui m’assassine de rage. Et tous ces freluquets qui me regardent en souriant depuis l’affaire du moulin!… Enfin!… S’il meurt avant, je n’ai plus qu’à me jeter à l’eau!

Bussi-Leclerc passa toute cette journée dans la galerie d’armes qu’il venait de faire installer dans son appartement de la Bastille et qui était la plus belle qu’on eût vue depuis celle que Charles IX avait agencée autrefois dans son Louvre. Il fit venir successivement les prévôts et les maîtres les plus réputés de Paris. À tous, il disait:

– Je vais vous montrer le coup; je l’ai étudié; je le tiens. Vous allez voir…

Et en effet, à peine, prévôt ou maître, l’adversaire était-il en garde, que Bussi, après quelques passes rapides, lui faisait sauter l’épée des mains. Ce jour-là, la renommée de Bussi-Leclerc fut à son apogée.

Parmi les spadassins, bretteurs, ferrailleurs et traîneurs de rapière, le bruit se répandit que le célèbre maître ès armes offrait soixante doubles ducats à qui le toucherait une fois ou le désarmerait. Il en vint cinq ou six qui passaient pour tuer leur homme du premier coup. L’escrime italienne et l’escrime espagnole, tout l’art des imbroccata , et des punto riverso , l’escrime française et même des escrimes inconnues pratiquées dans les bouges à truands où l’on apprenait à assassiner, toutes ces escrimes furent représentées en cette joute mémorable.

Ce fut un merveilleux spectacle. Bussi-Leclerc, successivement, se battit contre une quinzaine de maîtres, prévôts ou spadassins réputés. Aucun ne le toucha. À tous, avant d’engager l’épée, il montra par quelle savante et simple manœuvre il allait les désarmer; et tous, bien que prévenus, furent désarmés.

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