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– La peine de mort, répondit Guise en frissonnant.

Fausta garda un instant le silence, paraissant méditer.

Sombre, agité de pensées contradictoires, secoué parfois d’un tremblement nerveux, le Balafré songeait de son côté. Il était résolu à poursuivre Violetta. Et il comprenait que la papesse… la souveraine voulait lui arracher Violetta.

Alors, quoi?… Briser violemment avec la Fausta. Mais la Fausta était la source même de sa puissance. Par des fils invisibles, elle tenait la Ligue dans ses petites mains frêles! C’était elle qui avait soulevé les provinces, elle qui avait exaspéré Paris, elle qui avait fait la journée des Barricades et chassé Henri III. Avec elle, il était roi… sans elle, il n’était rien…

Mais renoncer à Violetta!… À cette pensée, il sentait la rage gronder en lui et sa tête se perdre en combinaisons inspirées par la folie. Fausta reprit:

– La peine de mort!… Oui: la peine de mort appliquée non seulement à celui qui épouse une hérétique, mais encore à celui qui par le contact de l’hérétique devient lui-même démoniaque. Est-ce vrai?

– Ces lois, dit Guise d’une voix rauque, ces lois mortelles, implacables, féroces, vous savez bien, madame, que nous les avons faites pour maintenir le commun des ligueurs dans l’obéissance absolue. Vous savez que nous qui pensons, nous qui sommes la tête, nous ne pouvons nous soumettre à de telles servitudes!…

– Duc, est-ce bien vous qui parlez ainsi! dit sourdement Fausta. Vous le chef! Vous le roi de demain! Vous avez juré, duc! Si votre serment n’est pas valable, dites-le! Si la parole d’un Guise ne vaut pas la parole du dernier de nos ligueurs, dites-le, qu’on le sache! Et on le saura!… Parlez, duc. Un seul mot, un seul; êtes-vous parjure? ne l’êtes-vous pas?… Si vous parjurez le solennel serment qui a fait de vous le maître de Paris et bientôt de la France, brisons là… Allez de votre côté, moi du mien…

Guise trembla. En un instant, il vit Paris révolté contre lui. Il entendit les acclamations se changer en cris de haine. Il se vit fuyant comme avait fui Henri III… s’il avait le temps de fuir! Il se redressa, cherchant à dissimuler son trouble sous son masque d’orgueil.

– Par le Dieu vivant, gronda-t-il, nul ne pourra jamais dire qu’Henri de Lorraine a manqué à son devoir. Mais celle que j’aime n’est pas hérétique!…

– Celle que vous aimez! Vous parlez de la bohémienne Violetta, n’est-ce pas?

– C’est bien elle que je veux dire…

– Eh bien, écoutez!… Le soir du dimanche de Saint-Barthélémy, il y a seize ans, duc, vers onze heures, une troupe de bons catholiques envahit un hôtel qui se trouvait dans la Cité, devant Notre-Dame.

Guise tressaillit à ce souvenir.

– Cet hôtel, continua Fausta, était habité par le baron de Montaigues. Avez-vous connu cet homme, Henri de Guise? Était-ce un huguenot farouche? Était-ce bien l’un des plus redoutables ennemis de la vraie religion? Était-ce bien l’un de ces hérétiques, que vous aviez promis d’exterminer?… Oui, sans doute! Car c’est vous qui conduisiez la troupe des fidèles qui envahit sa maison… Vous rappelez-vous cela, duc?

– Je me rappelle, dit le Balafré qui frissonna au souvenir des horribles scènes évoquées par Fausta.

– Bien… Depuis la veille, duc, vous aviez parcouru Paris comme l’ange exterminateur. Et partout où vous passiez, le sang coulait, les incendies s’allumaient, les cadavres s’amoncelaient…

– Assez! murmura Guise en passant une main sur son front comme pour écarter des spectres.

– Comment! dit Fausta d’une voix où il y avait une douceur d’une terrible ironie, le grand Henri aurait-il peur de ces cadavres?… Rappelez vos esprits, duc!…

Le duc laissa retomber sur sa poitrine sa tête livide et murmura:

– Coligny! Rohan! Condé! Montaigues!…

– Montaigues! reprit Fausta. Celui-là, sans doute, vous semblait plus redoutable que les autres! Son crime était plus atroce, peut-être! son hérésie plus enracinée! Car la mort ne vous parut pas une expiation suffisante! Vous trouvâtes le châtiment qui convenait à Montaigues! Et puisque son âme était ténébreuse vous décidâtes qu’il achèverait sa vie dans les ténèbres: Montaigues, sur un signe de vous, eut les deux yeux crevés!… Est-ce vrai?

– C’est vrai! dit Guise dans un soupir qui était peut-être l’aveu d’un remords…

– Bien… Ce Montaigues, vous savez comme il est mort. Vous savez qu’il avait versé dans l’esprit de sa fille toute la pensée d’hérésie qui souillait son esprit… Vous savez à quel crime abominable il poussa Léonore, et que cette fille osa accuser un évêque d’avoir été son amant!… Vous savez que Léonore de Montaigues mit au monde une fille trois fois maudite qui naquit au pied du gibet…

– Que vais-je apprendre? haleta Guise.

– Ce que vous comprenez déjà, répondit Fausta rudement: que Violetta, c’est la fille du gibet! que celle que vous aimez, duc, c’est la petite-fille de celui que vous avez fait aveugler! Race de démons!… il n’est pas étonnant qu’elle ait reçu mission de renverser l’échafaudage que nous édifions pour restaurer l’Église! Il n’est pas étonnant qu’elle se soit attaquée au principal ouvrier de notre œuvre!…

– La fille de Léonore de Montaigues? balbutia le duc.

– Oui! Comprenez-vous, maintenant!… Je veillais sur vous, par bonheur! Je suis parvenue à conduire cette fille des races maudites jusqu’au pied du bûcher…

– Grâce pour elle!… Oh! ne la tuez pas!…

– Elle est sauvée! dit Fausta en haussant les épaules. Vous le savez bien puisque, sous vos yeux mêmes, l’infernal Pardaillan l’a arrachée aux bourreaux…

– Oui, oui! Elle est sauvée… Il ne faut pas qu’elle meure… car je mourrais aussi, moi!

– Vous me faites pitié, duc!… Oui, j’ai eu pitié de vous!… Sur la place de Grève, je vous ai vu si tremblant, si pâle, que j’ai compris la puissance du sortilège que cette fille vous a jeté… J’attendrai donc pour ordonner son supplice que nous ayons trouvé l’exorcisme suffisant et que vous soyez guéri… Remerciez-moi, duc, de ménager votre faiblesse.

– Mais pourquoi ce mariage? gronda le duc. Pourquoi Maurevert est-il devenu l’époux de Violetta? Ce qui est vrai pour moi ne l’est donc pas pour lui? Si mon amour pour la bohémienne me souille d’hérésie, Maurevert n’est-il pas souillé?… Ah! qu’il prenne garde!…

– Laissez votre poignard tranquille, dit Fausta. Il doit vous servir pour frapper les ennemis et non pas pour meurtrir le meilleur, le plus dévoué de vos serviteurs… Maurevert se dévoue! Maurevert a consenti à ce simulacre pour pouvoir éloigner de vous la bohémienne hérétique… Mais Maurevert ne sera pas l’époux de Violetta…

– Que sera-t-il donc pour elle?

– Il sera son geôlier!… Henri de Lorraine, vous aimez la petite-fille de l’homme que vous avez fait aveugler! Ne voyez-vous pas cette pensée impure qui vous paralyse, qui vous arrête au pied du trône, qui fait de vous l’homme le plus faible de toute notre Ligue?

Guise songeait. De tout ce que Fausta venait de lui dire, il ne retenait qu’un fait… mais ce fait le bouleversait et lui inspirait une sorte d’horreur.

Oui, c’était vrai! C’est lui qui avait fait subir à Montaigues l’effroyable supplice de l’aveuglement. Et c’était la descendante de cet homme qu’il aimait!… Aveuglement pour aveuglement!… Lui, Guise, avait crevé les yeux du corps. Et elle, Violetta, aveuglait son esprit pour l’empêcher de marcher à la conquête du trône…

Remords? Superstition? Ambition plus forte que l’amour? Sans doute, il y avait de tout cela dans l’esprit du Balafré. Fausta l’avait acculé au dilemme: Renoncer à Violetta ou renoncer à la couronne! Et Guise ne voulait renoncer ni à l’une ni à l’autre. Il fallait gagner du temps. Il fallait convaincre Fausta et garder son aide jusqu’au jour où…

Il serra convulsivement les poings, tandis que Fausta le couvait de son œil noir.

– Vous m’avez rappelé mes serments, dit-il enfin, je vais vous en demander un autre. Je suis prêt à tenir les miens. Je tiens la bohémienne pour hérétique. Je suis prêt à me soumettre à l’exorcisme. Je crois, j’espère, par votre toute-puissante intercession, me guérir de cet amour… de cette pensée impure!… Mais à votre tour, jurez-moi que Maurevert ne sera pas l’époux de cette fille!

S’il y eut une hésitation dans l’esprit de Fausta, Guise ne s’en aperçut pas, car elle répondit aussitôt:

– Je vous le jure, duc. Violetta ne sera l’épousée ni de Maurevert, ni d’aucun autre, jusqu’au moment où vous-même, enfin guéri, donnerez l’ordre de la supplicier…

– Ce n’est pas tout. Puisque la bohémienne va être prisonnière, je veux savoir en quel lieu elle sera retenue.

– À l’abbaye des bénédictines de Montmartre, répondit Fausta sans hésiter.

– Vous me jurez, madame, qu’elle y restera jusqu’au jour que vous venez de dire, c’est-à-dire jusqu’à ce que, guéri de mon amour, je donne moi-même l’ordre de la supplicier?

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