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Les sanglots l’empêchèrent de continuer.

– Assez, Huguette, assez! dit Pardaillan d’une voix basse et tremblante. Vous n’êtes ni une mère ni une sœur pour moi. Vous êtes celle que j’ai le plus aimée après le pauvre ange que j’ai perdu… Vous êtes celle que choisirait mon cœur si ce cœur, vous l’avez dit, Huguette, n’était mort en même temps que Loïse… Vous ne mourrez pas… et je ne mourrai pas!… Allons, séchez vos larmes qui rougissent vos beaux yeux… Corbleu, madame ma belle hôtesse, je veux plus d’une fois encore venir goûter au bon vin de vos caves et au vin plus doux encore et plus consolateur qui coule de vos lèvres… Huguette, quand je me serai tiré de cette sotte affaire… quand je sortirai de prison… préparez-moi la chambre que j’habitais là-haut… Nous vieillirons ensemble en causant, les soirs d’hiver, de M. de Pardaillan, mon père, qui vous aimait tant…

Pardaillan s’était mis à se promener, sans fièvre apparente. Mais il était livide. Pendant qu’il parlait, voici ce qu’il songeait. «Voici donc venue l’heure de payer les dettes de mon père et les miennes à la bonne hôtesse de la Devinière … Ce dévouement craintif, cet amour que les années n’ont pas émoussé et qui ose à peine se révéler, oui, Huguette, cela mérite de ma part un effort que je n’ai jamais fait. Pauvre Huguette! Pour tant de délicate tendresse, mère, sœur, amante à la fois, humble et sublime, tu ne me demandes que le droit de ne pas mourir de chagrin. Hélas! il n’est pas en mon pouvoir de t’éviter cette douleur, car les loups qui hurlent dans la rue veulent ma mort… mais je puis du moins t’éviter l’affreux spectacle de mon corps déchiré sous tes yeux… et puis… si tu ne me vois pas mourir, tu te consoleras… peut-être!»

Il regarda Huguette à la dérobée. Elle ne pleurait plus, mais ses mains jointes semblaient continuer la prière ardente qui s’exhalait de son âme: «Ne meurs pas, ô toi que j’aimai si longtemps sans oser le dire, que j’aimerai toujours sans espoir… ou si tu meurs, laisse-moi mourir près de toi!…»

«Ô mon père, songea Pardaillan, et son front s’empourpra d’une flamme d’orgueil et de sacrifice, ô mon père, vous qui m’avez appris comme il faut se battre et comme il faut mourir, vous allez voir comme on se rend!»

À ce moment, il tira son épée et la brisa sur ses genoux.

– Que faites-vous? palpita Huguette.

Il prit sa dague et la jeta au loin en éclatant de rire.

– Pardaillan!…

– Vous le voyez, ma chère, je cède à vos bons conseils; je vais me laisser arrêter. Pour quelques mois de prison, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Je veux vivre, Huguette!… Je veux vivre parce que vous venez de me prouver que la vie peut être encore belle et douce pour moi!… Attendez-moi donc, paisible et confiante… je vous garantis que je ne moisirai pas dans leur Bastille!…

– Pardaillan! Pardaillan! haleta Huguette transportée par ces paroles et par ce qu’elle croyait y deviner.

Mais Pardaillan n’écoutait plus… il démolissait l’échafaudage qu’il avait construit devant la porte, et il ouvrait cette porte à l’instant où, dans la rue, une immense clameur s’élevait:

– Guise! Guise! Vive le grand Henri! Vive! vive Henri le Saint?

C’était Guise en effet qui, au milieu d’une magnifique escorte, s’arrêtait devant le perron de la Devinière .

– Monseigneur, dit Maineville, tout est prêt. Faut-il attaquer?… La porte s’ouvrit tout à coup, et Pardaillan parut sur le perron.

– Pardaillan! murmura Huguette en tombant à genoux, pantelante de joie et de crainte.

Il se tourna vers elle, souleva son chapeau d’un grand geste, et dit en souriant:

– Au revoir, ma bonne hôtesse… à bientôt!…

Et s’étant couvert, pâle et flamboyant, il se retourna vers la rue et descendit le perron. Les gardes, les archers, les arquebusiers massés, les gentilshommes à cheval, Guise au milieu d’eux, la foule aux fenêtres, tout ce monde qui hurlait avait fait soudain le silence, et dans ce silence de stupeur, on vit Pardaillan, avec ses vêtements déchirés et sanglants, descendre le perron et s’avancer vers le duc de Guise.

À mesure qu’il avançait, on s’écartait. Seul, sans armes, il paraissait encore formidable. Il s’arrêta devant le duc, et dans ce grand silence qui pesait sur cette foule, on entendit sa voix ferme, un peu ironique et encore voilée de pitié:

– Monseigneur, je me rends!…

Pardaillan dit: «Je me rends» comme il eût dit: «Je t’arrête!…»

Guise demeura une minute comme stupide, non seulement de l’acte, mais surtout de l’accent. Pardaillan, la tête levée, le regardait en face. Le duc jeta autour de lui des regards soupçonneux. Le silence devint effrayant. Pardaillan dit alors:

– N’ayez pas peur, monseigneur, il n’y a pas d’embuscade.

Et c’était si énorme, ce mot «N’ayez pas peur» dit par un homme seul, blessé, désarmé, à un homme entouré de cinq cents gardes et d’une foule, c’était si imprévu, inouï, que Guise pâlit, comme si pour la deuxième fois, cet homme l’eût souffleté. Il fit un geste.

Aussitôt, Pardaillan fut entouré de gens d’armes, la pertuisane au poing. Et ce fut alors seulement, lorsque le chevalier désarmé, blessé, seul, fut par surcroît enveloppé d’un quadruple rang de gardes, ce fut alors que Guise parla:

– Vous vous rendez, monsieur! Que me disait-on, que vous étiez un invincible, un indomptable, une façon d’Amadis de Gaule, une manière de tranche-montagne dans le goût de Roland!… Vous vous rendez!… Par ma foi, messieurs, je vous trouve ridicules un peu, avec vos archers et vos arquebusiers: pour prendre monsieur, il suffisait d’envoyer un exempt…

Pardaillan se croisa les bras. Guise haussa les épaules.

– Allons, dit-il, j’étais venu pour voir un paladin, un fier-à-bras… Gardes, conduisez-le à la Bastille… je suis fort marri de m’être dérangé pour ne voir qu’une figure de lâche.

Pardaillan se mit à sourire. Mais ce sourire était livide. Il étendit le bras: du doigt, il désigna le visage du duc. Et d’une voix qui parut être très calme à ceux qui l’entendirent, mais qui n’eût été reconnue d’aucun de ceux qui la connaissaient, il dit:

– Je croyais me rendre au bourreau; je me suis trompé: je ne me suis rendu qu’à Henri le Souffleté. Tenez-moi bien, Henri de Lorraine, pendant que vous me tenez! Tuez-moi bien, pendant que vous pouvez m’assassiner! Et si vous croyez au Dieu à qui, voici seize ans, vous avez offert vingt mille cadavres d’innocents, si vous croyez à ce Dieu que vous allez prêchant, pour voler un trône, priez-le bien! Car j’en jure par le nom de mon père, si vous ne me tuez pas, je vous tuerai moi! Et ce mot que vous venez de me jeter, je le ramasse et je vous le renfoncerai dans la gorge avec la pointe de ma dague!… Gardes, en avant!…

Pardaillan se mit à marcher, entouré par les arquebusiers qu’il paraissait conduire, tant ils avaient semblé obéir à son commandement… et il passa non comme un prisonnier qu’on emmène, mais comme un roi qu’on escorte…

– À la Bastille! gronda le Balafré en jetant autour de lui des regards sanglants comme s’il eût cherché quelqu’un sur qui faire retomber sa haine et sa rage. À la Bastille! Et qu’on prévienne à l’instant le tourmenteur-juré!…

Huguette, à genoux dans la grande salle de la Devinière , murmurait:

– Maintenant, c’est à moi de le sauver!…

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