Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Vous ai-je blessé?…

– Non! non!…

– Entrez… entrez, ô vous qu’elle appelle son père… pardonnez… j’ai cru que vous nous poursuiviez… Si vous saviez comme je l’aime… J’étais fou… j’eusse tout tué…

Quelques instants plus tard, Charles d’Angoulême et Violetta, réunis dans les bras de Claude, mêlaient leurs sourires et leurs larmes. Le bourreau sanglotait doucement.

Ce fut pour ces trois êtres une minute de bonheur très pur. Pour Violetta, c’était l’extase infinie d’un beau rêve soudain réalisé. Pour les deux hommes, c’était cet étonnement ravi qui saisit les âmes les mieux trempées lorsque du danger on passe tout à coup à la sécurité, et du désespoir à une certitude de bonheur. Ils se connaissaient à peine. Et il leur semblait qu’ils avaient toujours vécu ensemble. Claude murmura à l’oreille de Violetta:

– C’est donc ce jeune seigneur que j’allai chercher à l’auberge de l’Espérance et que je ne trouvai pas?

– C’est lui! dit Violetta palpitante.

– Monsieur, fit alors le jeune homme tandis qu’il souriait à Violetta, votre situation est bien simple: j’aime cet ange dont vous avez le bonheur d’être le père. Il faut donc que vous sachiez qui je suis. Je m’appelle Charles, duc d’Angoulême. Ma mère s’appelle Mme Marie Touchet, et mon père s’appelait Charles IX…

– Le fils du roi! murmura Violetta ravie.

Et dans son âme naïve de pauvre petite bohémienne, il y eut comme un orgueil très doux, pareil à l’orgueil de ces petites Cendrillons qu’une fée bienfaisante donne pour épouses à quelque prince Charmant. Son rêve avait été radieux. La réalité était inouïe. Ce seigneur qu’elle avait adoré en secret, qui en ce moment la tenait par la main, et qui l’aimait, et, qui le disait, c’était un fils de roi…

Au fond de cette rue paisible, les clameurs mortelles n’arrivaient pas. Dans cette salle aux beaux meubles luisants, aux tapisseries anciennes régnait un calme infini, comme si la douce amante de Charles IX y eût laissé l’empreinte de son amour profond et tranquille. La tête appuyée sur la poitrine de Claude, la main dans la main de Charles, Violetta eût souhaité mourir ainsi, dans cette paix, dans cette douceur et dans cet amour. Charles d’Angoulême, cependant, reprenait:

– Vous savez maintenant qui je suis… je serais bien heureux, en cette minute la plus heureuse de ma vie, de savoir qui est le père de celle que j’aime…

Claude, qui contemplait Violetta, releva lentement la tête. Les larmes de bonheur qui coulaient sur ses joues se figèrent au bord de ses yeux hagards. Son sourire d’infinie félicité se crispa en un sourire d’amertume affreuse.

– Qui je suis? fit-il d’une voix étranglée. Vous voulez savoir qui je suis?…

Charles le regarda avec un étonnement angoissé. Il entrevit quelque secret horrible dans l’attitude de Claude.

– Monsieur, balbutia-t-il, je vous ai parlé trop vite, peut-être, pardonnez-moi…

– Non, non, dit le bourreau avec un soupir qui râla dans sa gorge. Il faut que vous sachiez…

En même temps, d’un geste instinctif, il retira sa main que Charles avait prise. Cette main… cette main homicide… cette main rouge de sang… cette main de bourreau! Jamais personne ne l’avait serrée!… Devant ce geste, Charles trembla. Il vit se décomposer le visage du père de Violetta.

– Si votre nom est un secret, dit-il avec la simplicité d’un cœur largement généreux, ne le prononcez pas… Je ne vous le demandais que pour pouvoir dire: Mon père, j’aime votre enfant… bénissez notre amour en attendant qu’un prêtre bénisse notre union…

Violetta pâlit affreusement. Elle avait compris, elle!… Toute la scène de la confession du bourreau revivait et palpitait en elle!… Qui donc voudrait épouser la fille du bourreau?…

– Père! oh! mon bon père Claude! balbutia-t-elle dans un murmure d’épouvante.

Et cette parole était adorable! cette parole où elle reconnaissait le bourreau pour son père en une pareille seconde!…

– Non, non! répéta Claude. Vous n’avez pas eu tort de me demander qui je suis, il faut que vous sachiez ce que je ne suis pas. Monseigneur duc, je ne suis pas le père de cette enfant!…

– Père! père! cria Violetta d’une voix déchirante, vous m’avez déjà dit cela! Eh bien, moi, quoi qu’il arrive, je déclare que vous êtes mon père, et que je n’en ai jamais eu d’autre que vous!…

– Ah! rugit le bourreau avec une sublime expression de joie et d’orgueil, bénie sois-tu, ange de douceur et d’espérance qui t’es penchée sur une existence de damné!…

En même temps et tandis que Charles demeurait stupéfait, bouleversé d’angoisse, Claude souleva Violetta dans ses bras, la serra un instant, avec un rauque sanglot, sur sa vaste poitrine, et l’emporta dans la pièce voisine où il la déposa sur un fauteuil.

– Ne bouge pas, fit-il, ne crains rien… ton vieux papa Claude arrangera tout. Tu l’épouseras, le fils du roi!… bientôt, tu seras madame la duchesse d’Angoulême…

Alors il revint dans la salle où il avait laissé Charles, en refermant la porte.

– Vous êtes étonné? dit-il.

– Je l’avoue…

Claude se mit à marcher de long en large, pensif. Charles le considérait avec une sorte d’effroi.

– Monsieur, fit Claude en s’arrêtant tout à coup devant lui, comme je vous le disais, je ne suis pas le père de Violetta. Je l’ai seulement élevée. Il importe donc assez peu que vous sachiez ce que je suis, ou ce que j’ai été. Je vous dirai simplement que mon nom est maître Claude, et que je suis bourgeois de Paris.

Il s’arrêta, haletant, étudiant avec angoisse le visage de Charles et attendant ce qu’il allait dire.

– Il y a un secret dans votre vie, dit Charles.

– Violetta vous le dira! fit Claude d’une voix indistincte.

– Je ne veux pas le savoir, protesta Charles doucement.

Claude eut un profond soupir.

– Ce qui importe, reprit-il en faisant un effort, c’est que je ne suis pas le père de celle que vous aimez. Violetta est la fille de Mgr Farnèse et de la très noble demoiselle Léonore de Montaigues.

– Cet homme que j’ai vu dans le pavillon de l’abbaye?…

– Oui, c’est lui!…

– Il disait que sa fille était morte…

– Il le croyait!

– Où et quand pourrai-je revoir le prince Farnèse?

– Je sais où le trouver.

– Eh bien, faites donc en sorte que je puisse le voir au plus tôt.

Une sorte de gêne, une sourde contrainte régnait maintenant entre les deux hommes. Ce secret que Charles ne voulait pas savoir… ce secret que Claude fût mort sur place plutôt que de le révéler en un pareil moment, semblait creuser entre eux un abîme. Et à cette contrainte, tous deux avaient hâte d’échapper.

– Le prince Farnèse, reprit Claude, est le seul qui puisse décider du sort de Violetta. Moi, je ne suis pas son père… elle ne me doit rien… et je ne suis rien pour elle… je voudrais que vous soyez bien pénétré de cette vérité primordiale…

– Je le suis, dit Charles sourdement.

– Bien! continua Claude en pâlissant. Étant donné que je ne suis rien pour Violetta, qu’elle n’est rien pour moi, que vous pouvez partir dès que vous serez unis sans même me dire vers quel point de la terre vous dirigez vos pas…

Il s’interrompit pour souffler et passer une main sur son front.

– Étant donné tout cela, acheva-t-il, le mieux, c’est que vous soyez, dès aujourd’hui, en communication avec le prince Farnèse… le père de Violetta…

– C’est mon avis, dit Charles.

L’ancien bourreau baissa la tête. Après les paroles qu’il venait de prononcer, il ne lui restait plus qu’à partir à l’instant pour se mettre à la recherche du prince Farnèse. Et il demeurait là, abîmé dans une sombre méditation.

Le jeune homme le considérait avec une angoisse croissante. Des soupçons d’autant plus poignants qu’ils étaient plus imprécis l’envahissaient. D’où venait ce froid de glace entre lui et cet homme que Violetta avait appelé «père»? N’étaient-ils pas liés par un sentiment qui, dès le premier regard, eût dû les faire amis à jamais? Qu’il fût ou non en réalité le père de Violetta, cet homme, de toute évidence, éprouvait pour la jeune fille l’amour paternel poussé à ses dernières limites.

Comment se faisait-il que ce Claude s’enfermât en une attitude équivoque? Qui était-il? Quelle tache son contact avait-il jetée sur Violetta? Quelle ombre descendait de cette sombre figure?… Au moment où il se posa ces questions, Charles vit une telle douleur sur le visage de Claude que ses soupçons s’évanouirent pour un instant, et, entraîné par une instinctive pitié, il s’écria:

111
{"b":"88694","o":1}