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– Sauvez-la donc, si vous pouvez!… Insensé! Ne comprenez-vous pas que l’amour de ce peuple pour vous va se changer en haine! que si vous lui arrachez une Fourcaude, vous n’êtes plus le fils de David, le pilier de l’Église! que vous devenez le champion de l’hérésie! qu’on ne vous portera pas au Louvre, mais à la Seine!… Allons, levez-vous! donnez l’ordre qui va sauver la damnée! Et vous allez voir comment Paris exécute ces ordres-là!…

Guise retomba sur son fauteuil!… Il ne jeta pas l’ordre sauveur!… Il trembla pour sa royauté, pour sa vie!… Blême, secoué d’un tremblement convulsif, il baissa la tête et murmura seulement:

– Oh! c’est affreux! Je ne veux pas voir!…

Et il ferma les yeux.

Fausta recula de deux pas, un terrible sourire éclaira son visage et elle murmura:

– J’ai vaincu!…

À cette seconde, des vivats, des applaudissements frénétiques éclatèrent dans la foule; une bande, impatiente sans doute de brûler la deuxième Fourcaude, venait de se ruer sur les gardes qui entraînaient Violetta… Fausta jeta un cri d’effroyable détresse…

À la tête de cette bande, elle venait de reconnaître un homme qui fonçait tête basse, entrait comme un coin dans la multitude, parvenait jusqu’à Violetta et la saisissait. Et cet homme, c’était Pardaillan!…

* * * * *

Le chevalier de Pardaillan et le fils de Charles IX s’étaient élancés de l’auberge de la Devinière , suivis de Picouic. Quant à Croasse, ce départ rapide, les armes à la main, ne lui avait rien présagé de bon, et fidèle à ses habitudes de prudence, il s’était tout simplement renfermé dans la chambre du chevalier en murmurant:

– S’il doit y avoir bataille, autant vaut-il que ce soit ici. Moi, d’abord, j’aime à être seul quand je me bats, depuis que j’ai découvert que j’étais brave.

– Cher ami, disait Charles en courant près de Pardaillan, je me sens revivre puisqu’elle vit. Mais où est-elle? Ah! pour la conquérir, je tiendrais tête à tout Paris!…

– Tant mieux, monseigneur, tant mieux! dit Pardaillan d’une voix singulière. Je ne sais si mon instinct me trompe, mais il me semble flairer une odeur de bataille, et j’ai des fourmillements dans le sang, comme toutes les fois que j’ai eu à en découdre…

– Nous allons donc nous battre?

– Je ne sais… Mais courons toujours.

– Qu’allons-nous faire sur la place de Grève?

– Vous voulez que je vous le dise? dit le chevalier en précipitant sa course.

– Je vous en prie.

– Eh bien, je crois que nous allons voir Violetta!…

Charles pâlit, étouffa un cri, et bondit d’un élan de tout son être.

– Oh! reprit-il au bout de quelques minutes, entendez-vous, Pardaillan?

– Oui! fit le chevalier en frémissant. Je reconnais ces rumeurs-là. Je les ai entendues déjà deux ou trois fois dans ma vie. Et à chaque fois que j’ai entendu Paris pousser de ces grognements, c’est que Paris allait commettre un crime…

– Un crime!… Pardaillan, vous avez appris quelque chose que vous me cachez!…

Pour toute réponse, le chevalier, grommela un juron et précipita sa marche. Que pensait-il? Que redoutait-il? Rien de précis. Il courait à la place de Grève parce que Fausta lui avait donné rendez-vous sur la place de Grève, en prononçant le nom de Violetta.

Lorsqu’ils débouchèrent, haletants et couverts de sueur, sur la place où roulait le flot tumultueux, d’où montaient des hurlements et des acclamations, Pardaillan s’adressa au premier bourgeois venu:

– Que se passe-t-il?…

– Ne le savez-vous pas? on va pendre et brûler les damnées Fourcaudes en présence de Mgr de Guise.

– Ouf! ne put retenir Pardaillan. Ce n’est pas elle qu’on va tuer!…

– Elle! haleta le jeune duc en pâlissant. Qu’aviez-vous donc pensé?…

– Vous êtes sûr, dit Pardaillan au bourgeois, qu’il s’agit des Fourcaudes?

– Parbleu!…

– Et combien sont-elles?…

– Deux: Madeleine et Jeanne.

– Pauvres filles! murmura Pardaillan en se reprochant le mouvement de joie qu’il venait de ressentir.

– Pardaillan! murmura Charles. Au nom du ciel, que soupçonnez-vous donc?…

– Rien maintenant, rien. Je soupçonnais… mais à quoi bon?… Et pourtant! se reprit-il tout à coup.

– Allons-nous-en, si vous ne soupçonnez rien, reprit Charles. Ces spectacles me font un mal affreux.

– Avançons au contraire! dit Pardaillan.

Et aussitôt, se mettant à jouer des coudes et des épaules, il s’avança vers les bûchers surmontés de leurs potences.

– Bonjour, monsieur le chevalier, dit tout à coup près de lui une voix féminine.

Pardaillan considéra attentivement la jeune femme fardée qui venait si hardiment de le saisir par le bras.

– Où diable vous ai-je vue, mignonne?

– Quoi! vous ne vous souvenez pas de l’Auberge de l’Espérance ?. La soirée où vous vîntes voir la bohémienne qui disait la bonne aventure?… Vous m’avez donné deux écus, et moi je vous ai donné… mon adresse.

– Loïson! fit le chevalier avec un sourire.

– Ah! vous vous rappelez mon nom! s’écria gaîment la ribaude.

Une rafale de hurlements interrompit Loïson… C’était Guise qui, à ce moment, débouchait sur la place avec sa royale escorte et allait, au milieu des acclamations, s’installer sur l’échafaud.

– Et que fais-tu ici? reprit Pardaillan attendri par le regard de gratitude admirative de la ribaude.

– Dame, fit Loïson, je cherche aventure.

– Avec ton ami le Rougeaud? dit le chevalier en riant.

– Avec tous et toutes, dit Loïson. Tenez, monsieur le chevalier, regardez du côté des bûchers…

– Eh bien?… Je ne vois que bourgeois agitant leurs toques comme des possédés et criant comme si on les saignait!…

– Oui, et pendant qu’ils se démènent, plus d’une bourse tombe dans la main des nôtres. Ce soir il y aura grande ripaille à la Petite Truanderie, et si monsieur le chevalier voulait… la Truanderie a gardé de vous un tel souvenir depuis la scène de l’auberge de l’Espérance … que…

Loïson n’eut pas te temps de développer l’honorable invitation qu’elle avait sur les lèvres. Une nouvelle rafale de clameurs plus exaspérées passa sur la Grève et agita violemment les masses profondes de la multitude. Cette fois, c’étaient les Fourcaudes, les condamnées qui apparaissaient, Madeleine marchait la première, entourée par les archers, qui à grand-peine la protégeaient contre la foule impatiente de tuerie.

À ce moment, Charles d’Angoulême était à quelques pas de Pardaillan. Il tournait le dos au côté de la place par où arrivaient les Fourcaudes.

Son regard flamboyant s’était fixé sur le duc de Guise dont il appelait le regard; sa main tourmentait la garde de sa rapière; des pensées de folie envahissaient son cerveau; il méditait l’acte insensé: bondir sur cette estrade, braver et provoquer le duc – le ravisseur de Violetta et l’assassin de Charles IX! – l’insulter au milieu de toute sa cour de gentilshommes, au milieu de ce peuple idolâtre qui lui formait une autre cour telle que jamais roi n’en avait eue et lui crier:

– Duc, tu as accepté mon défi sur cette même place de Grève! Dégaine donc et défends-toi à l’instant si tu ne veux pas que je te proclame à la face de Paris deux fois lâche et deux fois félon!…

Ce fut à ce moment, disons-nous, que la ribaude Loïson se haussant sur la pointe des pieds pour voir, elle aussi, les condamnées, vit venir Madeleine… La ribaude esquissa le signe de croix, car elle était bonne catholique. Mais sa main s’arrêta soudain dans le geste qu’elle commençait. À cet instant même elle venait d’apercevoir la deuxième condamnée… celle qu’on appelait Jeanne Fourcaud…

– Oh! murmura-t-elle, voilà qui est étrange!

Pardaillan, lui aussi, venait d’apercevoir la condamnée. Pardaillan n’avait jamais vu Violetta. Pardaillan ne connaissait pas Violetta. Mais il tressaillit. Mille fois, le duc d’Angoulême lui avait détaillé le portrait de Violetta, ses cheveux de soie d’or, ses yeux d’un bleu si bleu qu’ils en étaient violets, son visage d’une si belle harmonie de grâce et de fierté…

Pardaillan jeta un rapide regard du côté de Charles. Les paroles de Fausta résonnèrent à ses oreilles… ce rendez-vous sur la Grève à dix heures… Dix heures sonnaient à la grande horloge de l’hôtel des prévôts. Les acclamations et les clameurs de mort se croisaient, rugissaient dans un véritable remous… Et ce fut dans cette seconde où un doute effroyable traversait l’esprit de Pardaillan que la ribaude Loïson murmura:

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