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Quant à M. Dangeau, il était si transporté de joie, qu’il ne se donna même pas la peine de supposer que de Saint-Aignan avait un intérêt supérieur à déménager.

Une heure après cette nouvelle résolution prise par de Saint-Aignan, de Saint-Aignan était donc en possession des deux chambres. Dix minutes après que de Saint-Aignan était en possession des deux chambres, Malicorne entrait chez de Saint-Aignan escorté des tapissiers.

Pendant ce temps le roi demandait de Saint-Aignan; on courait chez de Saint-Aignan, et l’on trouvait Dangeau; Dangeau renvoyait chez de Guiche, et l’on trouvait enfin de Saint-Aignan.

Mais il y avait retard, de sorte que le roi avait déjà donné deux ou trois mouvements d’impatience lorsque de Saint-Aignan entra tout essoufflé chez son maître.

– Tu m’abandonnes donc aussi, toi? lui dit Louis XIV, de ce ton lamentable dont César avait dû, dix-huit cents ans auparavant, dire le Tu quoque.

– Sire, dit de Saint-Aignan, je n’abandonne pas le roi, tout au contraire; seulement, je m’occupe de mon déménagement.

– De quel déménagement? Je croyais ton déménagement terminé depuis trois jours.

– Oui, Sire. Mais je me trouve mal où je suis, et je passe dans le corps de logis en face.

– Quand je te disais que, toi aussi, tu m’abandonnais! s’écria le roi. Oh! mais cela passe les bornes. Ainsi je n’avais qu’une femme dont mon cœur se souciât, toute ma famille se ligue pour me l’arracher. J’avais un ami à qui je confiais mes peines et qui m’aidait à en supporter le poids, cet ami se lasse de mes plaintes et me quitte sans même me demander congé.

De Saint-Aignan se mit à rire.

Le roi devina qu’il y avait quelque mystère dans ce manque de respect.

– Qu’y a-t-il? s’écria le roi plein d’espoir.

– Il y a, Sire, que cet ami, que le roi calomnie, va essayer de rendre à son roi le bonheur qu’il a perdu.

– Tu vas me faire voir La Vallière? fit Louis XIV.

– Sire, je n’en réponds pas encore, mais…

– Mais?…

– Mais je l’espère.

– Oh! comment? comment? Dis-moi cela, de Saint-Aignan. Je veux connaître ton projet, je veux t’y aider de tout mon pouvoir.

– Sire, répondit de Saint-Aignan, je ne sais pas encore bien moi-même comment je vais m’y prendre pour arriver à ce but; mais j’ai tout lieu de croire que, dès demain…

– Demain, dis-tu?

– Oui, Sire.

– Oh! quel bonheur! Mais pourquoi déménages-tu?

– Pour vous servir mieux.

– Et en quoi, étant déménagé, me peux-tu mieux servir?

– Savez-vous où sont situées les deux chambres que l’on destinait au comte de Guiche.

– Oui.

– Alors, vous savez où je vais.

– Sans doute; mais cela ne m’avance à rien.

– Comment! vous ne comprenez pas, Sire, qu’au-dessus de ce logement sont deux chambres?

– Lesquelles?

– L’une, celle de Mlle de Montalais, et l’autre…

– L’autre, c’est celle de La Vallière, de Saint-Aignan?

– Allons donc, Sire.

– Oh! de Saint-Aignan, c’est vrai, oui, c’est vrai. De Saint-Aignan, c’est une heureuse idée, une idée d’ami, de poète; en me rapprochant d’elle, lorsque l’univers m’en sépare, tu vaux mieux pour moi que Pylade pour Oreste, que Patrocle pour Achille.

– Sire, dit de Saint-Aignan avec un sourire, je doute que, si Votre Majesté connaissait mes projets dans toute leur étendue, elle continuât à me donner des qualifications si pompeuses. Ah! Sire, j’en connais de plus triviales que certains puritains de la Cour ne manqueront pas de m’appliquer quand ils sauront ce que je compte faire pour Votre Majesté.

– De Saint-Aignan, je meurs d’impatience; de Saint-Aignan, je dessèche; de Saint-Aignan, je n’attendrai jamais jusqu’à demain… Demain! mais, demain, c’est une éternité.

– Et cependant, Sire, s’il vous plaît, vous allez sortir tout à l’heure et distraire cette impatience par une bonne promenade.

– Avec toi, soit: nous causerons de tes projets, nous parlerons d’elle.

– Non pas, Sire, je reste.

– Avec qui sortirai-je, alors?

– Avec les dames.

– Ah! ma foi, non, de Saint-Aignan.

– Sire, il le faut.

– Non, non! mille fois non! Non, je ne m’exposerai plus à ce supplice horrible d’être à deux pas d’elle, de la voir, d’effleurer sa robe en passant et de ne rien lui dire. Non, je renonce à ce supplice que tu crois un bonheur et qui n’est qu’une torture qui brûle mes yeux, qui dévore mes mains, qui broie mon cœur; la voir en présence de tous les étrangers et ne pas lui dire que je l’aime, quand tout mon être lui révèle cet amour et me trahit devant tous. Non, je me suis juré à moi-même que je ne le ferais plus, et je tiendrai mon serment.

– Cependant, Sire, écoutez bien ceci.

– Je n’écoute rien, de Saint-Aignan.

– En ce cas, je continue. Il est urgent, Sire, comprenez-vous bien, urgent, de toute urgence, que Madame et ses filles d’honneur soient absentes deux heures de votre domicile.

– Tu me confonds, de Saint-Aignan.

– Il est dur pour moi de commander à mon roi; mais dans cette circonstance, je commande, Sire: il me faut une chasse ou une promenade.

– Mais cette promenade, cette chasse, ce serait un caprice, une bizarrerie! En manifestant de pareilles impatiences, je découvre à toute ma Cour un cœur qui ne s’appartient plus à lui-même. Ne dit-on pas déjà trop que je rêve la conquête du monde, mais qu’auparavant je devrais commencer par faire la conquête de moi-même?

– Ceux qui disent cela, Sire, sont des impertinents et des factieux; mais, quels qu’ils soient, si Votre Majesté préfère les écouter, je n’ai plus rien à dire. Alors, le jour de demain se recule à des époques indéterminées.

– De Saint-Aignan, je sortirai ce soir… Ce soir, j’irai coucher à Saint-Germain aux flambeaux; j’y déjeunerai demain et serai de retour à Paris vers les trois heures. Est-ce cela?

– Tout à fait.

– Alors je partirai ce soir pour huit heures.

– Votre Majesté a deviné la minute.

– Et tu ne veux rien me dire?

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