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Ce qu’ayant fait, elle regarda du côté de Malicorne, lequel la salua et lui fit signe qu’il descendait.

La Vallière comprit que c’était pour recevoir la bobine.

Elle s’approcha de la fenêtre, et, conformément aux instructions de Malicorne, elle la laissa tomber.

Le rouleau courait encore sur les dalles quand Malicorne s’élança, l’atteignit, le ramassa, se mit à l’éplucher comme fait un singe d’une noix, et courut d’abord vers la demeure de M. de Saint-Aignan.

De Saint-Aignan avait choisi ou plutôt sollicité son logement le plus près possible du roi, pareil à ces plantes qui recherchent les rayons du soleil pour se développer plus fructueusement.

Son logement se composait de deux pièces, dans le corps de logis même occupé par Louis XIV.

M. de Saint-Aignan était fier de cette proximité, qui lui donnait l’accès facile chez Sa Majesté, et, de plus, la faveur de quelques rencontres inattendues.

Il s’occupait, au moment où nous parlons de lui, à faire tapisser magnifiquement ces deux pièces, comptant sur l’honneur de quelques visites du roi, car Sa Majesté, depuis la passion qu’elle avait pour La Vallière, avait choisi de Saint-Aignan pour confident, et ne pouvait se passer de lui ni la nuit ni le jour.

Malicorne se fit introduire chez le comte et ne rencontra point de difficultés, parce qu’il était bien vu du roi et que le crédit de l’un est toujours une amorce pour l’autre.

De Saint-Aignan demanda au visiteur s’il était riche de quelque nouvelle.

– D’une grande, répondit celui-ci.

– Ah! ah! fit de Saint-Aignan, curieux comme un favori; laquelle?

– Mlle de La Vallière a déménagé.

– Comment cela? dit de Saint-Aignan en ouvrant de grands yeux.

– Oui.

– Elle logeait chez Madame.

– Précisément. Mais Madame s’est ennuyée du voisinage et l’a installée dans une chambre qui se trouve précisément au-dessus de votre futur appartement.

– Comment, là-haut? s’écria de Saint-Aignan avec surprise et en désignant du doigt l’étage supérieur.

– Non, dit Malicorne, là-bas.

Et il lui montra le corps de bâtiment situé en face.

– Pourquoi dites-vous alors que sa chambre est au-dessus de mon appartement?

– Parce que je suis certain que votre appartement doit tout naturellement être sous la chambre de La Vallière.

De Saint-Aignan, à ces mots, envoya à l’adresse du pauvre Malicorne un de ces regards comme La Vallière lui en avait déjà envoyé un, un quart d’heure auparavant. C’est-à-dire qu’il le crut fou.

– Monsieur, lui dit Malicorne, je demande à répondre à votre pensée.

– Comment! à ma pensée?…

– Sans doute; vous n’avez pas compris, ce me semble parfaitement ce que je voulais dire.

– Je l’avoue.

– Eh bien! vous n’ignorez pas qu’au-dessous des filles d’honneur de Madame sont logés les gentilshommes du roi et de Monsieur.

– Oui, puisque Manicamp, de Wardes et autres y logent.

– Précisément. Eh bien! monsieur, admirez la singularité de la rencontre: les deux chambres destinées à M. de Guiche sont juste les deux chambres situées au-dessous de celles qu’occupent Mlle de Montalais et Mlle de La Vallière.

– Eh bien! après?

– Eh bien! après… ces deux chambres sont libres, puisque M. de Guiche, blessé, est malade à Fontainebleau.

– Je vous jure, mon cher monsieur, que je ne devine pas.

– Ah! si j’avais le bonheur de m’appeler de Saint-Aignan, je devinerais tout de suite, moi.

– Et que feriez-vous?

– Je troquerais immédiatement les chambres que j’occupe ici contre celles que M. de Guiche n’occupe point là-bas.

– Y pensez-vous? fit de Saint-Aignan avec dédain; abandonner le premier poste d’honneur, le voisinage du roi, un privilège accordé seulement aux princes de sang, aux ducs et pairs?… Mais, mon cher monsieur de Malicorne, permettez-moi de vous dire que vous êtes fou.

– Monsieur, répondit gravement le jeune homme, vous commettez deux erreurs… Je m’appelle Malicorne tout court, et je ne suis pas fou.

Puis, tirant un papier de sa poche:

– Écoutez ceci, dit-il; après quoi, je vous montrerai cela.

– J’écoute, dit de Saint-Aignan.

– Vous savez que Madame veille sur La Vallière comme Argus veillait sur la nymphe Io.

– Je le sais.

– Vous savez que le roi a voulu, mais en vain, parler à la prisonnière, et que ni vous ni moi n’avons réussi à lui procurer cette fortune.

– Vous en savez surtout quelque chose, vous, mon pauvre Malicorne.

– Eh bien! que supposez-vous qu’il arriverait à celui dont l’imagination rapprocherait les deux amants?

– Oh! le roi ne bornerait pas à peu de chose sa reconnaissance.

– Monsieur de Saint-Aignan!…

– Après?

– Ne seriez-vous pas curieux de tâter un peu de la reconnaissance royale?

– Certes, répondit de Saint-Aignan, une faveur de mon maître, quand j’aurais fait mon devoir, ne saurait que m’être précieuse.

– Alors, regardez ce papier, monsieur le comte.

– Qu’est-ce que ce papier? un plan?

– Celui des deux chambres de M. de Guiche, qui, selon toute probabilité, vont devenir vos deux chambres.

– Oh! non, quoi qu’il arrive.

– Pourquoi cela?

– Parce que mes deux chambres, à moi, sont convoitées par trop de gentilshommes à qui je ne les abandonnerais certes pas: par M. de Roquelaure, par M. de La Ferté, par M. Dangeau.

– Alors, je vous quitte, monsieur le comte, et je vais offrir à l’un de ces messieurs le plan que je vous présentais et les avantages y annexés.

– Mais que ne les gardez-vous pour vous? demanda de Saint-Aignan avec défiance.

– Parce que le roi ne me fera jamais l’honneur de venir ostensiblement chez moi, tandis qu’il ira à merveille chez l’un de ces messieurs.

– Quoi! le roi ira chez l’un de ces messieurs?

– Pardieu! s’il ira? dix fois pour une. Comment! vous me demandez si le roi ira dans un appartement qui le rapprochera de Mlle de La Vallière!

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