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– Dans le buis?

– Justement.

– Montrez-la-moi.

Malicorne revint sur ses pas et conduisit le roi à l’échelle.

– La voilà, Sire, dit-il.

– Tirez-la donc un peu.

Malicorne mit l’échelle dans l’allée.

Le roi marcha longitudinalement dans le sens de l’échelle.

– Hum! fit-il… Vous dites qu’elle a dix-neuf pieds?

– Oui, Sire.

– Dix-neuf pieds, c’est beaucoup: je ne la crois pas si longue, moi.

– On voit mal comme cela, Sire. Si l’échelle était debout contre un arbre ou contre un mur, par exemple, on verrait mieux, attendu que la comparaison aiderait beaucoup.

– Oh! n’importe, monsieur Malicorne, j’ai peine à croire que l’échelle ait dix-neuf pieds.

– Je sais combien Votre Majesté a le coup d’œil sûr, et cependant je gagerais.

Le roi secoua la tête.

– Il y a un moyen infaillible de vérification, dit Malicorne.

– Lequel?

– Chacun sait, Sire, que le rez-de-chaussée du palais a dix-huit pieds.

– C’est vrai, on peut le savoir.

– Eh bien! en appliquant l’échelle le long du mur, on jugerait.

– C’est vrai.

Malicorne enleva l’échelle comme une plume et la dressa contre la muraille.

Il choisit, ou plutôt le hasard choisit la fenêtre même du cabinet de La Vallière pour faire son expérience.

L’échelle arriva juste à l’arête de la corniche, c’est-à-dire presque à l’appui de la fenêtre, de sorte qu’un homme placé sur l’avant-dernier échelon, un homme de taille moyenne, comme était le roi, par exemple, pouvait facilement communiquer avec les habitants ou plutôt les habitantes de la chambre.

À peine l’échelle fut-elle posée, que le roi, laissant là l’espèce de comédie qu’il jouait, commença à gravir les échelons, tandis que Malicorne tenait l’échelle. Mais à peine était-il à moitié de sa route aérienne, qu’une patrouille de Suisses parut dans le jardin et s’avança droit à l’échelle.

Le roi descendit précipitamment et se cacha dans un massif.

Malicorne comprit qu’il fallait se sacrifier. S’il se cachait de son côté, on chercherait jusqu’à ce que l’on trouvât ou lui ou le roi, et peut-être tous deux.

Mieux valait qu’il fût trouvé tout seul.

En conséquence, Malicorne se cacha si maladroitement qu’il fut arrêté tout seul. Une fois arrêté, Malicorne fut conduit au poste; une fois au poste, il se nomma; une fois nommé, il fut reconnu.

Pendant ce temps, de massif en massif, le roi regagnait la petite porte de son appartement, fort humilié et surtout fort désappointé.

D’autant plus que le bruit de l’arrestation avait attiré La Vallière et la Montalais à leur fenêtre, et que Madame elle-même avait paru à la sienne entre deux bougies, demandant de quoi il s’agissait.

Pendant ce temps, Malicorne se réclamait de d’Artagnan. D’Artagnan accourut à l’appel de Malicorne.

Mais en vain essaya-t-il de lui faire comprendre ses raisons, mais en vain d’Artagnan les comprit-il, mais en vain encore ces deux esprits si fins et si inventifs donnèrent-ils un tour à l’aventure; il n’y eut pour Malicorne d’autre ressource que de passer pour avoir voulu entrer chez Mlle de Montalais, comme M. de Saint-Aignan avait passé pour avoir voulu forcer la porte de Mlle de Tonnay-Charente.

Madame était inflexible, pour cette double raison que, si en effet M. Malicorne avait voulu entrer nuitamment chez elle par la fenêtre et à l’aide d’une échelle pour voir Montalais, c’était de la part de Malicorne un essai punissable et qu’il fallait punir.

Et, par cette autre raison que, si Malicorne, au lieu d’agir en son propre nom, avait agi comme intermédiaire entre La Vallière et une personne qu’elle ne voulait pas nommer, son crime était bien plus grand encore, puisque la passion, qui excuse tout, n’était point là pour l’excuser.

Madame jeta donc les hauts cris et fit chasser Malicorne de la maison de Monsieur, sans réfléchir, la pauvre aveugle, que Malicorne et Montalais la tenaient dans leurs serres par la visite à M. de Guiche et par bien d’autres endroits tout aussi délicats.

Montalais, furieuse, voulut se venger tout de suite, Malicorne lui démontra que l’appui du roi valait toutes les disgrâces du monde et qu’il était beau de souffrir pour le roi.

Malicorne avait raison. Aussi, quoiqu’elle fût femme, et plutôt dix fois qu’une, ramena-t-il Montalais à son avis.

Puis, de son côté, hâtons-nous de le dire, le roi aida aux consolations.

D’abord, il fit compter à Malicorne cinquante mille livres en dédommagement de sa charge perdue.

Ensuite, il le plaça dans sa propre maison, heureux de se venger ainsi sur Madame de tout ce qu’elle avait fait endurer à lui et à La Vallière.

Mais, n’ayant plus Malicorne pour lui voler ses mouchoirs et lui mesurer ses échelles, le pauvre amant était dénué.

Plus d’espoir de se rapprocher jamais de La Vallière, tant qu’elle resterait au Palais-Royal.

Toutes les dignités et toutes les sommes du monde ne pouvaient remédier à cela.

Heureusement, Malicorne veillait.

Il fit si bien qu’il rencontra Montalais. Il est vrai que, de son côté, Montalais faisait de son mieux pour rencontrer Malicorne.

– Que faites-vous la nuit, chez Madame? demanda-t-il à la jeune fille.

– Mais, la nuit, je dors, répliqua-t-elle.

– Comment, vous dormez?

– Sans doute.

– Mais cela est fort mal de dormir; il ne convient pas qu’avec une douleur comme celle que vous éprouvez une fille dorme.

– Et quelle douleur est-ce donc que j’éprouve?

– N’êtes-vous pas au désespoir de mon absence?

– Mais non, puisque vous avez reçu cinquante mille livres et une charge chez le roi.

– N’importe, vous êtes très affligée de ne plus me voir comme vous me voyiez auparavant; vous êtes au désespoir surtout de ce que j’ai perdu la confiance de Madame; est-ce vrai, cela? Voyons.

– Oh! c’est très vrai.

– Eh bien! cette affliction vous empêche de dormir, la nuit, et alors vous sanglotez, vous soupirez, vous vous mouchez bruyamment, et cela dix fois par minute.

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