De sorte que La Vallière glissa son mouchoir à elle sur le fauteuil.
Le roi le prit sans rien faire paraître, il y mit le billet et replaça le mouchoir sur le fauteuil.
Restait à La Vallière le temps juste d’allonger la main pour prendre le mouchoir avec son précieux dépôt.
Mais Madame avait tout vu.
Elle dit à Châtillon:
– Châtillon, ramassez donc le mouchoir du roi, s’il vous plaît, sur le tapis.
Et la jeune fille ayant obéi précipitamment, le roi s’étant dérangé, La Vallière s’étant troublée, on vit l’autre mouchoir sur le fauteuil.
– Ah! pardon! Votre Majesté a deux mouchoirs, dit-elle.
Et force fut au roi de renfermer dans sa poche le mouchoir de La Vallière avec le sien. Il y gagnait ce souvenir de l’amante, mais l’amante y perdait un quatrain qui avait coûté dix heures au roi, qui valait peut-être à lui seul un long poème.
D’où la colère du roi et le désespoir de La Vallière.
Ce serait chose impossible à décrire.
Mais alors il se passa un événement incroyable.
Quand le roi partit pour retourner chez lui, Malicorne, prévenu on ne sait comment, se trouvait dans l’antichambre.
Les antichambres du Palais-Royal sont obscures naturellement, et, le soir, on y mettait peu de cérémonie chez Madame; elles étaient mal éclairées.
Le roi aimait ce petit jour. Règle générale, l’amour, dont l’esprit et le cœur flamboient constamment, n’aime pas la lumière autre part que dans l’esprit et dans le cœur.
Donc, l’antichambre était obscure; un seul page portait le flambeau devant Sa Majesté.
Le roi marchait d’un pas lent et dévorait sa colère.
Malicorne passa très près du roi, le heurta presque, et lui demanda pardon avec une humilité parfaite; mais le roi, de fort mauvaise humeur, traita fort mal Malicorne, qui s’esquiva sans bruit.
Louis se coucha, ayant eu, ce soir-là, quelque petite querelle avec la reine, et le lendemain, au moment où il passait dans son cabinet, le désir lui vint de baiser le mouchoir de La Vallière.
Il appela son valet de chambre.
– Apportez-moi, dit-il, l’habit que je portais hier; mais ayez bien soin de ne toucher à rien de ce qu’il pourrait contenir.
L’ordre fut exécuté, le roi fouilla lui-même dans la poche de son habit.
Il n’y trouva qu’un seul mouchoir, le sien; celui de La Vallière avait disparu.
Comme il se perdait en conjectures et en soupçons, une lettre de La Vallière lui fut apportée. Elle était conçue en ces termes.
«Qu’il est aimable à vous, mon cher seigneur, de m’avoir envoyé ces beaux vers! que votre amour est ingénieux et persévérant! Comment ne seriez vous pas aimé?»
– Qu’est-ce que cela signifie, pensa le roi, il y a méprise. Cherchez bien, dit-il au valet de chambre, un mouchoir qui devait être dans ma poche, et si vous ne le trouvez pas, et si vous y avez touché…
Il se ravisa. Faire une affaire d’État de la perte de ce mouchoir, c’était ouvrir toute une chronique, il ajouta:
– J’avais dans ce mouchoir une note importante qui s’était glissée dans les plis.
– Mais, Sire, dit le valet de chambre, Votre Majesté n’avait qu’un mouchoir, et le voici.
– C’est vrai, répliqua le roi en grinçant des dents, c’est vrai. Ô pauvreté, que je t’envie! Heureux celui qui prend lui-même et ôte de sa poche les mouchoirs et les billets.
Il relut la lettre de La Vallière en cherchant par quel hasard le quatrain pouvait être arrivé à son adresse. Il y avait un post-scriptum à cette lettre:
«Je vous renvoie par votre messager cette réponse si peu digne de l’envoi.»
– À la bonne heure! Je vais savoir quelque chose, dit-il avec joie. Qui est là, dit-il, et qui m’apporte ce billet?
– M. Malicorne, répliqua timidement le valet de chambre.
– Qu’il entre.
Malicorne entra.
– Vous venez de chez Mlle de La Vallière? dit le roi avec un soupir.
– Oui, Sire.
– Et vous avez porté à Mlle de La Vallière quelque chose de ma part?
– Moi, Sire?
– Oui, vous.
– Non pas, Sire, non pas.
– Mlle de La Vallière le dit formellement.
– Oh! Sire, Mlle de La Vallière se trompe.
Le roi fronça le sourcil.
– Quel est ce jeu? dit-il. Expliquez-vous; pourquoi Mlle de La Vallière vous appelle-t-elle mon messager?… Qu’avez-vous porté à cette dame? Parlez vite monsieur.
– Sire, j’ai porté à Mlle de La Vallière un mouchoir, et voilà tout.
– Un mouchoir… Quel mouchoir?
– Sire, au moment où j’eus la douleur, hier, de me heurter contre la personne de Votre Majesté, malheur que je déplorerai toute ma vie, surtout après le mécontentement que vous me témoignâtes; à ce moment, Sire, je demeurai immobile de désespoir, Votre Majesté était trop loin pour entendre mes excuses, et je vis par terre quelque chose de blanc.
– Ah! fit le roi.
– Je me baissai, c’était un mouchoir. J’eus un instant l’idée qu’en heurtant Votre Majesté, j’avais aidé à ce que ce mouchoir sortît de sa poche; mais, en le palpant respectueusement, je sentis un chiffre que je regardai, c’était le chiffre de Mlle de La Vallière; je présumai qu’en arrivant cette demoiselle avait laissé tomber son mouchoir, je me hâtai de le lui rendre à la sortie, et voilà tout ce que j’ai remis à Mlle de La Vallière; je supplie Votre Majesté de le croire.
Malicorne était si naïf, si désolé, si humble, que le roi prit un excessif plaisir à l’entendre.
Il lui sut gré de ce hasard comme du plus grand service rendu.
– Voilà déjà deux heureuses rencontres que j’ai avec vous, monsieur, dit il: vous pouvez compter sur mon amitié.
Le fait est que, purement et simplement, Malicorne avait volé le mouchoir dans la poche du roi aussi galamment que l’eût pu faire un des tire-laine de la bonne ville de Paris.
Madame ignora toujours cette histoire. Mais Montalais la fit soupçonner à La Vallière, et la Vallière la conta plus tard au roi, qui en rit excessivement et proclama Malicorne un grand politique.
Louis XIV avait raison, et l’on sait qu’il se connaissait en hommes.