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Sa toilette, qui était celle de la veille, était recherchée, même dans sa négligence, car c’était la même avec laquelle elle s’était rendue chez la reine mère; en outre, sous sa mante relevée pour qu’elle pût voir à se conduire, sa pâleur et ses beaux yeux parlaient un langage inconnu à ces hommes du peuple, et, sans le savoir, la pauvre fugitive sollicitait la brutalité des uns, la pitié des autres.

La Vallière marcha ainsi d’une seule course, haletante, précipitée, jusqu’à la hauteur de la place de Grève.

De temps en temps, elle s’arrêtait, appuyait sa main sur son cœur, s’adossait à une maison, reprenait haleine et continuait sa course plus rapidement qu’auparavant.

Arrivée à la place de Grève, La Vallière se trouva en face d’un groupe de trois hommes débraillés, chancelants, avinés, qui sortaient d’un bateau amarré sur le port.

Ce bateau était chargé de vins, et l’on voyait qu’ils avaient fait honneur à la marchandise.

Ils chantaient leurs exploits bachiques sur trois tons différents, quand, en arrivant à l’extrémité de la rampe donnant sur le quai, ils se trouvèrent faire tout à coup obstacle à la marche de la jeune fille.

La Vallière s’arrêta.

Eux, de leur côté, à l’aspect de cette femme aux vêtements de Cour, firent une halte, et, d’un commun accord, se prirent par les mains et entourèrent La Vallière en lui chantant:

Vous qui vous ennuyez seulette,

Venez, venez rire avec nous.

La Vallière comprit alors que ces hommes s’adressaient à elle et voulaient l’empêcher de passer; elle tenta plusieurs efforts pour fuir, mais ils furent inutiles.

Ses jambes faillirent, elle comprit qu’elle allait tomber, et poussa un cri de terreur.

Mais, au même instant, le cercle qui l’entourait s’ouvrit sous l’effort d’une puissante pression.

L’un des insulteurs fut culbuté à gauche, l’autre alla rouler à droite jusqu’au bord de l’eau, le troisième vacilla sur ses jambes.

Un officier de mousquetaires se trouva en face de la jeune fille le sourcil froncé, la menace à la bouche, la main levée pour continuer la menace.

Les ivrognes s’esquivèrent à la vue de l’uniforme, et surtout devant la preuve de force que venait de donner celui qui le portait.

– Mordioux! s’écria l’officier, mais c’est Mlle de La Vallière!

La Vallière, étourdie de ce qui venait de se passer, stupéfaite d’entendre prononcer son nom, La Vallière leva les yeux et reconnut d’Artagnan.

– Oui, monsieur, dit-elle, c’est moi, c’est bien moi.

Et, en même temps, elle se soutenait à son bras.

– Vous me protégerez, n’est-ce pas, monsieur d’Artagnan? ajouta-t-elle et une voix suppliante.

– Certainement que je vous protégerai; mais où allez-vous, mon Dieu, à cette heure?

– Je vais à Chaillot.

– Vous allez à Chaillot par la Rapée? Mais, en vérité, mademoiselle, vous lui tournez le dos.

– Alors, monsieur, soyez assez bon pour me remettre dans mon chemin et pour me conduire pendant quelques pas.

– Oh! volontiers.

– Mais comment se fait-il donc que je vous trouve là? Par quelle faveur du Ciel étiez-vous à portée de venir à mon secours? Il me semble, en vérité, que je rêve; il me semble que je deviens folle.

– Je me trouvais là, mademoiselle, parce que j’ai une maison place de Grève, à l’Image-de-Notre-Dame; que j’ai été toucher les loyers hier, et que j’y ai passé la nuit. Aussi désirai-je être de bonne heure au palais pour y inspecter mes postes.

– Merci! dit La Vallière.

«Voilà ce que je faisais, oui, se dit d’Artagnan, mais elle, que faisait-elle, et pourquoi va-t-elle à Chaillot à une pareille heure?»

Et il lui offrit son bras.

La Vallière le prit et se mit à marcher avec précipitation.

Cependant cette précipitation cachait une grande faiblesse. D’Artagnan le sentit, il proposa à La Vallière de se reposer; elle refusa.

– C’est que vous ignorez sans doute où est Chaillot? demanda d’Artagnan.

– Oui, je l’ignore.

– C’est très loin.

– Peu importe!

– Il y a une lieue au moins.

– Je ferai cette lieue.

D’Artagnan ne répliqua point; il connaissait, au simple accent, les résolutions réelles.

Il porta plutôt qu’il n’accompagna La Vallière.

Enfin ils aperçurent les hauteurs.

– Dans quelle maison vous rendez-vous, mademoiselle? demanda d’Artagnan.

– Aux Carmélites, monsieur.

– Aux Carmélites! répéta d’Artagnan étonné.

– Oui; et, puisque Dieu vous a envoyé vers moi pour me soutenir dans ma route, recevez et mes remerciements et mes adieux.

– Aux Carmélites! vos adieux! Mais vous entrez donc en religion? s’écria d’Artagnan.

– Oui, monsieur.

– Vous!!!

Il y avait dans ce vous, que nous avons accompagné de trois points d’exclamation pour le rendre aussi expressif que possible, il y avait dans ce vous tout un poème; il rappelait à La Vallière et ses souvenirs anciens de Blois et ses nouveaux souvenirs de Fontainebleau; il lui disait: «Vous qui pourriez être heureuse avec Raoul, vous qui pourriez être puissante avec Louis, vous allez entrer en religion, vous!»

– Oui, monsieur, dit-elle, moi. Je me rends la servante du Seigneur; je renonce à tout ce monde.

– Mais ne vous trompez-vous pas à votre vocation? ne vous trompez-vous pas à la volonté de Dieu?

– Non, puisque c’est Dieu qui a permis que je vous rencontrasse. Sans vous, je succombais certainement à la fatigue, et, puisque Dieu vous envoyait sur ma route, c’est qu’il voulait que je pusse en atteindre le but.

– Oh! fit d’Artagnan avec doute, cela me semble un peu bien subtil.

– Quoi qu’il en soit, reprit la jeune fille, vous voilà instruit de ma démarche et de ma résolution. Maintenant, j’ai une dernière grâce à vous demander, tout en vous adressant les remerciements.

– Dites, mademoiselle.

– Le roi ignore ma fuite du Palais-Royal.

D’Artagnan fit un mouvement.

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