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– Savez-vous que c’est un sort bien heureux pour vous, mademoiselle, et que, sans fortune, sans position… sans grands avantages personnels, vous devriez bénir le Ciel qui vous fait un avenir comme celui-là.

La Vallière ne répliqua rien.

– Où est-il ce vicomte de Bragelonne? poursuivit la reine.

– En Angleterre, dit Madame, où le bruit des succès de Mademoiselle ne manquera pas de lui parvenir.

– Ô ciel! murmura La Vallière éperdue.

– Eh bien! mademoiselle, dit Anne d’Autriche, on fera revenir ce garçon-là, et on vous expédiera quelque part avec lui. Si vous êtes d’un avis différent, les filles ont des visées bizarres, fiez-vous à moi, je vous remettrai dans le bon chemin: je l’ai fait pour des filles qui ne vous valaient pas.

La Vallière n’entendait plus. L’impitoyable reine ajouta:

– Je vous enverrai seule quelque part où vous réfléchirez mûrement. La réflexion calme les ardeurs du sang; elle dévore toutes les illusions de la jeunesse. Je suppose que vous m’avez comprise?

– Madame! Madame!

– Pas un mot.

– Madame, je suis innocente de tout ce que Votre Majesté peut supposer. Madame, voyez mon désespoir. J’aime, je respecte tant Votre Majesté!

– Il vaudrait mieux que vous ne me respectassiez pas, dit la reine avec une froide ironie. Il vaudrait mieux que vous ne fussiez pas innocente. Vous figurez-vous, par hasard, que je me contenterais de m’en aller, si vous aviez commis la faute?

– Oh! mais, madame, vous me tuez?

– Pas de comédie, s’il vous plaît, ou je me charge du dénouement. Allez, rentrez chez vous, et que ma leçon vous profite.

– Madame, dit La Vallière à la duchesse d’Orléans, dont elle saisit les mains, priez pour moi, vous qui êtes si bonne!

– Moi! répliqua celle-ci avec une joie insultante, moi bonne?… Ah! mademoiselle, vous n’en pensez pas un mot!

Et, brusquement, elle repoussa la main de la jeune fille.

Celle-ci, au lieu de fléchir, comme les deux princesses pouvaient l’attendre de sa pâleur et de ses larmes, reprit tout à coup son calme et sa dignité; elle fit une révérence profonde et sortit.

– Eh bien! dit Anne d’Autriche à Madame, croyez-vous qu’elle recommencera?

– Je me défie des caractères doux et patients, répliqua Madame. Rien n’est plus courageux qu’un cœur patient, rien n’est plus sûr de soi qu’un esprit doux.

– Je vous réponds qu’elle pensera plus d’une fois avant de regarder le dieu Mars.

– À moins qu’elle ne se serve de son bouclier, riposta Madame.

Un fier regard de la reine mère répondit à cette objection, qui ne manquait pas de finesse, et les deux dames, à peu près sûres de leur victoire, allèrent retrouver Marie-Thérèse, qui les attendait en déguisant son impatience.

Il était alors six heures et demie du soir, et le roi venait de prendre son goûter. Il ne perdit pas de temps; le repas fini, les affaires terminées, il prit de Saint-Aignan par le bras et lui ordonna de le conduire à l’appartement de La Vallière. Le courtisan fit une grosse exclamation.

– Eh bien! quoi? répliqua le roi; c’est une habitude à prendre, et, pour prendre une habitude, il faut qu’on commence par quelques fois.

– Mais, Sire, l’appartement des filles, ici, c’est une lanterne: tout le monde voit ceux qui entrent et ceux qui sortent. Il me semble qu’un prétexte… Celui-ci, par exemple…

– Voyons.

– Si Votre Majesté voulait attendre que Madame fût chez elle.

– Plus de prétextes! plus d’attentes! Assez de ces contretemps, de ces mystères; je ne vois pas en quoi le roi de France se déshonore à entretenir une fille d’esprit. Honni soit qui mal y pense!

– Sire, Sire, Votre Majesté me pardonnera un excès de zèle…

– Parle.

– Et la reine?

– C’est vrai! c’est vrai! Je veux que la reine soit toujours respectée. Eh bien! encore ce soir, j’irai chez Mlle de La Vallière, et puis, ce jour passé, je prendrai tous les prétextes que tu voudras. Demain, nous chercherons: ce soir, je n’ai pas le temps.

De Saint-Aignan ne répliqua pas; il descendit le degré devant le roi et traversa les cours avec une honte que n’effaçait point cet insigne honneur de servir d’appui au roi.

C’est que de Saint-Aignan voulait se conserver tout confit dans l’esprit de Madame et des deux reines. C’est qu’il ne voulait pas non plus déplaire à Mlle de La Vallière, et que pour faire tant de belles choses, il était difficile de ne pas se heurter à quelques difficultés.

Or, les fenêtres de la jeune reine, celles de la reine mère, celles de Madame elle-même donnaient sur la cour des filles. Être vu conduisant le roi, c’était rompre avec trois grandes princesses, avec trois femmes d’un crédit inamovible, pour le faible appât d’un éphémère crédit de maîtresse.

Ce malheureux de Saint-Aignan, qui avait tant de courage pour protéger La Vallière sous les quinconces ou dans le parc de Fontainebleau, ne se sentait plus brave à la grande lumière: il trouvait mille défauts à cette fille et brûlait d’en faire part au roi.

Mais son supplice finit; les cours furent traversées. Pas un rideau ne se souleva, pas une fenêtre ne s’ouvrit. Le roi marchait vite: d’abord à cause de son impatience, puis à cause des longues jambes de de Saint-Aignan, qui le précédait.

À la porte, de Saint-Aignan voulut s’éclipser; le roi le retint.

C’était une délicatesse dont le courtisan se fût bien passé.

Il dut suivre Louis chez La Vallière.

À l’arrivée du monarque, la jeune fille achevait d’essuyer ses yeux; elle le fit si précipitamment, que le roi s’en aperçut. Il la questionna comme un amant intéressé; il la pressa.

– Je n’ai rien, dit-elle, Sire.

– Mais, enfin, vous pleuriez.

– Oh! non pas, Sire.

– Regardez, de Saint-Aignan, est-ce que je me trompe?

De Saint-Aignan dut répondre; mais il était bien embarrassé.

– Enfin, vous avez les yeux rouges, mademoiselle, dit le roi.

– La poussière du chemin, Sire.

– Mais non, mais non, vous n’avez pas cet air de satisfaction qui vous rend si belle et si attrayante. Vous ne me regardez pas.

– Sire!

– Que dis-je! vous évitez mes regards.

Elle se détournait en effet.

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