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– Oui.

– Ne les mettiez-vous pas dans un coffret?

– Sans doute, dans le même coffret où je mettais les lettres que je recevais de vous, et où je déposais les miennes quand vos affaires ou vos plaisirs vous empêchaient de venir au rendez-vous.

– Ah! fort bien, dit Malicorne.

– Pourquoi cette satisfaction?

– Parce que je vois la possibilité de ne pas courir à Blois après les lettres. Je les ai ici.

– Vous avez rapporté le coffret?

– Il m’était cher, venant de vous.

– Prenez-y garde, au moins; le coffret contient des originaux qui auront un grand prix plus tard.

– Je le sais parbleu bien! et voilà justement pourquoi je ris, et de tout mon cœur même.

– Maintenant, un dernier mot.

– Pourquoi donc un dernier?

– Avons-nous besoin d’auxiliaires?

– D’aucun.

– Valets, servantes?

– Mauvais, détestable! Vous donnerez les lettres, vous les recevrez. Oh! pas de fierté; sans quoi, M. Malicorne et Mlle Aure, ne faisant pas leurs affaires eux-mêmes, devront se résoudre à les voir faire par d’autres.

– Vous avez raison; mais que se passe-t-il chez M. de Guiche?

– Rien; il ouvre sa fenêtre.

– Disparaissons.

Et tous deux disparurent; la conjuration était nouée.

La fenêtre qui venait de s’ouvrir était, en effet, celle du comte de Guiche.

Mais, comme eussent pu le penser les ignorants, ce n’était pas seulement pour tâcher de voir l’ombre de Madame à travers ses rideaux qu’il se mettait à cette fenêtre, et sa préoccupation n’était pas toute amoureuse.

Il venait, comme nous l’avons dit, de recevoir un courrier; ce courrier lui avait été envoyé par de Bragelonne. De Bragelonne avait écrit à de Guiche.

Celui-ci avait lu et relu la lettre, laquelle lui avait fait une profonde impression.

– Étrange! étrange! murmurait-il. Par quels moyens puissants la destinée entraîne-t-elle donc les gens à leur but?

Et, quittant la fenêtre pour se rapprocher de la lumière, il relut une troisième fois cette lettre, dont les lignes brûlaient à la fois son esprit et ses yeux.

«Calais.

«Mon cher comte,

J’ai trouvé à Calais M. de Wardes, qui a été blessé grièvement dans une affaire avec M. de Buckingham.

C’est un homme brave, comme vous savez, que de Wardes, mais haineux et méchant.

Il m’a entretenu de vous, pour qui, dit-il, son cœur a beaucoup de penchant; de Madame, qu’il trouve belle et aimable.

Il a deviné votre amour pour la personne que vous savez.

Il m’a aussi entretenu d’une personne que j’aime, et m’a témoigné le plus vif intérêt en me plaignant fort, le tout avec des obscurités qui m’ont effrayé d’abord, mais que j’ai fini par prendre pour les résultats de ses habitudes de mystère.

Voici le fait:

Il aurait reçu des nouvelles de la Cour. Vous comprenez que ce n’est que par M. de Lorraine.

On s’entretient, disent ses nouvelles, d’un changement survenu dans l’affection du roi.

Vous savez qui cela regarde.

Ensuite, disaient encore ses nouvelles, on parle d’une fille d’honneur qui donne sujet à la médisance.

Ces phrases vagues ne m’ont point permis de dormir. J’ai déploré depuis hier que mon caractère droit et faible, malgré une certaine obstination, m’ait laissé sans réplique à ces insinuations.

En un mot, M. de Wardes partait pour Paris; je n’ai point retardé son départ avec des explications; et puis il me paraissait dur, je l’avoue, de mettre à la question un homme dont les blessures sont à peine fermées.

Bref, il est parti à petites journées, parti pour assister, dit-il, au curieux spectacle que la Cour ne peut manquer d’offrir sous peu de temps.

Il a ajouté à ces paroles certaines félicitations, puis certaines condoléances. Je n’ai pas plus compris les unes que les autres. J’étais étourdi par mes pensées et par une défiance envers cet homme, défiance, vous le savez mieux que personne, que je n’ai jamais pu surmonter.

Mais, lui parti, mon esprit s’est ouvert.

Il est impossible qu’un caractère comme celui de de Wardes n’ait pas infiltré quelque peu de sa méchanceté dans les rapports que nous avons eus ensemble.

Il est donc impossible que dans toutes les paroles mystérieuses que M. de Wardes m’a dites, il n’y ait point un sens mystérieux dont je puisse me faire l’application à moi ou à qui savez.

Forcé que j’étais de partir promptement pour obéir au roi, je n’ai point eu l’idée de courir après M. de Wardes pour obtenir l’explication de ses réticences; mais je vous expédie un courrier et vous écris cette lettre, qui vous exposera tous mes doutes. Vous, c’est moi: j’ai pensé, vous agirez.

M. de Wardes arrivera sous peu: sachez ce qu’il a voulu dire, si déjà vous ne le savez.

Au reste M. de Wardes a prétendu que M. de Buckingham avait quitté Paris, comblé par Madame; c’est une affaire qui m’eût immédiatement mis l’épée à la main sans la nécessité où je crois me trouver de faire passer le service du roi avant toute querelle.

Brûlez cette lettre, que vous remet Olivain.

Qui dit Olivain, dit la sûreté même.

Veuillez, je vous prie, mon cher comte, me rappeler au souvenir de Mlle de La Vallière, dont je baise respectueusement les mains.

Vous, je vous embrasse.

Vicomte de Bragelonne.

P.-S.- Si quelque chose de grave survenait, tout doit se prévoir, cher ami, expédiez-moi un courrier avec ce seul mot: «Venez», et je serai à Paris, trente-six heures après votre lettre reçue.

De Guiche soupira, replia la lettre une troisième fois, et, au lieu de la brûler, comme le lui avait recommandé Raoul, il la remit dans sa poche.

Il avait besoin de la lire et de la relire encore.

– Quel trouble et quelle confiance à la fois, murmura le comte; toute l’âme de Raoul est dans cette lettre; il y oublie le comte de La Fère, et il y parle de son respect pour Louise! Il m’avertit pour moi, il me supplie pour lui. Ah! continua de Guiche avec un geste menaçant, vous vous mêlez de mes affaires, monsieur de Wardes? Eh bien! je vais m’occuper des vôtres. Quant à toi, mon pauvre Raoul, ton cœur me laisse un dépôt; je veillerai sur lui, ne crains rien.

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