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– Oui, madame.

– Vous croyez le roi amoureux? Dites.

De Guiche la regarda longuement; elle baissa les yeux sous ce regard qui allait jusqu’au cœur.

– Je crois, dit-il, que le roi peut avoir eu le dessein de tourmenter quelqu’un ici; le roi, sans cela, ne se montrerait pas empressé comme il est; il ne risquerait pas de compromettre de gaieté de cœur une jeune fille jusqu’alors inattaquable.

– Bon! cette effrontée? dit hautement la princesse.

– Je puis affirmer à Votre Altesse Royale, dit de Guiche avec une fermeté respectueuse, que Mlle de La Vallière est aimée d’un homme qu’il convient de respecter, car c’est un galant homme.

– Oh! Bragelonne, peut-être?

– Mon ami. Oui, madame.

– Eh bien! quand il serait votre ami, qu’importe au roi?

– Le roi sait que Bragelonne est fiancé à Mlle de La Vallière; et, comme Raoul a servi le roi bravement, le roi n’ira pas causer un malheur irréparable.

Madame se mit à rire avec des éclats qui firent sur de Guiche une douloureuse impression.

– Je vous répète, madame, que je ne crois pas le roi amoureux de La Vallière, et la preuve que je ne le crois pas, c’est que je voulais vous demander de qui Sa Majesté peut chercher à piquer l’amour-propre dans cette circonstance. Vous qui connaissez toute la Cour, vous m’aiderez à trouver d’autant plus assurément, que, dit-on partout, Votre Altesse Royale est fort intime avec le roi.

Madame se mordit les lèvres, et, faute de bonnes raisons, elle détourna la conversation.

– Prouvez-moi, dit-elle en attachant sur lui un de ces regards dans lesquels l’âme semble passer tout entière, prouvez-moi que vous cherchiez à m’interroger, moi qui vous ai appelé.

De Guiche tira gravement de ses tablettes ce qu’il avait écrit, et le montra.

– Sympathie, dit-elle.

– Oui, fit le comte avec une insurmontable tendresse, oui, sympathie; mais, moi, je vous ai expliqué comment et pourquoi je vous cherchais; vous, madame, vous êtes encore à me dire pourquoi vous me mandiez près de vous.

– C’est vrai.

Et elle hésita.

– Ces bracelets me feront perdre la tête, dit-elle tout à coup.

– Vous vous attendiez à ce que le roi dût vous les offrir? répliqua de Guiche.

– Pourquoi pas?

– Mais avant vous, madame, avant vous sa belle sœur, le roi n’avait-il pas la reine?

– Avant La Vallière, s’écria la princesse, ulcérée, n’avait-il pas moi? n’avait-il pas toute la Cour?

– Je vous assure, madame, dit respectueusement le comte, que si l’on vous entendait parler ainsi, que si l’on voyait vos yeux rouges, et, Dieu me pardonne! cette larme qui monte à vos cils; oh! oui! tout le monde dirait que Votre Altesse Royale est jalouse.

– Jalouse! dit la princesse avec hauteur; jalouse de La Vallière?

Elle s’attendait à faire plier de Guiche avec ce geste hautain et ce ton superbe.

– Jalouse de La Vallière, oui, madame, répéta-t-il bravement.

– Je crois, monsieur, balbutia-t-elle, que vous vous permettez de m’insulter?

– Je ne le crois pas, madame, répliqua le comte un peu agité, mais résolu à dompter cette fougueuse colère.

– Sortez! dit la princesse au comble de l’exaspération, tant le sang-froid et le respect muet de de Guiche lui tournaient à fiel et à rage.

De Guiche recula d’un pas, fit sa révérence avec lenteur, se releva blanc comme ses manchettes, et, d’une voix légèrement altérée:

– Ce n’était pas la peine que je m’empressasse, dit-il, pour subir cette injuste disgrâce.

Et il tourna le dos sans précipitation.

Il n’avait pas fait cinq pas, que Madame s’élança comme une tigresse après lui, le saisit par la manche, et, le retournant:

– Ce que vous affectez de respect, dit-elle en tremblant de fureur, est plus insultant que l’insulte. Voyons, insultez-moi, mais au moins parlez!

– Et vous, madame, dit le comte doucement en tirant son épée, percez-moi le cœur, mais ne me faites pas mourir à petit feu.

Au regard qu’il arrêta sur elle, regard empreint d’amour, de résolution, de désespoir même, elle comprit qu’un homme, si calme en apparence, se passerait l’épée dans la poitrine si elle ajoutait un mot.

Elle lui arracha le fer d’entre les mains, et, serrant son bras avec un délire qui pouvait passer pour de la tendresse:

– Comte, dit-elle, ménagez-moi. Vous voyez que je souffre, et vous n’avez aucune pitié.

Les larmes, dernière crise de cet accès, étouffèrent sa voix. De Guiche, la voyant pleurer, la prit dans ses bras et la porta jusqu’à son fauteuil; un moment encore, elle suffoquait.

– Pourquoi, murmura-t-il à ses genoux, ne m’avouez-vous pas vos peines? Aimez-vous quelqu’un? Dites-le-moi? J’en mourrai, mais après que je vous aurai soulagée, consolée, servie même.

– Oh! vous m’aimez ainsi! répliqua-t-elle vaincue.

– Je vous aime à ce point, oui, madame.

Et elle lui donna ses deux mains.

– J’aime, en effet, murmura-t-elle si bas que nul n’eût pu l’entendre.

Lui l’entendit.

– Le roi? dit-il.

Elle secoua doucement la tête, et son sourire fut comme ces éclaircies de nuages par lesquelles, après la tempête, on croit voir le paradis s’ouvrir.

– Mais, ajouta-t-elle, il y a d’autres passions dans un cœur bien né. L’amour, c’est la poésie; mais la vie de ce cœur, c’est l’orgueil. Comte, je suis née sur le trône, je suis fière et jalouse de mon rang. Pourquoi le roi rapproche-t-il de lui des indignités?

– Encore! fit le comte; voilà que vous maltraitez cette pauvre fille qui sera la femme de mon ami.

– Vous êtes assez simple pour croire cela, vous?

– Si je ne le croyais pas, dit-il fort pâle, Bragelonne serait prévenu demain; oui, si je supposais que cette pauvre La Vallière eût oublié les serments qu’elle a faits à Raoul. Mais non, ce serait une lâcheté de trahir le secret d’une femme; ce serait un crime de troubler le repos d’un ami.

– Vous croyez, dit la princesse avec un sauvage éclat de rire, que l’ignorance est du bonheur?

– Je le crois, répliqua-t-il.

– Prouvez! prouvez donc! dit-elle vivement.

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