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– Nullement, monsieur, dit de Saint-Aignan, nullement.

– Si fait, monsieur le comte, si fait, je la romps; et si bien même, que, si je tarde, je vais choir, position tout à fait inconvenante dans le rôle grave que je viens jouer auprès de vous.

Porthos se leva. Il était temps, la chaise s’était déjà affaissée sur elle-même de quelques pouces. De Saint-Aignan chercha des yeux un plus solide récipient pour son hôte.

– Les meubles modernes, dit Porthos tandis que le comte se livrait à cette recherche, les meubles modernes sont devenus d’une légèreté ridicule. Dans ma jeunesse, époque où je m’asseyais avec bien plus d’énergie encore qu’aujourd’hui, je ne me rappelle point avoir jamais rompu un siège, sinon dans les auberges avec mes bras.

De Saint-Aignan sourit agréablement à la plaisanterie.

– Mais, dit Porthos en s’installant sur un lit de repos qui gémit, mais qui résista, ce n’est point de cela qu’il s’agit, malheureusement.

– Comment, malheureusement? Est-ce que vous seriez porteur d’un message de mauvais augure, monsieur le baron?

– De mauvais augure pour un gentilhomme? oh! non, monsieur le comte, répliqua noblement Porthos. Je viens seulement vous annoncer que vous avez offensé bien cruellement un de mes amis.

– Moi, monsieur! s’écria de Saint-Aignan; moi, j’ai offensé un de vos amis? Et lequel, je vous prie?

– M. Raoul de Bragelonne.

– J’ai offensé M. de Bragelonne, moi? s’écria de Saint-Aignan. Ah! mais, en vérité, monsieur, cela m’est impossible; car M. de Bragelonne, que je connais peu, je dirai même que je ne connais point, est en Angleterre: ne l’ayant point vu depuis fort longtemps, je ne saurais l’avoir offensé.

– M. de Bragelonne est à Paris, monsieur le comte, dit Porthos impassible; et, quant à l’avoir offensé, je vous réponds que c’est vrai, puisqu’il me l’a dit lui-même. Oui, monsieur le comte, vous l’avez cruellement, mortellement offensé, je répète le mot.

– Mais impossible, monsieur le baron, je vous jure, impossible.

– D’ailleurs, ajouta Porthos, vous ne pouvez ignorer cette circonstance, attendu que M. de Bragelonne m’a déclaré vous avoir prévenu par un billet.

– Je n’ai reçu aucun billet, monsieur, je vous en donne ma parole.

– Voilà qui est extraordinaire! répondit Porthos; et ce que dit Raoul…

– Je vais vous convaincre que je n’ai rien reçu dit de Saint-Aignan.

Et il sonna.

– Basque, dit-il, combien de lettres ou de billets sont venus ici en mon absence.

– Trois, monsieur le comte.

– Qui sont?…

– Le billet de M. de Fiesque, celui de Mme de La Ferté, et la lettre de M. de Las Fuentès.

– Voilà tout?

– Tout, monsieur le comte.

– Dis la vérité devant Monsieur, la vérité, entends-tu bien? Je réponds de toi.

– Monsieur, il y avait encore le billet de…

– De?… Dis vite, voyons.

– De Mlle de La Val…

– Cela suffit, interrompit discrètement Porthos. Fort bien, je vous crois, monsieur le comte.

De Saint-Aignan congédia le valet et alla lui-même fermer la porte; mais, comme il revenait, regardant devant lui par hasard, il vit sortir de la serrure de la chambre voisine ce fameux papier que Bragelonne y avait glissé en partant.

– Qu’est-ce que cela? dit-il.

Porthos, adossé à cette chambre, se retourna.

– Oh! oh! fit Porthos.

– Un billet dans la serrure! s’écria de Saint-Aignan.

– Ce pourrait bien être le nôtre, monsieur le comte, dit Porthos. Voyez.

De Saint-Aignan prit le papier.

– Un billet de M. de Bragelonne! s’écria-t-il.

– Voyez-vous, j’avais raison. Oh! quand je dis une chose, moi…

– Apporté ici par M. de Bragelonne lui-même, murmura le comte en pâlissant. Mais c’est indigne! Comment donc a-t-il pénétré ici?

De Saint-Aignan sonna encore. Basque reparut.

– Qui est venu ici, pendant que j’étais à la promenade avec le roi?

– Personne, monsieur.

– C’est impossible! il faut qu’il soit venu quelqu’un!

– Mais, monsieur, personne n’a pu entrer, puisque j’avais les clefs dans ma poche.

– Cependant, ce billet qui était dans la serrure. Quelqu’un l’y a mis; il n’est pas venu seul.

Basque ouvrit les bras en signe d’ignorance absolue.

– C’est probablement M. de Bragelonne qui l’y aura mis? dit Porthos.

– Alors, il serait entré ici?

– Sans doute, monsieur.

– Mais, enfin, puisque j’avais la clef dans ma poche, reprit Basque avec persévérance.

De Saint-Aignan froissa le billet après l’avoir lu.

– Il y a quelque chose là-dessous, murmura-t-il absorbé.

Porthos le laissa un instant à ses réflexions.

Puis il revint à son message.

– Vous plairait-il que nous en revinssions à notre affaire? demanda-t-il en s’adressant à de Saint-Aignan quand le laquais eut disparu.

– Mais je crois la comprendre par ce billet si étrangement arrivé. M. de Bragelonne m’annonce un ami…

– Je suis son ami; c’est donc moi qu’il vous annonce.

– Pour m’adresser une provocation?

– Précisément.

– Et il se plaint que je l’ai offensé?

– Cruellement, mortellement!

– De quelle façon, s’il vous plaît? Car sa démarche est trop mystérieuse pour que je n’y cherche pas au moins un sens.

– Monsieur, répondit Porthos, mon ami doit avoir raison, et, quant à sa démarche, si elle est mystérieuse comme vous dites, n’en accusez que vous.

Porthos prononça ces dernières paroles avec une confiance qui, pour un homme peu habitué à sa façon, devait révéler une infinité de sens.

– Mystère, soit! Voyons le mystère, dit de Saint-Aignan.

Mais Porthos s’inclina.

– Vous trouverez bon que je n’y entre point, monsieur, dit-il, et pour d’excellentes raisons.

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