Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Oui, monsieur.

– Mais M. le surintendant n’a jamais dit qu’il dût vendre, reprit Pélisson.

– Pardonnez-moi: vous-même, vous en avez parlé, dit Conrart.

– J’en suis témoin, fit Gourville.

– Il tient aux beaux discours qu’il me fait, dit en riant Fouquet. Cet acquéreur, voyons, La Fontaine?

– Un oiseau tout noir, un conseiller au Parlement, un brave homme.

– Qui s’appelle?

– Vanel.

– Vanel! s’écria Fouquet, Vanel! le mari de?…

– Précisément, son mari; oui, monsieur.

– Ce cher homme! dit Fouquet avec intérêt, il veut être procureur général?

– Il veut être tout ce que vous êtes, monsieur, dit Gourville, et faire absolument ce que vous avez fait.

– Oh! mais c’est bien réjouissant: contez-nous donc cela, La Fontaine.

– C’est tout simple. Je le vois de temps en temps. Tantôt je le rencontre: il flânait sur la place de la Bastille, précisément vers l’instant où j’allais prendre le petit carrosse de Saint-Mandé.

– Il devait guetter sa femme, bien sûr, interrompit Loret.

– Oh! mon Dieu, non, dit simplement Fouquet; il n’est pas jaloux.

– Il m’aborde donc, m’embrasse, me conduit au Cabaret de l’Image-Saint Fiacre, et m’entretient de ses chagrins.

– Il a des chagrins?

– Oui, sa femme lui donne de l’ambition.

– Et il vous dit?…

– Qu’on lui a parlé d’une charge au Parlement; que le nom de M. Fouquet a été prononcé, que, depuis ce temps Mme Vanel rêve de s’appeler Mme la procureuse générale, et qu’elle en meurt toutes les nuits qu’elle n’en rêve pas.

– Pauvre femme! dit Fouquet.

– Attendez. Conrart me dit toujours que je ne sais pas faire les affaires: vous allez voir comment je menai celle-ci.

– Voyons!

– «Savez-vous, dis-je à Vanel, que c’est cher, une charge comme celle de M. Fouquet?»

– «Combien à peu près?» fit-il.

– «M. Fouquet en a refusé dix-sept cent mille livres.»

– «Ma femme, répliqua Vanel, avait mis cela aux environs de quatorze cent mille.»

– «Comptant?» lui fis-je.

– «Oui; elle a vendu un bien en Guienne, elle a réalisé.»

– C’est un joli lot à toucher d’un coup, dit sentencieusement l’abbé Fouquet, qui n’avait pas encore parlé.

– Cette pauvre dame Vanel! murmura Fouquet.

Pélisson haussa les épaules.

– Un démon! dit-il bas à l’oreille de Fouquet.

– Précisément!… Il serait charmant d’employer l’argent de ce démon à réparer le mal que s’est fait pour moi un ange.

Pélisson regarda d’un air surpris Fouquet, dont les pensées se fixaient, à partir de ce moment, sur un nouveau but.

– Eh bien! demanda La Fontaine, ma négociation?

– Admirable! cher poète.

– Oui, dit Gourville; mais tel se vante d’avoir envie d’un cheval, qui n’a pas seulement de quoi payer la bride.

– Le Vanel se dédirait si on le prenait au mot, continua l’abbé Fouquet.

– Je ne crois pas, dit La Fontaine.

– Qu’en savez-vous?

– C’est que vous ignorez le dénouement de mon histoire.

– Ah! s’il y a un dénouement, dit Gourville, pourquoi flâner en route?

– Semper ad adventum, n’est-ce pas cela? dit Fouquet du ton d’un grand seigneur qui se fourvoie dans les barbarismes.

Les latinistes battirent des mains.

– Mon dénouement, s’écria La Fontaine, c’est que Vanel, ce tenace oiseau, sachant que je venais à Saint-Mandé, m’a supplié de l’emmener.

– Oh! oh!

– Et de le présenter, s’il était possible, à Monseigneur.

– En sorte?…

– En sorte qu’il est là, sur la pelouse du Bel-Air.

– Comme un scarabée.

– Vous dites cela, Gourville, à cause des antennes, mauvais plaisant!

– Eh bien! monsieur Fouquet?

– Eh bien! il ne convient pas que le mari de Mme Vanel s’enrhume hors de chez moi; envoyez-le quérir, La Fontaine, puisque vous savez où il est.

– J’y cours moi-même.

– Je vous y accompagne, dit l’abbé Fouquet; je porterai les sacs.

– Pas de mauvaise plaisanterie, dit sévèrement Fouquet; que l’affaire soit sérieuse, si affaire il y a. Tout d’abord, soyons hospitaliers. Excusez-moi bien, La Fontaine, auprès de ce galant homme, et dites-lui que je suis désespéré de l’avoir fait attendre, mais que j’ignorais qu’il fût là.

La Fontaine était déjà parti. Par bonheur, Gourville l’accompagnait; car, tout entier à ses chiffres, le poète se trompait de route, et courait vers Saint Maur.

Un quart d’heure après, M. Vanel fut introduit dans le cabinet du surintendant, ce même cabinet dont nous avons donné la description et les aboutissants au commencement de cette histoire. Fouquet, le voyant entrer appela Pélisson, et lui parla quelques minutes à l’oreille.

– Retenez bien ceci, lui dit-il: que toute l’argenterie, que toute la vaisselle, que tous les joyaux soient emballés dans le carrosse. Vous prendrez les chevaux noirs; l’orfèvre vous accompagnera; vous reculerez le souper jusqu’à l’arrivée de Mme de Bellière.

– Encore faut-il que Mme de Bellière soit prévenue, dit Pélisson.

– Inutile, je m’en charge.

– Très bien.

– Allez, mon ami.

Pélisson partit, devinant mal, mais confiant, comme sont tous les vrais amis, dans la volonté qu’il subissait. Là est la force des âmes d’élite. La défiance n’est faite que pour les natures inférieures.

Vanel s’inclina donc devant le surintendant. Il allait commencer une harangue.

– Asseyez-vous, monsieur, lui dit civilement Fouquet. Il me paraît que vous voulez acquérir ma charge?

– Monseigneur…

– Combien pouvez-vous m’en donner?

– C’est à vous, monseigneur, de fixer le chiffre. Je sais qu’on vous a fait des offres.

128
{"b":"125137","o":1}