Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Que me parlez-vous, monseigneur, dit Vanel, de la charge de procureur général au Parlement? Je n’en sache pas d’autre que celle de M. Fouquet.

– Précisément, mon cher conseiller.

– Vous n’êtes pas dégoûté, monseigneur; mais, avant que la marchandise soit achetée, ne faut-il pas qu’elle soit vendue?

– Je crois, monsieur Vanel, que cette charge-là sera sous peu à vendre…

– À vendre!… la charge de procureur de M. Fouquet?

– On le dit.

– La charge qui le fait inviolable, à vendre? Oh! oh!

Et Vanel se mit à rire.

– En auriez-vous peur, de cette charge? dit gravement Colbert.

– Peur! non pas…

– Ni envie?

– Monseigneur se moque de moi! répliqua Vanel; comment un conseiller du Parlement n’aurait-il pas envie de devenir procureur général?

– Alors, monsieur Vanel… puisque je vous dis que la charge se présente à vendre.

– Monseigneur le dit.

– Le bruit en court.

– Je répète que c’est impossible; jamais un homme ne jette le bouclier derrière lequel il abrite son honneur, sa fortune et sa vie.

– Parfois il est des fous qui se croient au-dessus de toutes les mauvaises chances, monsieur Vanel.

– Oui, monseigneur; mais ces fous-là ne font pas leurs folies au profit des pauvres Vanels qu’il y a dans le monde.

– Pourquoi pas?

– Parce que ces Vanels sont pauvres.

– Il est vrai que la charge de M. Fouquet peut coûter gros. Qu’y mettriez vous, monsieur Vanel?

– Tout ce que je possède, monseigneur.

– Ce qui veut dire?

– Trois à quatre cent mille livres.

– Et la charge vaut?

– Un million et demi, au plus bas. Je sais des gens qui en ont offert un million sept cent mille livres sans décider M. Fouquet. Or, si par hasard il arrivait que M. Fouquet voulût vendre, ce que je ne crois pas, malgré ce qu’on m’en a dit…

– Ah! l’on vous en a dit quelque chose! Qui cela?

– M. de Gourville… M. Pélisson. Oh! en l’air.

– Eh bien! si M. Fouquet voulait vendre?…

– Je ne pourrais encore acheter, attendu que M. le surintendant ne vendra que pour avoir de l’argent frais, et personne n’a un million et demi à jeter sur une table.

Colbert interrompit en cet endroit le conseiller par une pantomime impérieuse. Il avait recommencé à réfléchir.

Voyant l’attitude sérieuse du maître, voyant sa persévérance à mettre la conversation sur ce sujet, M. Vanel attendait une solution sans oser la provoquer.

– Expliquez-moi bien, dit alors Colbert, les privilèges de la charge de procureur général.

– Le droit de mise en accusation contre tout sujet français qui n’est pas prince du sang; la mise à néant de toute accusation dirigée contre tout Français qui n’est pas roi ou prince. Un procureur général est le bras droit du roi pour frapper un coupable, il est son bras aussi pour éteindre le flambeau de la justice. Aussi M. Fouquet se soutiendra-t-il contre le roi lui-même en ameutant les parlements; aussi le roi ménagera-t-il M. Fouquet malgré tout pour faire enregistrer ses édits sans conteste. Le procureur général peut être un instrument bien utile ou bien dangereux.

– Voulez-vous être procureur général, Vanel? dit tout à coup Colbert en adoucissant son regard et sa voix.

– Moi? s’écria celui-ci. Mais j’ai eu l’honneur de vous représenter qu’il manque au moins onze cent mille livres à ma caisse.

– Vous emprunterez cette somme à vos amis.

– Je n’ai pas d’amis plus riches que moi.

– Un honnête homme!

– Si tout le monde pensait comme vous, monseigneur.

– Je le pense, cela suffit, et, au besoin, je répondrai de vous.

– Prenez garde au proverbe, monseigneur.

– Lequel?

– Qui répond paie.

– Qu’à cela ne tienne.

Vanel se leva, tout remué par cette offre si subitement, si inopinément faite par un homme que les plus frivoles prenaient au sérieux.

– Ne vous jouez pas de moi, monseigneur, dit-il.

– Voyons, faisons vite, monsieur Vanel. Vous dites que M. Gourville vous a parlé de la charge de M. Fouquet?

– M. Pélisson aussi.

– Officiellement, ou officieusement?

– Voici leurs paroles: «Ces gens du Parlement sont ambitieux et riches; ils devraient bien se cotiser pour faire deux ou trois millions à M. Fouquet, leur protecteur, leur lumière.»

– Et vous avez dit?

– J’ai dit que, pour ma part, je donnerais dix mille livres s’il le fallait.

– Ah! vous aimez donc M. Fouquet? s’écria M. Colbert avec un regard plein de haine.

– Non; mais M. Fouquet est notre procureur général; il s’endette, il se noie; nous devons sauver l’honneur du corps.

– Voilà qui m’explique pourquoi M. Fouquet sera toujours sain et sauf tant qu’il occupera sa charge, répliqua Colbert.

– Là-dessus, poursuivit Vanel, M. Gourville a ajouté: «Faire l’aumône à M. Fouquet, c’est toujours un procédé humiliant auquel il répondra par un refus; que le Parlement se cotise pour acheter dignement la charge de son procureur général, alors tout va bien, l’honneur du corps est sauf, et l’orgueil de M. Fouquet sauvé.»

– C’est une ouverture cela.

– Je l’ai considéré ainsi, monseigneur.

– Eh bien! monsieur Vanel, vous irez trouver immédiatement M. Gourville ou M. Pélisson; connaissez-vous quelque autre ami de M. Fouquet?

– Je connais beaucoup M. de La Fontaine.

– La Fontaine le rimeur?

– Précisément; il faisait des vers à ma femme, quand M. Fouquet était de nos amis.

– Adressez-vous donc à lui pour obtenir une entrevue de M. le surintendant.

– Volontiers; mais la somme?

– Au jour et à l’heure fixés, monsieur Vanel, vous serez nanti de la somme, ne vous inquiétez point.

– Monseigneur, une telle munificence! Vous effacez le roi, vous surpassez M. Fouquet.

120
{"b":"125137","o":1}