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Cette dame leva son voile en entrant. Ce n’était plus une beauté, mais c’était encore une femme; elle n’était plus jeune; mais elle était encore alerte et d’une belle prestance. Elle dissimulait, sous une toilette riche et de bon goût, un âge que Ninon de Lenclos seule affronta en souriant.

À peine fut-elle dans le vestibule, que le cavalier, dont nous n’avons fait qu’esquisser les traits, vint à elle en lui tendant la main.

– Chère duchesse, dit-il. Bonjour.

– Bonjour, mon cher Aramis, répliqua la duchesse.

Il la conduisit à un salon élégamment meublé, dont les fenêtres hautes s’empourpraient des derniers feux du jour tamisés par les cimes noires de quelques sapins.

Tous deux s’assirent côte à côte.

Ils n’eurent ni l’un ni l’autre la pensée de demander de la lumière, et s’ensevelirent ainsi dans l’ombre comme ils eussent voulu s’ensevelir mutuellement dans l’oubli.

– Chevalier, dit la duchesse, vous ne m’avez plus donné signe d’existence depuis notre entrevue de Fontainebleau, et j’avoue que votre présence, le jour de la mort du franciscain, j’avoue que votre initiation à certains secrets, m’ont donné le plus vif étonnement que j’aie eu de ma vie.

– Je puis vous expliquer ma présence, je puis vous expliquer mon initiation, dit Aramis.

– Mais, avant tout, répliqua vivement la duchesse, parlons un peu de nous. Voilà longtemps que nous sommes de bons amis.

– Oui, madame, et, s’il plaît à Dieu, nous le serons, sinon longtemps, du moins toujours.

– Cela est certain, chevalier, et ma visite en est un témoignage.

– Nous n’avons plus à présent, madame la duchesse, les mêmes intérêts qu’autrefois, dit Aramis en souriant sans crainte dans cette pénombre, car on n’y pouvait deviner que son sourire fût moins agréable et moins frais qu’autrefois.

– Aujourd’hui, chevalier, nous avons d’autres intérêts. Chaque âge apporte les siens, et comme nous nous comprenons aujourd’hui, en causant, aussi bien que nous le faisions autrefois sans parler, causons; voulez-vous?

– Duchesse, à vos ordres. Ah! pardon, comment avez-vous donc retrouvé mon adresse? Et pourquoi?

– Pourquoi? Je vous l’ai dit. La curiosité. Je voulais savoir ce que vous êtes à ce franciscain, avec lequel j’avais affaire, et qui est mort si étrangement. Vous savez qu’à notre entrevue à Fontainebleau, dans ce cimetière, au pied de cette tombe, récemment fermée, nous fûmes émus l’un et l’autre au point de ne nous rien confier l’un à l’autre.

– Oui, madame.

– Eh bien! je ne vous eus pas plutôt quitté, que je me repentis. J’ai toujours été avide de m’instruire, vous savez que Mme de Longueville est un peu comme moi, n’est-ce pas?

– Je ne sais, dit Aramis discrètement.

– Je me rappelai donc, continua la duchesse, que nous n’avions rien dit dans ce cimetière, ni vous de ce que vous étiez à ce franciscain dont vous avez surveillé l’inhumation, ni moi de ce que je lui étais. Aussi, tout cela m’a paru indigne de deux bons amis comme nous, et j’ai cherché l’occasion de me rapprocher de vous pour vous donner la preuve que je vous suis acquise, et que Marie Michon, la pauvre morte, a laissé sur terre une ombre pleine de mémoire.

Aramis s’inclina sur la main de la duchesse et y déposa un galant baiser.

– Vous avez dû avoir quelque peine à me retrouver, dit-il.

– Oui, fit-elle, contrariée d’être ramenée à ce que voulait savoir Aramis; mais je vous savais ami de M. Fouquet, j’ai cherché près de M. Fouquet.

– Ami? oh! s’écria le chevalier, vous dites trop, madame. Un pauvre prêtre favorisé par ce généreux protecteur, un cœur plein de reconnaissance et de fidélité, voilà tout ce que je suis à M. Fouquet.

– Il vous a fait évêque?

– Oui, duchesse.

– Mais, beau mousquetaire, c’est votre retraite.

«Comme à toi l’intrigue politique», pensa Aramis.

– Or, ajouta-t-il, vous vous enquîtes auprès de M. Fouquet?

– Facilement. Vous aviez été à Fontainebleau avec lui, vous aviez fait un petit voyage à votre diocèse, qui est Belle-Île-en-Mer, je crois?

– Non pas, non pas, madame, dit Aramis. Mon diocèse est Vannes.

– C’est ce que je voulais dire. Je croyais seulement que Belle-Île-en-Mer…

– Est une maison à M. Fouquet, voilà tout.

– Ah! c’est qu’on m’avait dit que Belle-Île-en-Mer était fortifiée or, je vous sais homme de guerre, mon ami.

– J’ai tout désappris depuis que je suis d’Église, dit Aramis piqué.

– Il suffit… J’ai donc su que vous étiez revenu de Vannes, et j’ai envoyé chez un ami, M. le comte de La Fère.

– Ah! fit Aramis.

– Celui-là est discret: il m’a fait répondre qu’il ignorait votre adresse.

«Toujours Athos, pensa l’évêque: ce qui est bon est toujours bon.»

– Alors… vous savez que je ne puis me montrer ici, et que la reine mère a toujours contre moi quelque chose.

– Mais oui, et je m’en étonne.

– Oh! cela tient à toutes sortes de raisons. Mais passons… Je suis forcée de me cacher; j’ai donc, par bonheur, rencontré M. d’Artagnan, un de vos anciens amis, n’est-ce pas?

– Un de mes amis présents, duchesse.

Il m’a renseignée, lui; il m’a envoyée à M. de Baisemeaux, le gouverneur de la Bastille.

Aramis frissonna, et ses yeux dégagèrent dans l’ombre une flamme qu’il ne put cacher à sa clairvoyante amie.

– M. de Baisemeaux! dit-il; et pourquoi d’Artagnan vous envoya-t-il à M. de Baisemeaux?

– Ah! je ne sais.

– Que veut dire ceci? dit l’évêque en résumant ses forces intellectuelles pour soutenir dignement le combat.

– M. de Baisemeaux était votre obligé, m’a dit d’Artagnan.

– C’est vrai.

– Et l’on sait toujours l’adresse d’un créancier comme celle d’un débiteur.

– C’est encore vrai. Alors, Baisemeaux vous a indiqué?

– Saint-Mandé, où je vous ai fait tenir une lettre.

– Que voici, et qui m’est précieuse, dit Aramis, puisque je lui dois le plaisir de vous voir.

La duchesse, satisfaite d’avoir ainsi effleuré sans malheur toutes les difficultés de cette exposition délicate, respira.

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