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Et, sur le seuil du jardin, elle se reconnut, parlant à un jeune garçon boucher qui avait un panier au bras et qui prenait certainement la «commande» de la jeune maîtresse de maison!

Elle se rappelait avoir vu cet instantané jadis, entre les mains de la petite Jacqueline, de celle qui devait être plus tard sœur Sainte-Marie-des-Anges… Cécily se rappelle! Oui! Oui! c’est bien cela! Jacqueline faisait de la photographie et elle avait photographié Cécile Bourrelier et Chéri-Bibi! Oui, oui, oui! Le petit garçon boucher, c’était Chéri-Bibi!

«Chéri-Bibi!»

Elle prononça tout haut ce nom et une effroyable lumière se fit dans son esprit.

Elle savait bien que lorsqu’elle était encore jeune fille, Chéri-Bibi l’avait aimée, bien qu’il ne lui eût jamais parlé de cet amour… Elle lui avait vu, plus d’une fois, les yeux pleins de larmes! Misère de Dieu! les yeux qui pleuraient derrière les lunettes de son sauveur, c’étaient les yeux de Chéri-Bibi!

Chéri-Bibi, le forçat, le roi du crime!

Elle et son fils étaient protégés par Chéri-Bibi!

Mme la marquise du Touchais s’évanouit, une fois de plus. Elle croyait avoir touché le fond du mystère. Pauvre Cécily! elle l’abordait à peine!

XXXIV LA DERNIÈRE CHARRETTE

MM. Florent et Barkimel, qui passaient leur temps à se confesser entre eux et à se réciter mutuellement la prière des morts, furent bien étonnés en voyant la porte de leur cachot s’ouvrir et le guichetier y précipiter, fort brutalement ma foi, M. l’inspecteur des prisons lui-même.

Ils n’eurent qu’un cri: «Monsieur Hilaire!» et ils lui tendirent la main avec un sourd gémissement sur leur infortune à tous.

M. Hilaire reconnut M. Florent et M. Barkimel et loua le ciel de lui avoir permis de passer ses derniers moments avec des amis aussi distingués.

Après réflexions sur l’égalité devant la mort, M. Hilaire crut devoir apporter quelque tempérament à une aussi sombre philosophie en avertissant ces messieurs que, quant à lui, il n’avait point perdu l’espoir que leur sort, à tous trois, s’améliorât d’ici peu.

Ayant jugé sévèrement les hommes de l’Hôtel de Ville, il annonça à MM. Barkimel et Florent que les honnêtes gens se soulevaient, dans l’instant même, au fond de toutes les provinces pour venir les délivrer.

M. Florent ne prit point le temps de se faire répéter cette bonne parole pour faire entendre un soupir plein d’espérance. Au contraire, M. Barkimel baissa la tête et ne donna plus signe de vie, si bien que cette attitude désolée finit par frapper M. Florent, qui en demanda la raison.

– Hélas! répliqua M. Barkimel, M. Hilaire a parlé des «braves gens» et je sais par ce qu’il entend par là! Après avoir rempli le triste rôle qui m’a été dévolu en ces jours néfastes, puis-je espérer décemment compter parmi les «braves gens»?

– Évidemment, fit M. Hilaire, je comprends l’embarras de M. Barkimel. Il s’est bien distingué au tribunal révolutionnaire!

– Pas plus que vous, M. Hilaire, au club de l’Arsenal! interrompit sur un ton désolé mais ferme M. Barkimel qui n’avait pas attendu d’avoir été nommé juge pour avoir le sentiment inné de la justice. Et vous me permettez, monsieur Hilaire, de m’étonner qu’après avoir prononcé de si furieux discours contre les ennemis de la révolution, vous comptiez encore sur eux pour vous tirer d’affaire!

– C’est que vous ne savez pas, répondit avec sang-froid M. Hilaire, que, pendant que je prononçais tout haut ces affreux discours, je travaillais tout bas pour les contre-révolutionnaires et que je leur rendais les plus signalés services!

– Et vous vous en vantez! C’est du propre! s’exclama M. Barkimel outré de tant de cynisme.

– Je ne m’en vante pas, je vous dis simplement ce que j’ai fait et ce que j’ai fait n’est pas si bête. Vous, vous avez servi les révolutionnaires parce que vous avez cru que c’était votre intérêt; moi, j’ai imaginé que deux précautions valent mieux qu’une et que j’aurais plus d’occasions de m’en tirer en servant à la fois les uns et les autres!

– L’histoire vous jugera! répartit M. Barkimel en croisant les bras.

– Ne vous disputez pas pour le peu de temps qui nous reste à vivre! supplia M. Florent.

Ces messieurs en étaient là quand la porte du cachot s’ouvrit et le garde les appela tous les trois. À cette heure, on eût dû les laisser dormir au moins leur dernier sommeil. Que se passait-il donc?

Tout simplement que l’évasion du Subdamoun avait mis «sens dessus dessous» le gouvernement de Ville et que le comité de surveillance avait décidé que le procès des complices aurait lieu sur l’heure de façon à ce que leur exécution, dès l’aurore, apaisât quelque peu les révolutionnaires qui étaient toujours prêts à crier à la trahison.

Dans la rage où le comité se trouvait, il n’y eut point de demi-mesure. On vida, sur l’heure, à peu près tous les cahots. C’est ainsi que M. Barkimel retournait au tribunal une seconde fois, pour être condamné une seconde fois à la mort!

– Si j’en réchappe, faisait-il, assez mélancoliquement, j’aurai de la veine.

La grand-chambre du tribunal révolutionnaire fut archi-bondée d’accusés que surveillaient de près les sectionnaires, baïonnette au canon. Ils étaient là une soixantaine de victimes désignées d’avance qui attendaient le bon plaisir de leurs juges.

Cependant, le baron d’Askof «portait beau»: il savait de quel prix allait être payée sa trahison et il s’en réjouissait d’avance en regardant Sonia Liskinne, qui ne faisait, du reste, aucune attention, aux manières glorieuses du baron.

Elle était tout à la charitable besogne de soutenir et de consoler une malheureuse et bien belle jeune fille que l’on avait jetée, à la dernière heure dans son cachot.

Cette jeune personne n’était autre que Mlle Lydie de la Morlière.

L’esprit diabolique du baron d’Askof se divertissait plus qu’on ne saurait dire au spectacle peu banal du couple formé par la maîtresse et la fiancée du Subdamoun!

Avec quelle joie méchante il voyait la pâleur et le désespoir de Lydie, et de quels regards de triomphe il caressait déjà celle qui ne pouvait plus manquer maintenant de lui appartenir!

Le procès fut mené rapidement comme une exécution.

Tous les accusés furent condamnés, à l’exception de trois: d’abord Mlle Sonia Liskinne, qui ne put en croire ses oreilles et qui demanda sur un ton éclatant ce qui pouvait bien lui valoir «un pareil déshonneur»!

Elle fut vite renseignée, en entendant acquitter ensuite le baron d’Askof!

Certes! elle ne pouvait douter que le baron eût trahi et que c’était à lui qu’elle devait une aussi outrageante clémence!

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