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Les gardes, surpris, tout d’abord, durent reculer. Il y eut un flottement dans la marche du cortège. La première charrette se trouva séparée des autres.

M. Hilaire cherchait déjà comment il allait pouvoir se jeter hors de sa voiture. Le marchand de cacahuètes avait disparu. Tout à coup, M. Hilaire se sentit terriblement accroché à l’épaule par une poigne formidable qui venait du dehors. Il n’eut garde de résister et se laissa emporter par cette puissance irrésistible. Seulement, le sectionnaire qui était dans la voiture, non loin de lui, lui allongea un grand coup de baïonnette en pleine poitrine, ou du moins qui visait la poitrine et qui glissa sous le bras.

Comme M. Hilaire bascula, alors d’étrange façon, les pieds en l’air, le sectionnaire put croire que son coup avait porté et qu’il avait étripé son prisonnier dont il ne s’occupa plus.

Il avait, en effet, autre chose à faire. Les condamnés étaient devenus comme enragés et, bien qu’ils eussent les pieds et les poings liés, ils se laissaient tomber de tout leur poids sur leurs gardes pour les empêcher de faire usage de leurs armes.

Le resserrement dans lequel tout le monde se trouvait aidait cette manœuvre et l’on entendait des sectionnaires hurler de douleur parce qu’on les mordait!

Il serait difficile de rendre compte exactement du degré de confusion qui régnait alors.

Les cris des blessés et des mourants, ceux de la foule piétinée, les cavaliers désarçonnés et ces brigands de mitrons, dans lesquels un œil militaire exercé eût reconnu beaucoup d’hommes de la coloniale dévoués au Subdamoun, tout cela faisait un tapage d’enfer, cependant que le massacre des sectionnaires allait bon train.

Tout de même la troupe arriva à se reformer autour des trois derniers camions qui furent rapidement dirigés vers la place de la Révolution par un détour.

Quant à la première voiture, on put croire qu’elle était définitivement aux mains des assaillants. Elle fut à eux quelques secondes. Une roue s’étant détachée, la cargaison humaine roula à terre, à l’exception cependant de Sonia et de Lavobourg qui, instinctivement, s’étaient raccrochés aux barreaux du fond près desquels ils se trouvaient.

C’est ce qui les perdit.

MM. Florent et Barkimel, eux, avaient roulé avec les autres. C’est ce qui les sauva.

Ils restèrent un temps étendus sur le pavé et on ne s’occupa pas plus d’eux que s’ils étaient morts.

La première charrette était venue ainsi s’échouer au coin du trottoir. Le Subdamoun, qui était descendu dans la mêlée, s’apprêtait à s’élancer et déjà Sonia pouvait se croire sauvée, quand il trébucha sous la rude poussée du vieillard aux cacahuètes. Chéri-Bibi le maintint quelques secondes ainsi à terre dans l’instant même qu’une terrible décharge éclatait.

C’était un poste qui accourait, commandé par le général Flottard lui-même (il s’était fait décerner le grade, la veille).

Sans Chéri-Bibi, qui avait entravé son élan, le Subdamoun eût été littéralement passé par les armes.

Dès ce moment, il n’y eut plus moyen de lutter. Des gardes civiques s’étaient rués sur les deux prisonniers qui restaient et avaient fait monter Sonia et Lavobourg dans une auto-limousine qui était abandonnée là et sur le siège de laquelle monta Flottard qui se mit au volant.

Il jura de conduire lui-même ces illustres victimes à la guillotine, et, entouré d’une troupe de près de deux cents gardes à cheval, il partit à petite, mais sûre allure.

Aucun incident ne se produisit jusqu’à la place de la Révolution.

Ainsi le destin voulait que ces deux êtres qui eussent pu se haïr à cette heure suprême, fussent réunis dans la mort. Ils se regardèrent… Dans leurs yeux à tous deux, la lueur du pardon passa. Sonia dit à Lavobourg:

– Prions! mon ami.

Et ils prièrent. Elle dit encore à Lavobourg:

– Pardonnez-moi comme je vous ai pardonné. Il lui répondit:

– Je vous aime, et c’est vous qui devez me pardonner.

Une clameur de rage et de malédiction les accueillit tous deux quand ils eurent gravi l’escalier et qu’ils se trouvèrent sur la fatale plate-forme.

Tout ce qui restait de la révolution plus qu’à demi-vaincue s’était donné rendez-vous là, pendant que le bruit du canon des Versaillais ne cessait de se rapprocher.

– Une heure plus tard, nous étions peut-être… fit Lavobourg…

De toute évidence, il voulait dire: «Nous étions peut-être sauvés», mais il n’eut point le temps d’achever sa phrase, les aides du bourreau l’avaient entrepris et jeté sur la bascule.

Le couteau tomba.

Sonia détourna sa tête pâle et dorée. Les clameurs s’étaient, une seconde, tues. Alors, Sonia entendit un sanglot quelque part dans la foule.

– Il est là! se dit-elle.

Et elle se fit plus grande encore et plus belle en attendant que le bourreau la fît plus petite.

Ce ne fut pas long… Sa tête alla rouler parmi d’autres têtes dans l’horrible panier…

XXXV IL N’EST POINT SI BONS AMIS QUI NE SE QUITTENT

Trois semaines plus tard, la révolution n’était plus qu’un souvenir.

Elle avait été aussi rapidement vaincue qu’elle avait mis de précipitation à tout vouloir dévorer.

Les vainqueurs prirent garde de ne se point livrer aux excès qui avaient suivi la ruine de l’ancienne «Commune»… Ils furent les premiers à s’opposer aux représailles et aux exécutions, sauvèrent la vie de quelques otages et firent restaurer les vieux monuments que les énergumènes avaient commencé de pétroler.

On laissa filer les gens de Coudry à l’étranger et on permit à Coudry lui-même de franchir la frontière.

En attendant que l’Assemblée eût fait place à un nouveau Parlement chargé de réviser la Constitution, la présidence de cette Assemblée avait été donnée au Subdamoun lui-même.

L’hôtel du Marais avait repris son aspect coutumier. Jacques y avait retrouvé sa mère, qui y avait été elle-même transportée dans des conditions qui restaient encore pour elle, comme pour tout le monde, des plus mystérieuses.

Enfin, elle était sauvée, et son fils et la fiancée de son fils également, n’était-ce point le principal? Frédéric Héloni lui-même était venu habiter auprès de sa fiancée Marie-Thérèse, et tout ce monde-là eût pu être bien heureux si le Subdamoun, à qui tout désormais semblait sourire, n’eût montré une figure des plus tristes, un front qui s’assombrissait tous les jours.

Lydie n’osait point le questionner. La jeune fille, comme la marquise et comme Frédéric lui même, pensaient que la fin tragique de Mlle Liskinne ne devait pas être étrangère à de si lugubres pensées.

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