Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Marie-Thérèse embrassa tendrement Lydie puis, reprenant le sachet et les lettres, elle se dirigea vers le secrétaire-bureau qui était dans un coin de la chambre.

– Que fais-tu? Marie-Thérèse.

– Je prépare une commission pour Jacqueline! J’ai promis, j’ai même juré à ma mère que ces lettres seraient rendues au baron d’Askof, je vais les mettre sous enveloppe, ainsi que le sachet, et Jacqueline, au sortir de la messe, ira les porter chez moi.

– C’est ton beau-père qui a surpris cette correspondance? demanda Lydie.

– Oui, c’est la première fois qu’il me rend service. Ah! tu ne sais pas ce que j’ai appris également cette nuit? Que le baron avait tué mon père à la chasse? Ma mère le savait, je le lui ai dit à elle! Elle n’a pas eu la force de nier… ou si mal! Tu comprends si j’en ai assez de la vie! Vivre avec une famille pareille ou risquer d’épouser un… un Frédéric Héloni!

– Ma chérie, interrompit Lydie de sa voix la plus douce, ne disons point de mal de nos fiancés! Nous les avons tant aimés! Moi? je crois que j’aime toujours Jacques!

– Alors, laisse-moi mourir toute seule. Toi, tu as des amis, la famille de Jacques t’a adoptée, la marquise t’aime comme sa fille, tu peux être heureuse encore! Moi, je n’ai plus rien et je n’aime plus Frédéric… laisse-moi mourir toute seule!

– Pourquoi parles-tu ainsi, ma bonne Thérèse? C’est justement parce que j’aime toujours Jacques que je veux mourir!

Elle eut la force de se lever, de se traîner jusqu’au secrétaire, de prendre la place que lui cédait Marie-Thérèse qui venait de sceller sous enveloppe le sachet et les lettres.

Elle ouvrit un tiroir, y prit une fleur desséchée qu’elle y avait mise le soir où Jacques lui avait, pour la première fois, parlé le doux langage de l’amour, fleur qu’elle avait respirée ce soir-là, sur sa poitrine, à la boutonnière de son smoking, soir de lumière et de joie, où ils s’étaient juré d’être l’un à l’autre éternellement…

Elle se pencha sur son secrétaire.

«Jacques, vous avez cru que vous m’aimiez, mais vous n’aimiez que la gloire; celle-ci m’a trop fait attendre, et maintenant vous m’avez oubliée! Adieu! mon ami chéri, adieu pour toujours, je vous pardonne! Gardez en souvenir de moi cette fleur que j’avais conservée en souvenir de mon amour!»

Et elle signa son nom sur lequel tomba une larme.

Elle glissa la fleur dans la lettre, cacheta et écrivit sur l’enveloppe: «À porter avenue d’Iéna et à remettre au commandant».

– C’est fait, dit Lydie en tendant le pli à Marie-Thérèse, va remettre toi-même ces enveloppes à Jacqueline et dis-lui qu’elle porte tout cela, au sortir de la messe!

– Et si j’écrivais un mot aussi à Frédéric! fit Marie-Thérèse subitement. Moi, je désire qu’il sache une chose, c’est que c’est lui qui me tue et que je ne lui pardonne pas!

Et elle écrivit:

«Frédéric, votre conduite et celle de Jacques nous ont enlevé le goût de la vie! Adieu donc, messieurs, et soyez heureux avec ces dames!

Un dernier conseil: ne point pénétrer dans la chambre de Lydie avec de la lumière.»

XIV CHÉRI-BIBI ET LA FICELLE

M. Hilaire suivait donc le marchand de cacahuètes. Tout doucement l’autre s’était mis à remonter les quais.

Il ne devait pas être loin de trois heures du matin.

Des ombres singulières apparaissaient tout à coup et disparaissaient presque aussitôt, frôlant le père Cacahuètes qui, lui, ne paraissait s’étonner de rien, marchant toujours cahin-caha, son petit baril au bras avec l’allure d’une vieille qui revient de faire ses provisions.

De l’autre côté de l’eau, des coups de sifflet bizarres semblaient s’appeler et se répondre. La nuit était menaçante de mystère. Enfin M. Hilaire regrettait de n’être point couché tranquillement à côté de Mme Hilaire, son épouse.

Et cependant il venait de retrouver Chéri-Bibi!

Car c’était bien lui! Il ne pouvait plus en douter et les dernières paroles relatives à la morue espagnole dont il régalait jadis son ami avaient définitivement éclairci ses soupçons!

Chéri-Bibi, qu’il avait tant aimé, qu’il avait tant pleuré, était vivant! D’où venait donc que le cœur de M. Hilaire n’était point rempli d’une sublime allégresse?

Déchu moralement et physiquement, Chéri-Bibi n’était plus qu’une ruine! En vérité, cela, M. Hilaire osait à peine se le dire, au fond, tout au fond de son obscure conscience. N’eût-il point mieux valu pour Chéri-Bibi qu’il fût mort, mort héroïquement, superbement, dans l’incendie de la Falaise, sous les ruines fumantes de la maison du Touchais, ou au bagne quand il y était retourné, que de ressusciter à nouveau aux yeux attristés de la Ficelle (chut! de M. Hilaire) dans la lamentable carcasse d’un marchand de cacahuètes!

– Regardez-le, le pauvre, comme il traîne la patte! s’interpellait en douceur M. Hilaire… Si ça n’est pas à pleurer! Il doit être perclus de rhumatismes! Pourquoi n’est-il pas venu me trouver plus tôt? Sans doute parce qu’il avait honte… Je lui ferai une petite rente sans en parler à Mme Hilaire, pauvre Chéri-Bibi!

«Mais où va-t-il? Où va-t-il?»

«Ah! on entre dans le cul-de-sac historique» Oui. M. Hilaire reconnaît le cul-de-sac historique. C’est là que le duc d’Orléans fut assassiné au temps des Armagnacs. On était dans le quartier des Francs-Bourgeois, dans le quartier de M. Hilaire.

Quand M. Hilaire arriva au coin du cul-de-sac, qu’un pâle reflet de lune éclairait bien faiblement, il allongea la tête et vit Papa Cacahuètes en grande conversation avec un petit gars à casquette et à accroche-cœur sur les tempes, dont l’aspect seul causa à M. Hilaire une répugnance que nous renonçons à décrire.

«Voilà donc les gens qu’il fréquente maintenant!»

Le gars à casquette se trouvait entre les brancards d’une voiture à bras qui paraissait lourdement chargée de deux sacs. Il l’avait tirée jusque-là et, sans doute, attendait-il des ordres. C’est alors que Papa Cacahuètes lança un sifflement strident, qui fit bondir de l’ombre M. Hilaire, comme il lui arrivait autrefois quand Chéri-Bibi l’appelait pour une besogne pressée. M. Hilaire ne se rendit compte de la spontanéité touchante de son geste que lorsqu’il fut près de Papa Cacahuètes. M. Hilaire rougit dans l’ombre et Papa Cacahuètes se mit à rire à petits coups déplaisants en grinçant entre ses dents (car il les avait conservées toutes… une mâchoire terrible):

– Bravo! M. Hilaire!

L’épicier eut un haut-le-corps et fit un pas de retraite… Décidément, Chéri-Bibi allait le compromettre! il eut envie de lui souffler: «Ne me nommez pas, je suis dans mon quartier!»

Mais, après tout ce qu’il venait de voir, il était inutile d’apprendre à Chéri-Bibi qu’il habitait dans ce quartier-là!

35
{"b":"100393","o":1}