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«J’entendis enfin la porte de la rue se refermer et aussitôt la détestable patrouille s’éloigner dans la nuit. Alors, je sautai de mon lit et allai pousser les verrous. Puis, d’un bond, je revins au lit et en tirai Florent avec beaucoup de difficultés, parce que, depuis qu’il était là, il avait essayé de garder sa respiration autant que possible et qu’il était suffoqué, sans voix et aussi trempé de sueur que s’il avait été dans son bain!

«Je l’étendis près de ma fenêtre que j’ouvris et lui fis prendre un grand verre d’eau-de-vie. À la fin, il revint à lui, m’exprima toute sa gratitude et me dit combien il avait été effrayé et surpris de mon courage en présence de ces hommes, surtout quand ils avaient regardé dans le lit!

– Certes! lui dis-je, il y en a peu qui auraient fait ce que j’ai fait pour toi! Il en convint et je lui fis comprendre qu’une seconde aventure comme celle-là serait de trop pour mes forces et qu’il ne pouvait mieux me récompenser de l’avoir eu près de moi en un pareil moment qu’en me quittant le plus tôt possible!

«Son visage, en m’écoutant, marquait une assez grande mélancolie. Toutefois il m’entendit, n’insista pas, m’embrassa et partit.

«Je refermai ma porte sur lui tout doucement et j’eus le cœur serré en l’entendant descendre avec précaution l’escalier. Mais, quoi! J’étais sûr, quoi qu’il arrivât, et même s’il était pris dans la maison, de pouvoir prétendre désormais qu’il n’était pas caché chez moi et, en vérité, j’en avais assez fait pour un homme qui avait passé son existence à n’être de mon avis sur rien et à me disputer à propos de tout!

XXIV DU PLUS GRAND DANGER QUE COURENT LES RÉVOLUTIONS

Ce n’avait pas été une tâche facile pour ce pauvre M. Hilaire, obéissant aux ordres de Chéri-Bibi, que celle de décider les hôtes de l’hôtel du Touchais à le suivre. Quand Cécily avait appris le désastre de son fils et quand Lydie connut que son fiancé avait été fait prisonnier, elles déclarèrent toutes deux qu’elles ne tenaient plus qu’à une chose qui était d’aller partager son sort dans son cachot.

Heureusement, Marie-Thérèse fut raisonnable pour trois. Soutenue par Jacqueline, elle avait vaincu les dernières hésitations de Cécily et de Lydie, et nos quatre fugitives, ayant abandonné l’hôtel, étaient restées jusqu’à la fin du jour dissimulées au fond d’une singulière échoppe dont le patron, tout barbouillé de noir, avait métier de vendre du bois et du charbon.

La nuit tombée, M. Hilaire avait conduit son monde sans encombre, non loin de là, dans une petite ruelle qui passait derrière ses magasins, et où il avait une réserve dans un sous-sol qui communiquait avec ses caves…

On descendait directement de la ruelle dans cette réserve, par une porte basse servant ordinairement au passage des barriques. M. Hilaire eut vite fait d’en crocheter la serrure et d’y faire descendre les quatre malheureuses. Aidé de son «bougniat» en lequel il semblait avoir une bien grande confiance, il les installa là, avec quelques provisions de bouche, au milieu de ses fûts, le plus confortablement qu’il put. Le bougniat avait prêté des paillasses et des draps, que l’on fut étonné de trouver tout blancs en dépit de la couleur de leur propriétaire. Enfin, M. Hilaire, après avoir fait sortir le bougniat, après avoir condamné la porte qui faisait communiquer la réserve et sa cave, et après avoir recommandé à ces dames de se barricader à l’intérieur et de n’ouvrir la porte de la rue à personne, sous aucun prétexte, referma cette porte et courut à son club pour avoir des nouvelles.

Elles étaient bien mauvaises pour le commandant mais elles étaient bonnes pour M. Hilaire, à qui on apporta la ceinture de commissaire de la section!

De temps en temps, M. Barkimel, qui avait pris tant de part, comme nous le savons, à la nomination de M. Hilaire, lui disait:

– Vous ne vous déciderez donc pas à rentrer? Mme Hilaire doit être morte d’inquiétude! Songez que voilà deux nuits que vous découchez!

Mais M. Hilaire n’était point pressé de rentrer! Ah! ça ne l’inquiétait guère que Mme Hilaire fût morte d’inquiétude! C’était bien au contraire l’idée qu’elle ne l’était point, morte d’inquiétude, qui le troublait davantage! «Qu’est-ce qu’il allait prendre en rentrant!»

Tout à coup, il se frappa le front.

Chacun crut qu’il avait trouvé la solution de l’un de ces nombreux problèmes sociaux dont la discussion agitait si tumultueusement les réunions du club de l’Arsenal et chacun fit groupe autour de lui.

Et, en vérité, il s’agissait bien de quelque chose comme cela.

– Mes amis, commença M. Hilaire sur le ton de la plus grave confidence, pourriez-vous me dire quel est, à l’heure actuelle, le plus grand danger de la révolution?

Les amis de M. Hilaire se regardèrent en fronçant le sourcil comme si cette pauvre révolution était déjà à bout de souffle et comme si l’on avait pris la précaution de les réunir tous là, à une heure aussi avancée, pour la sauver.

Mais comme, en général ils manquaient d’imagination, ils secouèrent la tête avec un sombre désespoir.

Alors M. Hilaire se décida à frapper un grand coup:

– Le plus grand danger de la révolution, c’est la femme!

Et il attendit pour juger de l’effet produit. Ces messieurs se regardèrent, bouche bée; les uns, qui étaient célibataires, dirent: «Peut-être bien!»; les autres, qui étaient mariés, ne dirent rien du tout pour ne pas se compromettre. Ils attendaient la suite.

– Il est certain, opina M. Barkimel qui consentait difficilement à se taire, il est certain, par exemple, que les «tricoteuses»…

– Citoyen Barkimel interrompit M. Hilaire, ne dites point de mal des tricoteuses. Elles étaient laides, mais leur hideur même, en épouvantant les ennemis de la nation, ne faisait qu’ajouter à leur châtiment et la Révolution ne s’en est jamais plainte! Je vise ici les femmes privées, l’immense armée de nos femmes, à nous, hommes mariés! Je parle des femmes de nos foyers, des mères de nos enfants, des ménagères au cœur bon et tendre qui nous rendent si doux le retour à la maison après les travaux du jour! Ce sont celles-là qui sont un danger, un perpétuel danger pour la révolution!

Il s’arrêta encore et les vit tous médusés, comme on dit, et suspendus à ses lèvres.

– En vérité! continua-t-il avec une nouvelle énergie, combien voyons-nous de citoyens s’étonner des propositions de lois les plus anodines. Combien aussi en voyons-nous qui, partisans, la veille d’une action prompte et terrible, reviennent, le lendemain, avec des amendements destinés à faire perdre à la loi toute son efficacité et toute sa force?

«Pourquoi ces changements? Pourquoi ces tremblements? Pourquoi cette timidité qui peut perdre, je le répète, la République?

«… Citoyens! cherchez la femme! C’est un être de bonté, mais aussi de faiblesse; et cette faiblesse, ô misère, par un étrange phénomène dont il est absolument nécessaire de nous garder, cette faiblesse est plus puissante que notre force! Elle la ruine, avec des larmes! Elle la détruit avec un sourire. Elle l’anéantit quelquefois aussi, il faut bien le dire, avec la menace!

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