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– Vous connaissez la marquise du Touchais? s’exclama Jean-Jean.

– Il connaît la daronne! répéta Polydore.

– Et Mlle Jacqueline, et Mlle Lydie et toute la famille, et j’en suis fier, croyez-le bien! Et si vous êtes de leurs amis, permettez-moi de vous le dire: les amis de mes amis sont mes amis! Le jour où, passant devant mon seuil, il vous plaira de venir boire à la santé du commandant, ce sera un beau jour pour la Grande Épicerie moderne.

– Puisqu’il en est ainsi, commençons tout de suite! proposa Jean-Jean. Une tournée à la santé du commandant!

Rassurés, MM. Barkimel et Florent serrèrent avec effusion les rudes mains de leurs nouveaux amis.

On appela le garçon. On but. On trinqua. On cria: «Vive le commandant!» et après une dernière accolade et un dernier coup d’œil sur la pendule, les deux mathurins descendirent.

M. Hilaire se précipita à la fenêtre.

M. Barkimel dit à M. Florent:

– Commandons le déjeuner, moi, je meurs de faim! Eh bien, qu’est-ce que vous regardez là, monsieur Hilaire?

– Eh! mais, ce sont mes deux hommes qui traversent le boulevard.

– Ces deux louches individus ont l’air de vous préoccuper vraiment! fit timidement M. Barkimel en tirant la manche de M. Hilaire.

– Savez-vous bien qu’ils auraient eu bien des excuses de nous casser la figure! ajouta M. Florent. Nous les suivons depuis ce matin!

– Sans doute, monsieur Hilaire, vous les avez entendus parler entre eux de ce restaurant et vous nous avez fait la mauvaise farce de nous amener ici sans nous prévenir!

Mais M. Hilaire, toujours à son poste d’observation, ne semblait rien entendre.

– Tenez! les voilà qui entrent dans ce bel hôtel, dit M. Barkimel qui s’était mis, lui aussi, à regarder à la fenêtre. Ma parole, ils entrent là comme chez eux!

Le garçon venait de remonter avec les couverts. M. Hilaire se retourna vers lui et l’interrogea.

– Dites-moi, garçon! quel est ce bel hôtel, là-bas, de l’autre côté du boulevard?

– Cet hôtel-là, répondit le garçon d’une voix caverneuse, c’est celui de Mlle Sonia Liskinne, et le monsieur qui descend de voiture et qui entre dans l’hôtel, c’est M. Lavobourg, vice-président de la Chambre des députés, qu’on dit son ami et qu’est un traître à la République! Ces messieurs ont choisi?

M. Hilaire commanda ce qu’il voulut. MM. Barkimel et Florent n’avaient plus faim.

X LE MARCHAND DE CACAHUÈTES

Lavobourg s’était fait annoncer à Sonia. C’était la première fois qu’il allait la revoir depuis son terrible entretien avec le baron d’Askof.

La veille, il s’était présenté à l’hôtel vers les cinq heures, mais on lui avait répondu que madame était sortie et qu’elle dînerait en ville.

Vers les onze heures, il était revenu à l’hôtel. On lui avait dit que madame s’était couchée, qu’elle avait eu un violent mal de tête, qu’elle avait prié qu’on la laissât reposer et qu’on avertît M. Lavobourg, s’il se présentait à l’hôtel, qu’elle comptait sur lui au déjeuner du lendemain.

Lavobourg avait passé la nuit du samedi au dimanche sans fermer l’œil. Il n’avait point revu Askof, mais il n’avait cessé de penser à lui et à ce qu’il lui avait dit. Et il n’était plus sûr de rien!

Il ne doutait point qu’Askof fût très épris de Sonia. Le baron avait peut-être parlé par jalousie. D’autre part, Lavobourg tenait d’Askof lui-même que celui-ci ne travaillait pour le commandant que contraint et forcé et qu’il détestait Jacques! Askof n’avait peut-être imaginé toute cette horrible fable des amants surpris que pour le déterminer, lui, Lavobourg, à une vengeance qui aurait fait surtout son affaire, à lui, Askof!

Peut-être aussi avait-il dit la vérité?

Lavobourg souffrait tellement de cette vérité-là qu’il était disposé de plus en plus à ne pas y croire!

– Bonjour, Lucien!

Elle venait d’entrer. Elle avait une de ces charmantes toilettes floues d’intérieur, robe de déjeuner intime, faite de quelques chiffons, dont toute la «façon» consistait dans l’art avec lequel elle les drapait autour de ses belles formes souples.

Rarement elle l’appelait ainsi par son petit nom.

«Lucien!» Il la regarda.

Elle lui dit tout de suite:

– Vite que je vous rassure… tout va bien! Il ne reste plus qu’une petite formalité dont je vous parlerai tantôt, et bientôt toutes vos transes seront finies… Voyons, racontez-moi tout ce que vous avez fait depuis que je ne vous ai vu.

– Et vous? fit-il brusquement. La réplique était partie malgré lui.

Surprise du ton dont cela avait été lancé, elle le fixa avec audace, peut-être avec trop d’audace:

– Comment: et moi?

– Oui, et vous? Voilà deux jours que je me présente à votre hôtel et deux jours qu’il m’est impossible de vous voir!

– Vous vous présentez à mon hôtel! On ne vous reçoit pas! Vous savez bien que vous êtes chez vous, dans mon hôtel… Mais vous êtes fabuleux, mon cher! Je dînais en ville, tout simplement… Voyons, Lucien, sérieusement, qu’est-ce que vous avez?

– Rien! Rien! fit-il en lui prenant les mains et en les couvrant de petits baisers précipités… rien…

– Et puis, dit-elle, de sa belle voix grave et richement timbrée, et puis, j’ai travaillé avec Jacques!

– Ah!

– Cela vous étonne? Pourquoi dites-vous: «ah!» de ce ton de mélodrame? Vous êtes toujours jaloux? Vous m’amusez, vous savez, avec votre jalousie? Ah! mon pauvre ami, si vous saviez ce que je compte peu pour lui!

– Oui, oui, vous dites toujours cela! Mais dois-je vous croire? Et il lui souriait maintenant.

Lui, il ne croyait plus, non, il ne croyait plus l’affreuse chose. Sonia était trop simple, trop franche et lui montrait un si honnête visage!

– Ne reparlons plus de ces enfantillages, supplia-t-il. Et causons un peu politique. Voyons! Est-ce que je vais bientôt être mis dans le grand secret?

– Tout de suite, mon cher, c’est-à-dire après le déjeuner… Vous saurez tout. Et c’est moi qui suis chargée de tout vous apprendre! Plaignez-vous! Nous allons passer un bel après-midi ensemble! Voici le programme de la journée:

«Déjeuner intime dans le petit boudoir. À ce déjeuner, il n’y aura que Jacques, que personne ne saura ici, Askof, qui viendra ostensiblement, vous et moi!

«L’après-midi, nous travaillons tous les deux. Le soir, nous dînons dans un restaurant du boulevard, vous, Askof et moi. Il faut que nous nous montrions, mon cher… Ensuite, nous irons au théâtre, et, à minuit et demi, au bal du Grand-Parc, où nous avons une loge.

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