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– Je n’oublierai jamais, quant à moi, reprit M. Hilaire après un silence, la douceur avec laquelle monsieur le marquis appelait jadis Mme la marquise. Ah! quand monsieur le marquis avait dit dans ce temps-là: «Cécily!» il avait tout dit. Certes, vous fûtes un ménage adorable. Je ne saurais, ajouta-t-il, en dire autant du mien. La vie y était devenue un enfer!

– Qu’est-ce que vous me racontez là, monsieur Hilaire? Mais la dernière fois que vous m’avez parlé de Mme Hilaire, c’était avec des sanglots dans la voix. Vous ne vous consoliez point de sa disparition!

– Eh! c’est que je la croyais disparue! s’exclama M. Hilaire.

– Elle n’est donc point morte?

– Monsieur le marquis, la vérité est que ce jour que je vous parlais d’elle pour la dernière fois, je croyais bien, en effet, ne plus jamais la revoir. La paire de bottines et le chignon brûlés m’avaient fait répandre des larmes sur un sort que je croyais tragique et je revenais tristement, passé neuf heures du soir, par la rue du Roi d’Italie, me dirigeant vers la Grande Épicerie moderne, quand j’aperçus, venant à moi, la main tendue et le sourire aux lèvres, vous ne devineriez jamais qui? Mes bons amis: MM. Barkimel et Florent.

«- Eh! quoi! m’écriai-je, vous voilà, ressuscités! Allons prendre un petit verre sur le comptoir pour fêter ce beau jour!

«Nous nous acheminâmes donc vers ma demeure, cependant qu’ils me contaient comment ils avaient échappé à la guillotine et avec quelle prudence ils s’étaient cachés jusqu’au rétablissement du calme. Soudain, M. Florent me dit:

«- Notre premier soin, à M. Barkimel et à moi, en revenant dans le quartier, a été de faire un petit tour par chez vous, en dépit de l’heure tardive… La devanture était baissée, mais la porte était encore ouverte. Seulement, nous n’avons pas osé entrer à cause de Mme Hilaire.

«- Vous êtes bien bons, déclarai-je… Évidemment, j’ai du regret de la voir trépassée, mais cela ne pouvait nous empêcher de trinquer à notre santé…

«MM. Barkimel et Florent me regardèrent comme si j’étais devenu fou!

«- Ah! bah! vous en avez de bonnes et vous aimez toujours la plaisanterie! s’exclama M. Florent. Jamais Mme Hilaire ne s’est mieux portée! Elle remplit le comptoir!

«- Hein?

– Quoi?

«- Je ne les écoutais plus! Je courus d’une traite jusqu’à l’épicerie, je jetai prudemment un coup d’œil par un coin de la porte, à l’abri de l’auvent… et j’aperçus, en effet, Mme Hilaire qui se dressait, formidable, au comptoir et qui confiait au commis de garde l’irritation qu’elle avait contre moi de ce que je n’avais point perdu mes mauvaises habitudes!

«- Si ce n’est pas honteux, s’écriait-elle, de n’être pas rentré à des heures pareilles!

«Mon Dieu, monsieur le marquis, c’est ce que je me suis dit à moi-même; j’avais honte de rentrer à une heure aussi tardive, tellement honte que je ne suis pas rentré du tout.

– Mauvais mari! exprima Chéri-Bibi qui souriait formidablement derrière ses énormes lunettes. Mauvais mari. Je comprends tout… C’est pour fuir le devoir conjugal, monsieur Hilaire, que vous daigner m’accompagner aux antipodes.

– Si seulement je savais ce que nous allons y faire, osa demanda M. Hilaire pour détourner la conversation.

– Eh! bien, je vais vous confier ça, à vous, monsieur Hilaire, malgré tout le mépris que votre conduite matrimoniale m’inspire. Après ce qui vient de m’arriver en France, je commence à être dégoûté des républiques. Je sais que, là-bas, ils ont besoin d’un empereur. Qu’est-ce que vous diriez de Chéri-Bibi empereur!

– Je dis, s’exclama M. Hilaire enthousiasmé, que Chéri-Bibi n’a rien à se refuser.

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