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Quant au clerc de notaire en savate, M. Mazeppa, et au marchand de cacahuètes, ils avaient l’air de faire bande à part et ne se mêlaient pas à la conversation qui roulait sur les événements du jour et sur la prise du Subdamoun dont ils disaient pis que pendre…

Mme Hilaire se mettait en quatre pour contenter «tout son monde». Voyant que Papa Cacahuètes était fort triste et mangeait peu, elle lui adressa de douces paroles:

– Ça va, monsieur, en ce moment, le commerce des cacahuètes?

– Mon Dieu! madame, répondît le vieillard avec une grande mélancolie, je dois vous avouer que le commerce traverse une crise, en ce moment.

Puis il se tut. Et Mme Hilaire retomba dans ses réflexions. Quelles drôles de gens tout de même! Quels singuliers convives! Enfin, il était à présumer qu’elle ne les aurait pas tous les jours à sa table!

Comme son épouse en était là de ses pensées et de son ahurissement, M. Hilaire lui confia qu’il avait décidé de donner l’hospitalité aux deux forts de la halle, MM. Jean-Jean et Polydore, lesquels avaient eu le malheur d’être mis à la porte de leur domicile, le matin même, par leur propriétaire, un bourgeois avare et imprudent qui avait la prétention qu’on lui payât son loyer en ces temps de trouble!

Mme Hilaire ne comprit rien tout d’abord à ce qu’on lui disait, tant l’affaire lui apparaissait monstrueuse! Enfin, quand il fut bien entendu qu’on allait loger ces deux brutes, elle se leva.

Non! non! Cette fois, elle en avait assez vu et assez entendu!

– Où vas-tu, ma chérie? demanda M. Hilaire. Elle s’en fut à la cuisine. M. Hilaire la rejoignit:

– Quoi donc? fit-il. Il y a quelque chose de cassé?

Elle eut une expiration de soufflet de forge et finit par dire:

– Tu ne voudras pourtant pas leur donner notre lit?

– Non! répondit M. Hilaire avec tranquillité. Je les mettrai dans la cave. Là, ils ne nous gêneront pas!

– Dans la cave! dans la cave où il y a le vin! le jambon! le cervelas! les provisions de comestibles! Dans la cave!

Mme Hilaire, pour ne pas tomber, se raccrocha au garde-manger qui céda, et M. Hilaire dut retenir le tout, ce qui fut, un moment, l’un des plus grands efforts de sa vie.

Enfin Virginie retrouva l’équilibre.

– Je ne comprends plus rien à ce que tu me dis, ni à ce que tu fais, et je crains bien de devenir folle! C’est peut-être déjà fait!

Alors, pitoyable, M. Hilaire embrassa Mme Hilaire, qui eut envie de le mordre, mais qui, après ce qui s’était passé, trouva plus prudent de recevoir la caresse avec un sourire:

– N’essaye pas de comprendre, ma Virginie, et tu seras heureuse! Sur quoi, il la laissa et alla s’enfermer dans la salle à manger avec ces gens qui étaient de condition si bizarre et que Mme Hilaire n’avait jamais vus «ni d’Ève, ni d’Adam».

Mme Hilaire, les jours suivants, en vit bien d’autres!

La salle à manger était devenue comme la salle d’une sorte de conseil de guerre où se rencontraient à toute heure ce fantastique marchand de cacahuètes, ce petit voyou de Mazeppa, le «bougniat» et ces deux forbans qui ne quittaient plus guère la maison.

C’étaient ces deux-là, Polydore et Jean-Jean, qui tracassaient le plus Mme Hilaire: les savoir, la nuit, chez elle, en train de faire ce qu’ils voulaient, cela «la dépassait» et «elle s’en mangeait les sangs»!

Le plus beau était que M. Hilaire continuait de leur descendre lui-même ce qu’il appelait «leur en-cas pour la nuit»! Et quel en-cas! Du poulet, des primeurs, des fruits… enfin, tout ce qu’il y avait de mieux! Elle croyait rêver!

Enfin, elle avait reçu l’ordre de ne plus descendre à la cave!

– Tu comprends, avait dit M. Hilaire, maintenant qu’il y a deux hommes qui l’habitent, ta place n’est pas là!

XXV DES DÉCOUVERTES QUE FIT MME HILAIRE EN SE PROMENANT DANS SA CAVE ET DE CE QUI S’ENSUIVIT

Mais il arriva un jour – le jour justement de la première charrette – que MM. Polydore et Jean-Jean furent absents dans le même temps que M. Hilaire.

Virginie alluma aussitôt une lanterne, se fit ouvrir la trappe et descendit l’escalier à pic qui menait à ce sombre mystère.

Le désordre qui y régnait était inimaginable. Les caisses avaient été bousculées, certaines éventrées.

Le vin avait coulé des fûts, humectant le sol à faire croire à une crue extraordinaire de la Seine. Un tonneau de petit vin d’Anjou mousseux était vide. Un baril de harengs saurs répandait à demi son contenu sur ce sol fangeux.

Des jambons fumés avaient disparu, ou plutôt les os qui en restaient disaient assez qu’en dépit des bons repas de la salle à manger et des «en-cas» nocturnes de M. Hilaire, MM. Polydore et Jean-Jean avaient satisfait sur eux leur incroyable boulimie.

La lanterne, les soupirs et les sourdes exclamations d’horreur de Mme Hilaire se poursuivaient au milieu de tout ce ravage, quand soudain un bruit de voix se fit entendre du côté de la réserve!

Mme Hilaire s’arrêta, tremblante. Qui donc avait parlé?

Elle écouta encore, mais en vain, cette fois… Cependant, il n’y avait pas d’erreur. La chose était bien venue du fond de la cave, qu’une simple cloison de planches, fermée d’une porte épaisse, séparait de la réserve…

Mme Hilaire dut comprimer, d’une main lourde, les battements de son cœur.

Elle se glissa, avec des précautions infinies, jusqu’au fond du mystérieux souterrain…

Contre la porte de la réserve, on avait roulé deux grosses barriques! Pour empêcher de passer…

Chut! de nouveaux murmures!

Un soupir qui ne part pas de la gorge de Mme Hilaire!

Une voix de femme!

Vierge sainte! M. Hilaire cache une femme dans la réserve.

Tout s’explique!

Les «en-cas», toutes les douceurs que M. Hilaire transporte dans la cave, tout cela n’est nullement destiné à Polydore et Jean-Jean qui, elle a pu le constater, hélas! se rattrapent par ailleurs… Non! toutes ces douceurs sont pour la femme!

Quelle femme?

Une maîtresse de M. Hilaire! Enfer et damnation!

«Une de la haute», sans doute, puisqu’elle se cache comme une suspecte!

M. Hilaire a toujours eu du goût pour les femmes de la haute. Son dévouement à Mme la marquise du Touchais a paru souvent inexplicable à Mme Hilaire.

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