Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Et il faut que M. Hilaire y tienne, à cette femme, qui est dans la réserve, pour qu’il la fasse garder par ces deux monstres, par ces deux dogues insatiables qui lui coûtent les yeux de la tête et ruinent son commerce!

Ah! ah! en vérité! voilà donc toute l’histoire! Si Mme Hilaire ne reconnaissait plus M. Hilaire, qu’y avait-il d’étonnant à cela? C’était cette femme qui le lui avait changé! C’est pour elle que Mme Hilaire avait tant souffert, pour elle qu’elle avait été humiliée, menacée, froissée, ridiculisée devant tous! C’est à cause de cette femme que Mme Hilaire n’était plus maîtresse chez elle!

– Eh bien! on allait voir!

Résolue à se venger d’une façon éclatante et sachant que la vengeance est un plat qui se mange froid, l’épicière se hâta de regagner, sans faire le moindre esclandre, la lumière du jour.

Tout à coup, Papa Cacahuètes fit son entrée.

M. Hilaire n’était pas encore arrivé. Papa Cacahuètes alla saluer Mme Hilaire, et lui annonça que, passant par l’Hôtel de Ville, il avait appris avec joie que M. Hilaire venait d’être nommé inspecteur des prisons!

– Mes félicitations, madame! ajouta-t-il. Tous les jours votre mari monte en grade, acquiert une nouvelle fonction! La révolution rend hommage à ses grandes qualités de cœur et d’esprit!

– C’est bien parlé! approuva Jean-Jean qui venait d’arriver et qui avait entendu. Nous fêterons, ce soir, cette bonne nouvelle! On débouchera une ou deux bouteilles de champagne!

– Et on videra un flacon de vieux rhum de la Martinique! ajouta Polydore.

Mme Hilaire baissa les yeux pour ne pas montrer tout le courroux et toute la haine dont ils étaient pleins.

Tous ces misérables étaient les complices de son mari!

Enfin, l’épicier arriva et reçut sans trop d’étonnement la nouvelle de son élévation à une dignité aussi importante que celle d’inspecteur des prisons dans un temps où elles étaient pleines.

Le vaniteux commençait déjà à se faire aux honneurs!

Une autre nouvelle, apportée par son ami «le nouveau bougniat», l’homme aux joues noires et aux mains blanches, parut le toucher davantage.

Il frissonna de tout son corps en entendant «M. Frédéric» raconter avec une émotion nullement feinte la peine qu’il avait éprouvée en apprenant, quelques minutes avant son arrivée, que son prédécesseur, le brave «bougniat» qui lui avait si aimablement passé son fonds: «Planches de sapin, lattes et houille», avait été trouvé mort, le matin même, rue de Turenne, avec un grand couteau planté dans le dos.

Ce brave homme était, depuis longtemps, un ami de M. Hilaire et nous savons le service qu’il lui avait rendu le jour où le commissaire de la section de l’Arsenal s’était occupé de mettre en lieu sûr la famille du Touchais.

N’était-ce point terrible de se voir récompenser de ce service-là par un coup de couteau?

Peut-être avait-il laissé échapper une parole imprudente? malgré les recommandations extraordinaires de M. Hilaire…

– Peut-être ce coup de couteau n’était-il que de précaution? Oh! abominable, épouvantable Chéri-Bibi!

Sur ces entrefaites survint à son tour, bien pâle et bien défait, ce pauvre M. Barkimel. Il sortait du tribunal révolutionnaire et avait rencontré en route un collègue, lequel avait assisté à la cérémonie de la place de la Révolution et lui avait raconté comment était mort Tissier, l’ex-vice-président de la Chambre, condamné par M. Barkimel!

– Il n’y a pas à dire! exprima celui-ci avec une certaine mélancolie, ça fait quelque chose de se dire qu’on a fait tomber la tête d’un homme! Un homme qui, tout à l’heure, respirait comme vous et moi, parlait et tournait la tête!

– Ah! ah! tournait la tête! Bravo pour tourner la tête! Vous avez trouvé ça tout seul: tourner la tête! Évidemment, maintenant, il ne peut plus la tourner.

C’était l’horrible Mazeppa qui arrivait.

M. Barkimel, qui était cependant au courant des nouvelles mœurs hospitalières de M. Hilaire, n’avait pas encore eu l’occasion de se trouver en face de ce nouveau «pauvre». Il recula épouvanté. Mais le père Cacahuètes sortit soudain de son rêve pour présenter le jeune Mazeppa. «Mon secrétaire!» ajouta-t-il avec un rire inattendu qui lui racla la gorge et qui effraya les autres autour de lui, plus que tout le reste.

Il pénétra le premier dans la salle à manger, et on l’entendait rire encore là-bas, tout seul, et de quel rire!

M. Hilaire, lui-même, en était tout pâle.

Quant à «Monsieur Frédéric», le bougniat «à la manque», il s’enfuit, après s’être excusé auprès de Mme Hilaire de ne pouvoir accepter son invitation à dîner pour ce soir-là.

Mme Hilaire se disait en elle-même, tout au fond de sa malice avertie par sa récente découverte: «Jouez bien la comédie, mes bonshommes! Il va falloir s’expliquer tout à l’heure!» Et elle entra dans la salle à manger en donnant le bras à M. Barkimel et semblant ignorer tous les autres convives.

– Je ne sais pas ce qu’a Mme Hilaire, aujourd’hui, prononça la voix éraillée de Chéri-Bibi, qui était déjà attablé comme un malotru, mais elle a un petit air qui lui sied à ravir!

Mme Hilaire ne broncha pas. Elle attendait son tour!

La conversation roula dès l’abord sur la nouvelle de l’arrestation du baron d’Askof, que publiait en dernière heure le Journal des clubs. Et là-dessus, le père Cacahuètes s’étonna de ce que l’on continuât à ignorer la retraite où se cachait la famille Touchais.

– Elle ne doit pas en mener large, la belle marquise! exprima Virginie… Elle qui faisait tant la fière qu’on n’osait pas lui adresser la parole! Où peut-elle être, maintenant? Elle aura peut-être trouvé quelqu’un comme tant d’autres pour la cacher dans sa cave!

À l’audition de cette phrase prononcée d’une voix agressive, tous les appétits restèrent suspendus.

Hilaire frémit, ce qui n’échappa point à Mme Hilaire, laquelle jouit de ce trouble avec une férocité à peine dissimulée. Polydore et Jean-Jean se regardèrent.

Papa Cacahuètes pria Mazeppa d’aller lui faire une course et de ne revenir que lorsqu’il «le sifflerait».

Puis, il toussa, leva ses lunettes noires sur Mme Hilaire et lui demanda d’une voix qui tremblait un peu:

– Que voulez-vous dire? madame Hilaire. Il faudrait vous expliquer!

– M’expliquer! repartit la maîtresse femme, déjà rayonnante de l’effet produit, est-il besoin de m’expliquer! M. Hilaire sait parfaitement ce que je veux dire!

– Moi? protesta l’innocent Hilaire… Mais j’avoue que je ne comprends même pas pourquoi «Papa Cacaouettes» s’étonne de ce que tu viens de dire. Évidemment, cette dame peut être cachée dans une cave ou dans un grenier!

63
{"b":"100393","o":1}