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– Cave ou grenier! s’écria Mme Hilaire, ce n’est pas moi qui la plaindrai! Et si jamais on la pince, cette pimbêche, avec sa mijaurée de Lydie et sa vieille hypocrite de Jacqueline, je serai la première à crier bravo!

– Vous la détestez donc bien? demanda la voix sourde de Chéri-Bibi.

– Je vais vous expliquer! intervint M. Hilaire.

– Chut! gronda la voix de Chéri-Bibi, chut! monsieur Hilaire, n’interrompez pas Mme Hilaire! ça ne se fait pas dans le monde!

– Oh! sur ce chapitre, nous n’avons jamais été d’accord, continua Mme Hilaire. Il a beau être maintenant tout ce qu’il voudra, M. Hilaire regrette certainement le temps où il était le domestique de ces gens-là! Il me l’a dit! Il ne le niera pas! Et ça se dit républicain, révolutionnaire, et tout le tralala! Moi, je ne suis qu’une femme du peuple et j’ai plus de rancune!

– En voilà assez! s’exclama M. Hilaire…

Mais Virginie continua de glapir:

– Penses-tu! Il la saluait toujours jusqu’à terre! On aurait dit qu’il en était amoureux, ma parole! Si ça n’était pas à vous faire suer! Sans compter qu’elle n’était pas meilleure qu’une autre, la Cécily ! On a assez parlé d’elle à Dieppe quand elle avait ses rendez-vous, jusque dans les églises, avec le vicomte de Pont-Marie!

Là-dessus il y eût un silence! quel silence!

D’abord, la parole de Mme Hilaire semblait avoir frappé M. Hilaire à mort. Il ne remuait plus, ne donnait plus signe de vie.

Soudain une voix doucement éraillée, celle du marchand de cacahuètes, fit entendre:

– Je vois que vous ne l’aimez pas!

– Ah! non! explosa Virginie! Tenez, puisque je ne peux pas espérer qu’elle sera ma femme de chambre, je ne lui souhaite qu’une chose: c’est qu’elle soit prise, jugée et guillotinée!

Un bruit de vaisselle cassée souligna aussitôt l’importance d’un pareil souhait.

C’était Papa Cacahuètes qui venait de dégringoler sous la table avec son assiette.

Papa Cacahuètes avait cette habitude de manger souvent sous la table, comme un chien. Il se trouvait ordinairement à son aise, le derrière par terre et ne se mêlant le plus souvent à la conversation que par des grognements.

Mais, cette fois, on ne l’entendit pas grogner. M. Barkimel voulut rompre un silence redevenu insupportable:

– Madame, vous êtes une vraie citoyenne. Je puis vous dire, à vous, une chose qui vous réjouira: «On est sur le point de découvrir la retraite de la marquise du Touchais!»

– Il y a donc un bon Dieu? déclara Virginie.

Quelque chose remua sous la table et M. Hilaire, pour prouver peut-être, lui aussi, qu’il n’était point tout à fait réellement mort, fit un geste sur sa chaise. MM. Polydore et Jean-Jean se balancèrent sur la leur.

– Oui, expliqua M. Barkimel. La chose s’est passée en fin d’audience au tribunal révolutionnaire. On nous avait apporté à juger une petite ouvrière blanchisseuse qui n’était pas plus blanchisseuse que moi et qui n’est autre que la baronne d’Askof! la femme de l’ami du Subdamoun qui, lui-même, a été arrêté au café Werter.

«La baronne d’Askof, dont nous devions régler immédiatement le sort et qui avait peur, naturellement, d’être condamnée à mort et exécutée dès demain, nous a demandé si nous lui accorderions la vie sauve dans le cas où elle nous mettrait en mesure d’arrêter la marquise du Touchais, mère du Subdamoun!

«L’accusateur public prit sur lui de lui promettre ce qu’elle demandait si ces indications étaient sérieuses. Alors elle nous dit que la blanchisseuse qui l’avait recueillie, elle, la baronne, et cachée à tous sous cet accoutrement était l’ancienne blanchisseuse de la marquise et que cette blanchisseuse avait reconnu une chemise de la marquise dans le linge que lui avait donné récemment une cliente!

À ces mots, M. Hilaire parut se trouver mal sur sa chaise et puis tout à coup poussa un cri perçant. On s’inquiéta.

– Oh! ce n’est rien, dit-il, c’est passé! Un pincement au cœur!

La vérité était qu’il venait d’être bel et bien mordu à la jambe par cette chose qui était sous la table.

Il mesura du coup la gaffe qu’il avait commise en glissant dans le linge de la maison une chemise de la marquise et il comprit aussi que si cette gaffe avait les conséquences redoutables qu’il fallait dès maintenant prévoir, ce n’était pas sa femme qui serait dévorée par cette chose qui était sous la table, mais lui-même, M. Hilaire, tout commissaire de section et inspecteur des prisons qu’il était!

M. Barkimel, qui ne s’apercevait point du drame que ses paroles déchaînaient à ces côtés, continuait:

– L’accusée donna le nom et l’adresse de la blanchisseuse, rue aux Phoques.

– Rue aux Phoques! s’écria Virginie… mais c’est notre blanchisseuse!

– L’affaire fut un instant suspendue, reprit M. Barkimel, pendant qu’on envoyait là-bas le commissaire aux délégations judiciaires. Ce magistrat revenait bientôt nous annoncer qu’on avait trouvé la blanchisseuse de la rue aux Phoques pendue à l’espagnolette de sa fenêtre. Hein! qu’est-ce que vous dites de cela? Croyez-vous que ça se complique! Il avait d’abord cru à un suicide, à cause d’une lettre d’amour trouvée près du cadavre, mais il n’avait pas eu de peine à reconstituer le crime! Encore un coup des amis du Subdamoun qui avaient dû être avertis qu’on était sur la trace de la mère de leur idole! Ces gens-là ne reculent devant rien!

– Et qu’est-ce que vous avez fait de la baronne d’Askof? eut encore la force de demander M. Hilaire, lequel s’était pris à suer à grosses gouttes.

– Eh! bien, reprit M. Barkimel, nous nous disposions à la condamner à mort, puisqu’elle ne nous avait servi de rien, quand elle s’écria qu’elle se rappelait parfaitement les initiales du linge de la pratique au milieu duquel on avait trouvé la chemise de la marquise… Ces initiales étaient…

Mais il ne put en dire davantage. Un fracas effroyable éclata tout à coup dans la salle à manger. La lourde table avait été renversée d’un seul coup avec tout ce qu’elle supportait de vaisselle, de verrerie et de couverts, et était retombée sur les pieds de M. Barkimel qui se prit aussitôt à pousser des cris d’écorché.

Et de toute cette confusion sortait Papa Cacahuètes, qui s’excusait auprès de Mme Hilaire de s’être relevé un peu trop brusquement et d’avoir été, ainsi, la cause stupide de la catastrophe!

M. Barkimel, dégoûté décidément d’un dîner où il n’avait trouvé aucun plaisir et où il s’était fait à peu près écraser les pieds, prit congé d’une façon assez maussade et gagna la porte de la rue, soutenu par le jeune Mazeppa qui avait reçu l’ordre de le reconduire chez lui et «de le veiller comme son père».

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