De leur côté, sur un signe de Papa Cacahuètes, MM. Polydore et Jean-Jean avaient prétexté d’une grande fatigue pour descendre sans plus tarder dans la cave, où leur couchette les attendait.
De telle sorte qu’il ne resta plus dans la salle à manger que Papa Cacahuètes, M. Hilaire et Mme Hilaire.
Celle qui ne doutait plus de la personnalité que l’on cachait «chez elle» paraissait prête à éclater.
La face congestionnée, la gorge furieuse, les poings sur les hanches, elle attendait un mot qui serait, pour elle, le signe de l’explosion.
D’abord, Papa Cacahuètes dit, après avoir refermé fort précautionneusement la porte:
– Je ne crois pas que cet imbécile de Barkimel se doute de quoi que ce soit, sans cela il ne serait pas venu dîner ici de peur de se compromettre et il ne nous aurait pas raconté l’histoire!
– Je ne le crois pas, en effet, murmura M. Hilaire qui tremblait de tous ses membres.
– Comment voulez-vous qu’il s’en doute? commença d’éclater Virginie. Mais moi, je n’ai plus rien à apprendre.
– Madame Hilaire! interrompit Papa Cacahuètes en lui prenant le poignet dans l’étau de sa main de fer et en la faisant reculer jusqu’au fond de la pièce, Madame Hilaire, je vous aime bien, car je ne saurais oublier que vous êtes la femme de mon ami Hilaire! Laissez-moi donc vous donner le conseil de crier moins fort quand vous parlez de votre cave. Savez-vous que c’est un bienfait inimaginable pour M. Barkimel que son imbécillité et l’ignorance où il est encore de ce qui se trouve dans votre cave… Ceux qui l’ont su, madame, en sont morts… Le bougniat qui a précédé «Monsieur Frédéric» en est mort… Votre blanchisseuse en est morte…
Il la lâcha, Elle tomba sur une chaise, comme dégonflée tout à coup, et elle regardait le diabolique bonhomme avec des yeux hagards. Maintenant, Papa Cacahuètes reprit un peu plus tranquillement:
– Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de vous, maintenant madame… maintenant que vous savez cette chose-là? C’est un secret dont vous n’êtes plus maîtresse! Un geste, un regard, peuvent nous trahir! Dans ces conditions, vous voyez bien qu’il faut disparaître!
– Mon Dieu! gémit M. Hilaire qui n’était point méchant, mon Dieu! ayez pitié d’elle!
Virginie fit entendre un soupir d’agonisante.
– Je vous donne la vie sauve, continua le vieillard, après réflexion, mais, je vous répète… il faut disparaître… et la meilleure façon que vous ayez de disparaître, pour moi, et pour tout le monde, est de descendre, à votre tour, dans votre cave, et de vous y enfermer avec la personne en question!
– Jam… mais elle n’acheva pas. Le flamboyant regard noir avait brûlé sa suprême résistance…
– Vous serez enfermée avec elle, madame Hilaire, et, comme cette dame, dans le triste état où elle est momentanément réduite, a besoin de petits soins, vous les lui donnerez! Vous les lui prodiguerez! Vous serez sa servante! son humble, son obéissante servante! Et vous lui dénouerez les cordons de ses chaussures! Je crois m’être suffisamment fait comprendre; c’est tout ce que je puis faire pour vous!
Il tourna la tête et dit à Hilaire:
– Mon ami, soyez donc assez bon pour mettre dans une valise tout ce dont Mme Hilaire peut avoir besoin pour son petit voyage!
XXVI À LA CONCIERGERIE
La Conciergerie servait pour lors de prison d’État et de dépôt provisoire des condamnés.
M. Florent, que la littérature révolutionnaire avait perdu, et le baron d’Askof y avaient été amenés, presque dans le même temps, si bien qu’ils se trouvèrent au greffe ensemble et furent envoyés ensemble dans une cellule où se trouvait déjà le fervent nationaliste qu’était le petit Cazo.
Désespéré, M. Florent l’était! Il avait été arrêté dans le moment que, ne sachant plus à quel saint se vouer, il était allé porter lui-même un article plus incendiaire que jamais au Journal des clubs. Il ne voyait plus désormais de borne à son infortune et la station qu’il commençait dans ce mauvais lieu ne lui faisait que trop prévoir la fin prochaine de tout ceci, sans qu’il y comprit goutte, du reste!
Dès qu’on lui eût fait franchir ces sombres portes, il avait été désagréablement impressionné par le défilé des détenus appelés ce jour-là au tribunal révolutionnaire où les attendaient les nouveaux juges nommés par les soins de Coudry et des clubs.
Déjà, on avait porté des coups terribles à l’ancienne magistrature. Toutefois, on n’avait osé toucher à un juge intègre et consciencieux, le président des assises, Dimier, qui joue un rôle assez court dans cette histoire, mais suffisamment important pour que nous fixions un instant sa figure.
Une terrible affaire le mettait alors en pleine lumière: le procès des «bandits du Nord» qui, après avoir mis au pillage la province, s’étaient abattus sur Paris dès qu’ils avaient appris que la capitale était en proie à la révolution.
Une imprudence dans l’extraordinaire cambriolage d’un musée fit mettre la main sur les principaux chefs de cette redoutable association. Or, certains eurent l’habileté de se dire les amis politiques de quelques gros bonnets de la révolution et de menacer de le prouver. Amitié politique était beaucoup dire, mais il y avait eu certainement entre les uns et les autres de fâcheuses compromissions…
Bref, deux accusés, Garot et Manol, s’en seraient certainement «tirés» si M. Dimier, qui ne connaissait que sa conscience, ne s’y était opposé et n’avait menacé le parquet d’un gros scandale.
De leur côté, voyant qu’on ne les relâchait pas, Garot et Manol, bien que l’instruction fût close, commençaient à «manger le morceau».
Ils avaient été transférés à la Conciergerie et demandaient à chaque instant à être entendus par le directeur de la prison, qui recevait leurs confidences et qui, en honnête homme qu’il était, lui aussi, en faisait un rapport et le transmettait à qui de droit.
On n’avait pas osé toucher à M. le conseiller Dimier, mais on avait fait sauter M. le directeur qui avait été remplacé par une fameuse crapule, un nommé Mathieu Talbot.
Homme à tout faire, il avait compris l’embarras de quelques-uns de ses anciens amis et avait laissé entendre que, sous sa direction, Garot et Manol pourraient «prendre de l’air», seul moyen d’éviter l’esclandre en cour d’assises.
Quand M. Florent avait traversé la salle des gardes, il était passé devant deux petits escaliers étroits qui conduisaient chacun au premier étage de chacune des tours. Dans la tour de droite se trouvait le cabinet de M. le directeur et dans l’autre, le cabinet du président des assises.
C’est dans ce dernier cabinet que venait de temps à autre, pour interroger les criminels, M. le conseiller Dimier, l’honnête homme, bon juge, bon père de famille, noble caractère, orné de toutes les vertus et fort estimé de Chéri-Bibi lui-même, pour avoir, au début de sa carrière, émis cette opinion dans son livre sur les erreurs judiciaires, qu’il se pourrait fort bien que le célèbre et mondial bandit fût innocent du premier crime pour lequel il avait été condamné!