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«J’ai sur moi une lettre de Mme la marquise que j’ai apportée dans l’espérance de vous la remettre moi-même. Ce soir, c’est impossible, mais cette lettre, je trouverai le moyen de vous la faire parvenir demain. Vous y verrez que Mme la marquise et Mlle Lydie sont en parfaite santé et qu’elles vous conjurent d’avoir la plus grande confiance en moi et de faire tout ce que je vous dirai.

«S’il en est ainsi, vous serez libre avant trois jours. Le plan qui vous fera sortir d’ici a été mûrement réfléchi. Il est simple: M. Talbot est décidé à faire évader deux bandits de droit commun, Garot et Manol, que nous avons gagnés à notre cause et qui s’évaderont une autre fois. Vous prendrez donc la place de ces bandits et leurs effets et ce sera le directeur de la prison lui-même qui vous mettra dehors.

«Soyez donc prêt au moindre geste, à la plus petite indication qui vous viendra de moi!

Sans doute, le discours de M. Hilaire avait-il fini par émouvoir le Subdamoun, car M. Talbot vit soudain le prisonnier quitter cette attitude d’inattention qu’il avait affectée jusqu’alors, sortir sa tête pâle d’entre ses mains et ses lèvres remuer!

Le Subdamoun parlait donc! M. Hilaire avait réussi «à entrer en conversation». C’était un résultat cela! Le Subdamoun avait répondu. Toutefois la réponse ne semblait pas du goût de M. Hilaire.

– Tout cela, monsieur, est très beau, mais je ne m’évade point!

– Que voulez-vous dire?

– Avez-vous pensé, monsieur, à tous mes amis que j’ai entraînés à Versailles et qui m’ont suivi jusqu’ici… Pouvez-vous les sauver, eux?

– Eh! vous savez bien que c’est impossible!

– Vous voyez donc bien que je ne puis m’évader! Comment avez-vous pu croire qu’après les avoir menés à la défaite, je les lâcherais au moment de mourir! Monsieur, je vous remercie de ce que vous avez fait pour ma mère et pour ma fiancée. Continuez de les protéger. Dieu vous récompensera. Dites-leur que je penserai à elles jusqu’à la dernière minute et que je m’efforcerai de me montrer digne sur l’échafaud du nom des Touchais! Dites tout cela à ma mère, monsieur, et à ma fiancée. Elles pleureront, mais elles me comprendront et elles me pardonneront!

– Elles mourront! répondit simplement M. Hilaire, qui avait de grosses larmes dans ses bons yeux.

– Mourraient-elles moins si j’étais un lâche? répliqua le Subdamoun d’une voix sourde, et, les coudes sur la table, il se replongea la tête dans ses mains.

M. Hilaire pouvait s’en aller. Ce qu’il fit.

– Eh bien! lui demanda Talbot en le reconduisant jusqu’à la porte de la cour, êtes-vous content?

– Ma foi, non! avoua M. Hilaire, et je crois bien que ceux qui m’ont envoyé n’auront point non plus lieu de l’être… Ce Subdamoun est plus entêté que l’on ne saurait dire.

Quand il se retrouva sur le quai de l’Horloge, M. Hilaire regarda autour de lui. La nuit était sombre et maussade. Il pleuvait.

Il remonta vers la terrasse déserte d’un débit de vin.

Il n’y était point depuis cinq minutes qu’un pauvre vieux marchand de cacahuètes venait bien humblement lui proposer sa marchandise.

M. Hilaire, sans doute par pitié, lui acheta un cornet de quelques sous.

– Eh bien? souffla Chéri-Bibi.

– Eh bien! il n’y a rien de fait! Il refuse de s’évader! Il ne veut pas qu’on le traite de lâche. Il mourra avec ses camarades. Il m’a chargé de dire cela à sa mère et à sa fiancée…

Le pauvre vieux marchand de cacahuètes devait être décidément tout à fait malade, car il eut à peine tendu son cornet de papier au client de la terrasse qu’il s’affala sur le trottoir comme une masse.

Le client se précipita sur lui et le souleva avec peine, et apparemment, non sans émotion.

Il lui murmurait à l’oreille des syllabes qui firent que le malheureux rouvrit enfin les yeux dans le moment qu’un monsieur fort bien mis et qui se garantissait de l’ondée avec un parapluie passait.

Ce monsieur s’arrêta pour demander d’une voix fort pitoyable la raison pour laquelle ce pauvre marchand de cacahuètes avait glissé sur le trottoir.

– Ce doit être le besoin! répondit M. Hilaire.

Alors le passant fouilla dans sa poche et tira de son porte-monnaie un billet de dix francs qu’il remit à M. Hilaire.

– Faites-lui prendre quelque chose de chaud et de réconfortant! exprima le monsieur en s’en allant.

Alors Chéri-Bibi revint tout à fait à lui et lui cria:

– Merci, monsieur Dimier! Dieu vous le rende!

XXVIII LA COUR DES NÉO-GIRONDINS

L’accumulation des détenus politiques dans la Conciergerie n’avait permis l’isolement que pour certains d’entre eux.

Et encore, il n’y avait que le Subdamoun qui fût seul dans sa cellule.

Les autres étaient au régime commun, et, dans la journée, se rencontraient et se voyaient presque librement dans la cour, qui était, en quelque sorte, au centre des cachots politiques.

Cette cour impressionna singulièrement M. Florent, avec son aspect de cloître, ses murs jaunis, au pied desquels se promenaient les gardes civiques, le fusil chargé sur l’épaule, baïonnette au canon… sa table de pierre et sa fontaine autour de laquelle, sur des chaises de paille, toute une société de jolies femmes, têtes nues, faisaient cercle avec des grâces héroïques d’autrefois.

À l’époque qui nous occupe, les prisonniers pouvaient approcher ces dames librement; hommes et femmes, à l’heure du plein air, se trouvaient ainsi mêlés; et les malins qui avaient commencé par s’étonner de cette aimable tolérance, avaient fini par en conclure que c’était là un stratagème pour exciter à la conversation.

Ils étaient persuadés, en effet, qu’ils ne cessaient, dans leur prison, d’être surveillés et que leurs moindres propos étaient rapportés, par des espions, à l’abominable Talbot.

Pendant les premiers jours, chacun et chacune s’étaient donc tenus sur ses gardes, dévisageant les visages inconnus, et se méfiant d’une parole même amie; mais cette contrainte ne tarda pas à paraître insupportable à tous et ce fut la belle Sonia elle-même qui incita ses «invités et invitées» à s’entretenir aussi librement dans son «cercle de la Conciergerie» que dans son salon du boulevard Pereire.

Quand M. Florent mit, pour la première fois, le pied dans cet endroit «select», il y avait déjà huit jours qu’il était enfermé.

Une fièvre intense l’avait retenu sur son grabat.

Askof, lui, n’y manquait jamais et rapportait à M. Florent des nouvelles qui n’étaient point bonnes.

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