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«Quand on nous aura vus jusqu’à deux heures du matin, faisant la fête, le gouvernement sera peut-être rassuré sur la grrrande conspiration!

«À deux heures, nous rentrons ici tous les deux où nous retrouvons Jacques et où nous l’aidons dans son dernier travail. Ainsi on ne se quitte plus jusqu’à ce que… jusqu’à ce que nous ayons sauvé la République!

– Et il n’entre pas encore dans votre pensée que vous ayez à redouter quelque catastrophe?

– Tout est possible, mais je ne la crains pas!

– Je vous admire!

On annonça le baron.

Elle alla au-devant de lui, lui serra la main avec une grande cordialité et s’excusa de les laisser un instant tous les deux. Askof s’en fut tout de suite à Lavobourg:

– Eh bien?

– Eh bien! répéta Lavobourg en ouvrant négligemment un journal… Avez-vous du nouveau?

– Et vous?

– Moi? Ma foi non! Je vous dirai que je n’ai pas ouvert une feuille depuis quarante-huit heures… et que j’ai renoncé à comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe autour de moi! J’ai essayé de faire parler Sonia. Elle a renvoyé ses confidences à une heure encore indéterminée… J’ai essayé de vous faire parler, vous; vous avez été plus mystérieux à vous tout seul que tous les autres, réunis!

– Il me semble, fit Askof à voix basse, en regardant Lavobourg avec un certain étonnement, il me semble qu’il y, a un point sur lequel je n’ai pas été mystérieux avec vous!

– Oui, je sais… répondit brusquement Lavobourg en jetant son journal! L’histoire de Sonia et de Jacques! Eh! bien, je vous dirai la vérité, mon cher, je n’y crois pas!

Askof recula d’un pas. Certes, il ne s’attendait point à un pareil revirement.

– Alors, vous croyez que j’ai inventé cette histoire? Mais nous en reparlerons! Chut! la voilà!

Sonia rentrait.

– Vite, mes enfants! montons, leur jeta-t-elle joyeusement. Le commandant est arrivé!

Ils trouvèrent Jacques dans le petit boudoir où la table avait été dressée. Ce fut tante Natacha qui servit.

Le déjeuner commença d’abord dans le plus profond silence. Lavobourg observait Jacques et Sonia. Ils ne se regardaient même pas et paraissaient tout à fait à l’aise.

Enfin, le commandant se tourna vers Lavobourg:

– Mon cher Lavobourg, lui dit-il, nous touchons au but. Tout me fait croire que nous réussirons. En cas d’insuccès, je prendrai tout sur moi. Sonia va vous demander tout à l’heure un petit service. Il s’agit de signatures. Si l’affaire tourne mal, vous pourrez dire que ces signatures vous ont été extorquées de force et sous menace de mort. Je ne vous contredirai point. En cas de succès, vous partagerez ma fortune. Nous aurons un gouvernement provisoire avec un duumvirat. Nous nous partagerons le pouvoir!

Lavobourg ne trouvait rien à répondre. Il paraissait très occupé par son assiette et cependant les morceaux ne «passaient» que très difficilement.

– Eh bien! vous êtes sourd? dit Sonia, impatientée.

– Non, ma chère, répondit-il… Le commandant sait que je lui suis tout acquis et je lui souhaite le succès de son entreprise pour le pays. Quant aux dangers, je saurai en prendre ma part!

– Ce pauvre Lavobourg, dit en riant le commandant, est de beaucoup le plus brave de nous tous! Car au fond! il est le moins rassuré et il marche quand même! Il est bon que vous sachiez que c’est sur mon ordre que certains journaux ont répandu les bruits les plus sinistres, relativement aux desseins de la commission d’enquête. J’ai voulu impressionner un peu mes troupes avant d’aller au combat, pour qu’elles sachent bien qu’il n’y aura de salut que dans la victoire. Baruch, le président du Sénat, m’a fait savoir que l’état d’esprit de la Haute Assemblée était excellent et que la peur avait fait tomber les dernières hésitations! J’ai, d’autre part, de très bonnes nouvelles de l’armée. Elle est tout entière avec nous! Il ne tient qu’à nous d’avoir son concours. Elle nous le donnera si nous sommes la loi! ne serait-ce qu’un quart d’heure, une demi-heure! C’est suffisant! Après elle ne nous le retirera plus, car nous serons la force!

– Euh! fit Askof… tout cela est très beau, mais j’aimerais mieux des noms de généraux…

– Avec cela que vous ne les connaissez pas! dit Jacques. Mon cher Askof, je ne vous ai encore rien promis. Vous nous avez été si utile, et vous vous êtes montré si merveilleusement ingénieux pour la garde de nos petits secrets et la sécurité de nos chères personnes, que je ne sais que vous offrir. C’est bien simple, vous prendrez tout ce que vous voudrez, n’est-ce pas, Lavobourg?

Askof avait fait un signe à Lavobourg et, après avoir pris congé, s’était éloigné, disant qu’il n’avait pas un instant à perdre. Aussitôt Lavobourg fit:

– Ah! vous permettez! J’ai un mot à dire à Askof!

Et il quitta la pièce, refermant la porte sur Jacques et sur Sonia.

Alors Askof lui fit entendre de le suivre à pas de loup dans un petit corridor obscur qui, par derrière, rejoignait le mur du boudoir.

Là, il fit glisser une étoffe et lui désigna une fente dans la cloison à laquelle Lavobourg appliqua immédiatement un œil.

Ce qu’il vit ne fut point d’abord pour l’émouvoir:

Jacques et Sonia étaient debout tous deux. Jacques rangeait des papiers dans son portefeuille.

Puis ils échangèrent quelques mots insignifiants.

Enfin Jacques prononça:

– Et maintenant pour sortir, il faut que j’aille me redéguiser… Au revoir, Sonia…

Et il se pencha avec une extrême politesse sur la main qu’elle lui tendait. Mais comme il se relevait, elle lui prit la tête à pleines mains et lui planta sur les lèvres un baiser dont il se défendit à peine.

– Sonia, vous êtes folle! Vous êtes folle!

Et quand il put respirer:

– Et vous m’aviez promis d’être raisonnable!

– Jacques, je vous adore!

– Vous savez bien que c’est défendu! pendant quarante-huit heures! À ce soir…

Et il disparut par la petite porte derrière le grand portrait en pied.

Sonia resta quelques secondes immobile.

– Mais c’est vrai, que je suis folle!

Et tout à coup, elle murmura:

– Je ne pense plus à Lavobourg, moi! Où donc est-il passé?

Elle le trouva dans le fumoir, fumant comme un sapeur.

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