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– Monsieur! dit-il à M. Florent, je ne vous connais pas! Par quel miracle êtes-vous chez moi, je veux l’ignorer! Et félicitez-vous de mon manque de curiosité en un pareil moment, car si j’étais curieux, monsieur, je pourrais peut-être apprendre que vous vous appelez Florent et que vous êtes sous le coup des justes lois. Allez-vous-en! monsieur! C’est tout ce que je puis faire pour vous!

Et d’un geste de commandement, plein d’orgueil et de dignité, M. Barkimel montrait la porte à M. Florent.

– C’est bien, dit M. Florent, vaincu, anéanti, se traînant et gagnant, sans insister, la porte, car il croyait bien qu’il n’arriverait point à attendrir ce roc révolutionnaire… C’est Hilaire, plus généreux que toi, qui m’avait donné ta clef… C’est bien! Je m’en vais… puisque tu ne veux pas te souvenir que nous nous sommes aimés!

– Et où vas-tu? demanda brusquement à voix basse M. Barkimel en retenant M. Florent et en refermant la porte.

– Est-ce que je sais, moi? Je vais à l’échafaud.

– Oui, tous à l’échafaud beugla M. Barkimel.

Cependant, il faisait asseoir M. Florent sur le fauteuil Voltaire et, les larmes aux yeux, lui demanda à voix basse:

– As-tu faim, Florent? As-tu soif? Mon Dieu! Quelle pauvre figure tu as! Tu me fais de la peine! Tu vois où t’ont mené tes opinions! Et qu’est-ce que tu veux que je fasse pour toi, maintenant?

– Garde-moi, gémit Florent, en embrassant son vieux Barkimel. Alors, ils se mirent à sangloter tous les deux, dans les bras l’un de l’autre.

– Bien sûr que je te garde, finit par dire Barkimel, mais ça n’est pas drôle, tu sais; si jamais on te découvre chez moi, nous sommes f…!

– Dans quel temps vivons-nous!

– Nous vivons dans un temps magnifique, s’écria avec éclat M. Barkimel, et nous n’avons encore vu que des roses! C’est maintenant que la Terreur va vraiment commencer! La Terreur sans laquelle la vertu est impuissante!

– Mais tais-toi donc! souffla M. Florent… on va savoir que tu t’entretiens avec quelqu’un!

– Pas le moins du monde! Ils sont habitués à mes soliloques! Je les épouvante avec mes soliloques! De temps en temps, je me réveille la nuit, pour les épouvanter! Ah! mon petit! quel travail! Mais il faut vivre, n’est-ce pas! Ils m’ont fait juge au tribunal révolutionnaire! Si je n’épouvantais pas mon quartier, c’est mon quartier qui m’épouvanterait! Et puis, je crains les espions… Ils en mettent partout… On doit m’«observer dans l’ombre»; alors, je ne suis jamais aussi féroce que lorsque je suis seul! Comme cela, ils sont renseignés sur ma vraie nature!

– Je ferai ce que tu voudras, mon brave Barkimel! Ah! tu n’as pas changé! Ce sont les temps qui ont changé!

– Chut! Écoute! Il m’a semblé entendre du bruit!

Et aussitôt, d’une voix éclatante:

– Moi, je leur répondrai à ces trembleurs de l’Assemblée: «Messieurs! une petite saignée ne peut être guérie que par une grande!»

– Ah! tais-toi, c’est affreux! quand tu parles comme ça, tu me fais mal.

– Eh bien! et moi donc! je m’effraie moi-même!

– Mais c’est épouvantable!

– Silence! du bruit dans la rue!

«Les crosses! les sectionnaires! Grand Dieu! je parie qu’ils viennent te chercher!

M. Barkimel souffla immédiatement sa bougie et tous deux écoutèrent.

Des voix montaient, des appels, des commandements militaires mêlés à un remuement d’armes sonores sur les pavés et à des coups de poing frappés, aux portes.

– Au nom de la loi, ouvrez!

– Non, pas à cette porte-là, protesta dans la rue une voix de rogomme, mais ici! Je vous dis qu’il doit être ici!

– Misère de misère! agonisa M. Florent, c’est la voix du père Talon!

– Plus haut! Chez le juge! Chez son ami Barkimel! je vous dis qu’il est chez son ami Barkimel!

Barkimel jeta Florent dans la garde-robe où se trouvait une sorte de double fond, puis il courut à son lit dont il défit la couverture. Enfin, il ouvrit sa porte en criant:

– Quoi? quoi? Qu’est-ce qu’il y a?

– Allez-y! Allez-y! Le bonhomme ne dormait pas tout à l’heure! Il y avait de la lumière chez lui! C’est sûrement lui qui cache le suspect!

– Messieurs les sectionnaires, commença Barkimel, je suis juge au tribunal révolutionnaire; j’apprends par vos cris que vous cherchez un nommé Florent que j’ai connu autrefois…

– C’était votre ami! glapit le père Talon.

– Possible! mais il ne l’est plus!

– On l’a vu entrer dans votre maison!

– Ce que je puis vous affirmer, c’est qu’il n’est point chez moi!

– Nous allons bien voir!

Les officiers municipaux procédèrent alors, en ordre, à la visite domiciliaire.

Ils ne trouvèrent rien, mais une sorte de harpie qui accompagnait les sectionnaires s’écria:

Je crois que je le tiens! Il y a un double fond.

Or, ce miracle survint qu’on ne trouva point Florent dans la garde-robe parce qu’il n’y était plus!

Par où était-il passé? Où s’était-il glissé?

«Soudain, a raconté depuis M. Barkimel qui s’était recouché, soudain je devins plus pâle encore si possible et je m’allongeai en poussant un soupir de détresse. Je déclarai aussitôt que j’étais très fatigué et que cette perquisition me tuait.

«Or, je venais de sentir remuer près de moi quelqu’un qui ne pouvait être que Florent! Florent s’était glissé entre mes deux matelas!

«Comment Florent pouvait-il respirer? Certainement, pour peu que la visite se prolongeât, j’allais le retrouver étouffé! Et je fus tout de suite tracassé par l’abominable idée que je ne saurais que faire de son cadavre!

«Enfin, ils déclarèrent qu’ils n’avaient plus qu’à chercher dans mon lit! Du coup, j’ai cru que j’allais mourir! Ils se contentèrent heureusement de toucher le haut et le pied de mon lit et de regarder ensuite dessous. Puis ils défirent les coussins des sofas, dans ma chambre, la salle et le salon. Je croyais qu’ils ne s’en iraient jamais! Enfin, ils eurent le toupet de m’engager à prendre un peu de repos et me souhaitèrent une bonne nuit. Ils restèrent quelque temps encore dans la maison et je continuai à ne pas bouger.

«Le terrible était que Florent, non plus, ne bougeait plus! Était-il mort? Étais-je assis sur le cadavre de mon ami? Pouvais-je encore le sauver? Horrible perplexité!

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