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– Non! déclara péremptoirement M. Hilaire, vous n’êtes pas tout à fait perdu!

– Merci! monsieur Hilaire! Ma vie est entre vos mains! Il faut que vous me cachiez jusqu’à ce que le fâcheux malentendu qui me fait poursuivre par Coudry se soit éclairci, car je n’ai jamais écrit de libelles antirévolutionnaires, entendez-vous bien!

– Savez-vous où je vais vous cacher?

– Chez vous!

– Jamais de la vie! répliqua M. Hilaire avec une forte grimace… Chez moi, on va, on vient; cent personnes passent chez moi tous les jours!

– Et où donc, monsieur Hilaire?

– Chez M. Barkimel!

M. Florent crut avoir mal entendu, mais M. Hilaire lui expliqua que l’affaire était tout à fait sérieuse et elle finit par lui plaire infiniment.

– Ah! bien! conclut-il… ce sera parfait! Elle est bien bonne! et il l’a bien mérité! Non! personne n’ira me chercher chez un juge au tribunal révolutionnaire! et je connais assez son appartement pour savoir où je me dissimulerai sans qu’il puisse soupçonner ma présence!

– D’autant plus qu’il est rarement chez lui… quelques heures la nuit! Il fait lui-même son ménage le matin et le voilà parti pour le Palais de justice!

– Alors, vous avez la clef de chez lui? demanda M. Florent.

– Il me l’a donnée pour que j’y fasse porter un panier d’eau minérale; je ferai la commission moi-même, en y joignant quelques conserves à votre intention. C’est vous qui m’ouvrirez, car, vous, vous allez filer tout de suite avec la clef, je vais partir avant vous et vous ne sortirez d’ici que lorsque j’aurai sifflé deux coups! La maison de M. Barkimel est à dix pas! Je parlerai au concierge pendant que vous grimperez!

– Dans quel temps vivons-nous! soupira l’infortuné Florent. Mais vous êtes pour moi le bon Dieu en personne! Peut-on vous demander des nouvelles de Mme Hilaire?

– Je crois, répondit M. Hilaire, en se disposant à partir et en faisant glisser son ceinturon sous son écharpe, je crois que je n’aurai plus jamais l’occasion d’avoir des mouvements de vivacité avec Mme Hilaire!

– Mon Dieu! gémit M. Florent, Mme Hilaire serait-elle morte?

Mais M. Hilaire ne prit point le temps de lui répondre… Il avait jugé le moment opportun de se glisser dans la rue et de commencer d’exécuter le programme qui devait rendre la sécurité à M. Florent en le conduisant chez M. Barkimel. Ainsi fut fait, et, vers les deux heures du matin, M. Florent, qui était caché dans le coin le plus reculé de la garde-robe de M. Barkimel, entendit rentrer celui-ci.

M. Barkimel n’eut pas plutôt refermé sa porte que M. Florent, qui le regardait aller et venir par un petit trou pratiqué par lui dans la cloison, le vit poser, d’un geste las, son bougeoir sur sa table de nuit. Après quoi le magistrat croula dans son fauteuil Voltaire avec un profond gémissement.

Ah! ce n’était plus le beau Barkimel de tout à l’heure, l’orateur du club, le juge redoutable.

M. Barkimel n’avait pas assez de ressort pour plastronner devant son armoire à glace. Il se «laissait aller» dans sa triste intimité. Il redevenait couard et mesquin. Il retournait à son passé de timide commerçant.

Tout à coup, M. Barkimel sembla revenir à la vie: il redressa un front irrité, donna un grand coup de point sur son guéridon Louis-Philippe et glapit, féroce:

– Est-ce ma faute, à moi, si on ne l’a pas condamné à mort, ce Daniel? J’avais prévenu le jury, je lui ai dit: «Vous verrez que si on ne lui donne pas cette tête-là, Flottard ne nous le pardonnera jamais!» Mais il n’a pas voulu m’entendre, le jury! Il a renvoyé Daniel devant la justice militaire!

Et il se mit à crier comme un sourd:

– Tous à l’échafaud! Tous à l’échafaud!

On devait l’entendre du haut en bas de la maison, et les locataires, réveillés, grelottaient certainement d’effroi sous leurs couvertures.

M. Florent, lui, claquait des dents: «Ah bien! se disait-il alors, comme on se trompe! C’est une bête féroce!»

Il vit M. Barkimel, qui semblait étouffer de rage et de conviction révolutionnaire, se diriger vers la fenêtre de sa chambre à coucher, l’ouvrir et crier à l’obscurité mystérieuse de la rue:

– Je n’ai jamais voulu acquitter personne!

Et, M. Florent, devant ce déchaînement, regrettait de plus en plus l’imagination qu’avait eue M. Hilaire de l’enfermer avec ce tigre altéré de sang.

M. Barkimel se déshabillait sans avoir refermé sa fenêtre. Tout à son exaltation, il ne prenait pas garde à la brise un peu fraîche qui venait du dehors, cependant que ce léger courant d’air produisait un effet désastreux sur M. Florent qui suait de peur. Les yeux et le nez commençaient à le piquer.

Après quelques instants de réflexion, M. Barkimel refermait sa fenêtre et s’apprêtait à se mettre au lit quand un extraordinaire éternuement, éclatant dans son dos, le fit sauter sur place et se retourner, affolé.

Les cloisons légères semblaient encore palpiter de cet imprévu déplacement d’air; et, l’œil hagard, M. Barkimel considérait toutes choses autour de lui comme si elles étaient prêtes à s’effondrer et à l’ensevelir sous leurs décombres.

Enfin, maîtrisant autant que faire se pouvait une épouvante qui faisait trembler sur sa tête la mèche de son bonnet, il râla:

– Qui que tu sois qui es caché là… tu peux te montrer si tu es un ami du peuple!

Mais personne ne se montrait et un nouvel éternuement partant de sa garde-robe, M. Barkimel sauta avec désespoir sur un revolver qu’il avait déposé dans le tiroir de sa table de nuit et qu’il mania si imprudemment qu’un coup partit avec un bruit de tonnerre.

Aussitôt quelque chose roula sur le carreau, hors de la garde-robe; c’était le corps pantelant de M. Florent que M. Barkimel reconnut avec horreur.

D’abord il crut qu’il l’avait tué et il recula jusqu’au milieu de la chambre, puis jusqu’à la porte quand il vit que le corps prenait peu à peu la position d’un homme en prière, les genoux sur le carreau et les mains jointes.

Non, M. Florent n’était pas mort! Et il réclamait le secours de M. Barkimel.

M. Barkimel ouvrit alors la porte qui donnait sur le palier et écouta longuement le mystère de la nuit, au-dessus de la cage de l’escalier.

Plus le juge au tribunal faisait de bruit chez lui, plus la maison semblait dormir! À peine osait-elle soupirer? Et un coup de revolver dans la nuit n’était point, à cette époque, pour faire sortir les curieux! Au contraire!

M. Barkimel rentra chez lui, en redressant sa courte taille et en se frappant la poitrine.

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