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Lydie, au milieu de ce carnage et de ces lueurs d’incendie, ouvrit les yeux:

– Chouette! s’écria un officier municipal, voilà une bonne prise: c’est la fiancée du Subdamoun!

Satisfaits de leur besogne de ce côté, ils se rejetèrent dans la ruelle qui, dès lors, fut envahie par la foule, les pompiers et les soldats. On s’y écrasait. On s’y brûlait aussi.

Des clameurs de diverses natures se faisaient entendre, car un coup de feu venait d’atteindre l’homme qui tenait la marquise dans ses bras; et beaucoup de ceux qui étaient là protestaient contre les exécuteurs d’une aussi abominable consigne.

Jean-Jean était visiblement touché. Il s’accrochait désespérément à une barre de fer tordue par les flammes et dont la chaleur lui avait arraché un cri suprême de douleur.

Mais, déjà, il basculait sans qu’il eût lâché son fardeau et l’on s’attendait à le voir s’écraser sur le pavé avec la marquise quand, dans le cadre de cette même croisée, surgit un furieux démon. Cet être extraordinaire, qui paraissait vomi par le feu comme le génie du feu même, arriva juste à temps pour arracher à Jean-Jean la pauvre douairière, dans la seconde même où celui-ci, victime de son dévouement au «Grand Dab», accomplissait sa suprême pirouette: il s’abîmait au milieu d’un brasier qui jeta, sous son poids, une véritable gerbe de feu d’artifice.

Pendant ce temps, l’homme sorti du feu y rentrait avec sa proie. Des flammes, des coups de fusil, des balles qui sifflent à ses oreilles, au-dessus de lui, autour de lui, une horde qui le poursuit, un brasier à ses pieds, un ciel d’enfer sur sa tête, mais Cécily sur son cœur!

Chéri-Bibi est aux anges! Chéri-Bibi est dans le paradis!

Il remercie le ciel, au centre de cette furieuse bataille qu’il livre aux hommes et aux éléments, de lui avoir réservé un pareil bonheur!

Certes, cela compte, une journée pareille, où il lui était réservé, à lui, le paria de toutes les sociétés, d’entendre battre, sur sa poitrine, la vie de ces deux êtres adorés: son Jacques et sa Cécily!

Ah! Cécily! Cécily! sa femme! sa femme adorée, sa femme évanouie qu’il pouvait presser sur son formidable, ignoble sein après tant d’années, tant d’années de misère morale passées à se dire: «Je ne l’approcherai plus!»

Il la berce dans ses bras comme une mère son enfant qui dort. L’incendie qui les entoure est moins chaud que l’ardent charbon du cœur de Chéri-Bibi, lequel brûle, pour Cécily, éternellement, comme l’enfer, sans se consumer.

Seigneur Dieu! l’homme a vivement profité d’un rideau de feu pour embrasser cette femme! Ah! les lèvres de Chéri-Bibi sur le front blanc de la sainte, dans cette cathédrale de flammes!

Chéri-Bibi hurle de joie, halète, grogne, danse de bonheur sur les briques brûlantes!

Il apparaît, disparaît, réapparaît, embrasse son fardeau, le dresse vers le ciel, le rejette sur son cœur, et saute avec lui dans quelque trou de mansarde au-dessus duquel les visages effarés des poursuivants se pencheront et n’apercevront rien!

Où est-il passé? Seul il connaît, le Roi du Bagne, tous les chemins qui conduisent sous la terre à la retraite du cul-de-sac maudit où Chéri-Bibi a placé ses oubliettes!

Cécily se passe la main sur le front comme on a l’accoutumée de faire quand on veut ressaisir sa pensée et quand on renaît, comme on dit, à la vie. Cécily se souvient du drame de l’incendie, et puis sa pensée bondit plus haut: ces yeux qui pleurent derrière des lunettes, ces pauvres yeux horribles qui font peine et qui font peur, elle les a déjà vus: elle sait maintenant, elle murmure: «le marchand de cacahuètes!»

C’est le marchand de cacahuètes qui l’a sauvée! qui l’a amenée là! C’est le marchand de cacahuètes qui lui a promis de sauver son fils… Partout où il y a de la difficulté, le marchand de cacahuètes est toujours là! Elle frissonne! Pourquoi? Ah! pourquoi?

Elle n’a jamais pu penser à ce terrible sauveur sans frissonner!

Elle l’appelle et elle le redoute.

Elle le craint sans le connaître et ne saurait pas le remercier! Qui est-il? Pourquoi fait-il cela? Pourquoi VEILLE-T-IL?

Il a l’air si atrocement malheureux quand il la regarde!

Qui peut-il être?

Elle se demande s’il n’est point simplement une image de son cerveau malade.

Il n’existe peut-être pas!

Elle se soulève sur sa couche… elle glisse du grabat… Il y a là une table couverte de fioles et de bols, de toute une pharmacie… Elle va plus loin que la table… Ah! un couloir, et au bout du couloir, là-bas… de la lumière!

Cette lumière ne la rassure point, mais elle l’attire.

Elle descend quelques degrés… elle marche! elle marche! C’est un rai de lumière qui passe sous une porte.

Tiens! la porte n’est point fermée… Elle pousse la porte… Est-ce qu’elle sait ce qu’elle fait?

Mais elle jette un cri de surprise…

Elle est dans une petite cave toute resplendissante de lumière… Plus de vingt bougies brûlent dans des candélabres magnifiques. Et ils éclairent les portraits d’une femme et d’un enfant! Mais quels portraits! Jamais, sur les murs des basiliques byzantines, tant de joyaux, tant de perles, tant de colliers n’avaient été suspendus avec plus d’amour autour des saintes icônes.

Elle s’approche davantage… Maintenant, elle les voit tout à fait bien, les portraits, et elle les reconnaît! Ce sont les portraits de Cécily aux jours les plus heureux de sa beauté et de sa maternité… Et ce sont les portraits du petit Jacques, à tous les âges, depuis le berceau!

Sur une table qui ressemble à un autel, un coffret est ouvert. Dans ce coffret, il y a une croix, une admirable croix de la Légion d’honneur, toute sertie de diamants et de perles.

Cette croix aussi, Cécily la reconnaît: c’est celle qu’elle a reçue un jour d’un inconnu pour qu’elle fût offerte à Jacques et qu’elle a réexpédiée ne voulant pas accepter un pareil cadeau sans en connaître la provenance!

Peu à peu, Cécily s’était laissée tomber sur les marches de l’autel où avaient été comme déifiées sa personnalité et celle de son fils! Elle était plus anéantie que jamais. Plus que jamais, elle se demandait à quelle sorte de dévouement elle était en proie. Une angoisse singulière l’étouffait. Elle n’avait jamais eu si peur «d’elle ne savait pas quoi»!

Soudain ses yeux furent attirés par une photographie vers laquelle elle se traîna. Et alors, elle ne put retenir un cri: La villa de la falaise! C’était en effet une vue de la villa des Bourreliers, sur la falaise de Puys, près de Dieppe, en France, la villa de ses parents, où elle avait été élevée… La vue en avait été prise dans le jardin.

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