Le baron ricanait. Il cessa tout à coup son rire infâme en entendant acquitter également la baronne d’Askof!
Celle-ci, il n’avait point voulu la sauver; il l’avait même complètement oubliée, et, dans ses abominables combinaisons, il n’avait eu garde de penser à sa femme.
Or, c’était là une «gentillesse» de l’accusateur public, qui avait voulu être agréable à un homme qui promettait, après le procès, de faire d’extraordinaires révélations.
La baronne, qu’on était allé chercher dans la prison et qui avait été jetée au fond du prétoire, n’avait pas été aperçue du baron, qui ne la vit que lorsqu’elle piqua son admirable crise de nerfs des grands jours en s’entendant acquitter. Le baron jura comme un palefrenier pendant qu’on emportait sa femme.
Il n’y eut point d’autres incidents, et tous les prisonniers furent reconduits dans leurs cachots en attendant les premières heures du jour.
Sonia continuait de prodiguer des soins touchants à Mlle de la Morlière. Celle-ci pouvait enfin laisser couler librement ses larmes, et cette crise d’attendrissement sur son sort ne manqua point de la soulager.
Les deux femmes finirent par échanger, dans leur affreux malheur, les propos les plus sympathiques. À l’heure de la douleur et quand elles doutent du salut de l’objet aimé, il n’y a rien de tel pour rapprocher deux femmes que d’avoir aimé le même homme. Alors elles tremblent dans les bras l’une de l’autre. La jalousie, devenue inutile, a fui, en cette minute suprême, et, au lieu de se déchirer, elles s’efforcent de se consoler.
Lydie, sous le coup de sa propre condamnation, n’avait point entendu que Sonia était acquittée et elle croyait celle-ci vouée au même destin qui la frappait. Sonia, de son côté, n’avait point la cruauté de lui apprendre la vérité. Du reste, Mlle Liskinne regrettait sincèrement le bourreau, maintenant que la présence au procès de M. Hilaire et sa condamnation attestaient que l’évasion du Subdamoun avait échoué et que l’on affirmait dans la prison que le commandant avait été assassiné à coups de baïonnette par les gardes civiques!
Après un moment de silence, comme les larmes de Lydie coulaient toujours, Sonia lui dit:
– Pourquoi pleurez-vous? C’est vous qu’il aimait!
Lydie tressaillit et leva vers sa compagne de tristes yeux, puis elle secoua la tête:
– Non! non! Vous êtes trop belle; quand il vous a connue, il ne vous a plus quittée… et, maintenant que je suis près de vous, je le comprends! Laissez-moi pleurer!
Et ce fut une nouvelle explosion de sanglots. Sonia, éperdue, la berça:
– Mais vous êtes folle, ma chérie! C’est son ambition qui l’a conduit vers moi, mais à vous, il vous aurait sacrifié son ambition même. Nous étions des amis! des amis de la veille destinés à ne plus se connaître le lendemain, le lendemain qui vous appartenait tout entier, Lydie!
– Hélas! Hélas! je mourrai donc sans avoir connu ce lendemain-là! pleura encore Lydie… Que ne suis-je morte ce matin de misère où j’ai tenté de me suicider!
– Ce matin-là, malheureuse enfant! reprit l’obstinée Sonia, il a tenté, lui, de sauver le pays et il n’y a point réussi parce que vous, vous avez tenté de vous tuer! Il a tout abandonné pour vous! Et ce retard c’était la ruine de tous ses prodigieux efforts! Et il n’a point hésité! Ingrate, qui l’oubliez!
– C’est vrai! répondit la voix douce et exténuée de la jeune fille, c’est vrai! Ce matin-là, il est venu près de moi. Il a tout abandonné pour moi! Et j’ai ouvert les yeux dans ses bras… dans ses bras… dans ses bras…
Elle finit par s’endormir en murmurant: dans ses bras.
Quelques instants, Sonia la garda ainsi sur son sein, écoutant cette respiration et les dernières pulsations de cette adorable vie, qui, si jeune, était condamnée à mourir; puis, elle la déposa avec mille précautions sur le grabat. On entendait des pas dans le corridor. Elle craignit que ce tumulte qui se rapprochait réveillât la prisonnière. Anxieuse, elle était penchée sur Lydie, mais Lydie dormait, dormait maintenant si profondément qu’elle ne se réveilla même point quand la porte du cachot s’ouvrit et que l’officier municipal appela: «Mlle Lydie de la Morlière!»
– C’est moi, dit Sonia, et elle alla rejoindre les autres condamnés qui attendaient, entre les baïonnettes des sectionnaires.
La porte du cachot fut refermée. Mlle de la Morlière dormait toujours.
Par la suite, chacun crut ou put croire que le tribunal, revenant sur sa décision, avait condamné la maîtresse du Subdamoun.
Ce matin-là, on fit la toilette des condamnés dans la salle des gardes. On n’entendait que le bruit des ciseaux des guichetiers.
Mlle Liskinne eut devant elle un commis de greffe auquel elle avait eu l’occasion de donner déjà quelques pourboires et qui était doué d’une nature timide et poétique.
Ses mains tremblaient sur le beau col nu de Sonia et avaient peine à soulever le poids impressionnant de ses magnifiques cheveux d’or.
Il hésitait à faire entrer dans l’adorable toison ses hideux ciseaux et tâtonnait.
De sa voix la plus douce, Sonia le pria de montrer moins de pusillanimité, car elle désirait qu’autant que possible sa chevelure ne fût point «abîmée».
– Je veux en faire un cadeau, disait-elle, arrangez-moi cela d’une façon convenable, monsieur le commis.
Le commis soupirait et suivait les indications de la victime sans pouvoir retenir ses larmes.
– Pourquoi pleurez-vous? lui dit Sonia; suis-je tant à plaindre?
– Madame, répondit galamment ce commis de greffe, si vous ne voulez point que l’on pleure sur vous, laissez-moi pleurer au moins sur ceux qui ne vous verront plus!
La réponse plut beaucoup à Mlle Liskinne qui n’hésita point à lui confier le désir qu’elle avait que ses cheveux fussent portés en souvenir d’elle à la prisonnière qui occupait encore le cachot qui avait été le sien.
Le commis jura tout bas que la commission serait faite, et il eut la précaution de mettre à l’abri immédiatement le trésor capillaire qu’on venait de lui abandonner.
Non loin de Sonia, l’ex-président de la Chambre, M. Lavobourg, penchait la tête et frissonnait au froid des ciseaux…
Le trio Hilaire, Florent, Barkimel était intéressant à contempler en son genre. Ces messieurs n’avaient vu du tribunal révolutionnaire qu’une bousculade; ils en étaient revenus avec quelques coups de crosse qui les avaient fait horriblement souffrir dans leur amour-propre. Ils avaient voué à une destruction rapide une société qui ne sait même pas respecter ses victimes et ils ne regrettaient rien tant que de ne point vivre pour assister à cette catastrophe qui eût pu les sauver.