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Dans l'avion qui me ramenait vers Paris, lorsque l'hôtesse a posé un plateau devant moi, le dos de sa main a frotté sur le bord du siège.

– Aie!

– Vous vous êtes fait mal?

– Non, c'est rien, mais je me suis brûlée tout à l'heure avec la machine à café. Regardez. C'est moche, hein? Quand ça frotte contre quelque chose, c'est un peu douloureux.

– Il faut vous mettre un pansement, non?

– Oh, vous savez, on est habituées à souffrir.

Au décollage, j'avais remarqué que ma voisine de siège comptait à voix basse. Elle m'a expliqué que tous les accidents, au décollage, surviennent dans les dix premières secondes. Si l'on arrive à compter jusqu'à dix, on est sauvé. D'un côté, c'était rassurant, disait-elle, mais de l'autre c'était épouvantable: avant, elle ne s'inquiétait jamais; et depuis qu'un ami lui avait parlé de ces dix secondes, son cœur battait comme un tambour jusqu'à dix. Elle m'a même avoué qu'elle avait si peur qu'elle accélérait toujours le décompte à partir de cinq ou six – tant pis pour la réalité du temps. Elle sentait que c'était ridicule, mais la peur était plus forte que la raison. Une peur telle qu'elle aurait pu faire tomber l'avion, comme elle pouvait accélérer les secondes. Elle répétait sans arrêt, nerveusement: «J'ai peur qu'on s'écrase, j'ai peur qu'on s'écrase. Même après le dix, maintenant. Tout le temps. Même à l'atterrissage. J'ai peur qu'on s'écrase.»

J’allais retrouver Caracas, mon assistante. J'allais retrouver ma sœur Pascale, un neveu que je ne connaissais pas, mes parents magiques, les Zoptek, l'actrice, Marthe, Clémentine, tout le monde, et j'allais enfin réussir à retrouver Catherine quelque part. Mais pas mon amie d'enfance. Pas Pollux Lesiak. Je retrouverais un monde sans Pollux Lesiak. Le plus invincible des chameaux sauvages ne peut rien contre l'absence, contre le manque, contre le vide. Il ne peut que regarder le monde sans elle. J'étais triste, mais pas effaré, pas anéanti. Presque calme, en pensant à elle. Je garderais sa 4L Majorette rouge au fond de mon sac matelot. Pollux n'était plus là. Je ne pouvais que le constater et en souffrir, en essayant de ne pas m'apitoyer sur moi-même. Ce n'était qu'un problème simple et insoluble. J'avais envie de la revoir.

Je retournais à Paris, à fond la caisse dans le couloir de lancement, je repartais pour un tour. Je fonçais droit vers la grande ville. Tout allait recommencer, bien sûr. J'allais recevoir toutes sortes de coups, j'allais rater la moitié de ce que j'entreprendrais, j'allais me faire incarcérer pour avoir voulu sauver un bébé des pattes d'un tripier, j'allais subir le sort de toutes les boules de flipper qu'on relance. J'allais en prendre plein la tête. (Cela dit, le froid approchait, j'espérais tout de même que le radiateur de ma salle de bains ne serait pas en panne.)

Nous n'étions plus qu'à quelques minutes de l'atterrissage, à quelques minutes de Paris. Comme on me le demandait, j'ai écrasé ma cigarette, relevé ma tablette et attaché ma ceinture. La main de ma voisine se crispait sur l'accoudoir qui nous séparait. Je me sentais plus serein qu'elle. Je n'avais pas peur. J'avais envie de revenir en ville.

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