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J’étais enfermé dans une cage en plexiglas. Ramené dans le commissariat de départ, exhibé dans la grande salle principale, derrière des vitres de plastique sale marquées de coups et de rayures (traces pathétiques de mes innombrables prédécesseurs) qui en prouvaient la fiabilité. Seul et maté.

Je ne pourrais pas vraiment décrire les heures, longues, qui ont suivi: d'abord parce qu'il ne s'est rien passé d'intéressant à raconter, ensuite parce que, je dois le reconnaître, j'ai fini par perdre un peu la tête.

Les premières minutes, je demandais simplement à travers le plexiglas qu'on me laisse aller aux toilettes, qu'on me donne une cigarette, je suppliais, je criais, je tapais du poing contre ces abominables panneaux de plastique sourd et muet. Mais c'était à peine si je parvenais, grâce aux plus puissants de mes hurlements, à attirer de temps en temps l'attention de deux ou trois de mes geôliers, qui dressaient la tête et tournaient vers moi un œil morne et légèrement contrarié, avant de replonger pensivement vers leurs dossiers ou leurs machines (à la manière de la tortue léthargique qui retourne au brin d'herbe après avoir entendu un chien aboyer dans le lointain), le front perplexe trois secondes encore. Si nos âmes nous survivent, c'est ce que doit ressentir un mort qui revient parmi ses amis et se rend compte épouvanté que ses cris d'amour et ses grands gestes («Je suis là, les gars!») restent sans réponse, inaudibles, invisibles, ou transposés dans notre monde en courant d'air, pétale qui tombe, ampoule qui grésille, démangeaison, que personne ne remarque. Je suis là, les gars.

Le pire était sans doute de me savoir aux mains de la police, de la justice, de la vérité. Kidnappé par des gangsters dans la cave d'un pavillon de banlieue, j'aurais pu nourrir l'espoir, même infime (même vain, peu importe), de leur échapper, et me réfugier dans l'élaboration de quelque plan d'évasion, assommer le type qui vient me porter le plateau de nourriture, par exemple. Être prisonnier du mal n'est jamais un problème, on peut le combattre, au péril de sa vie s'il faut. Être prisonnier du bien, c'est une autre histoire. On ne peut pas attaquer le bien. Je me voyais mal simuler un malaise cardiaque, attendre qu'un flic entre, le saisir à la gorge devant tous les autres ébahis, l'étouffer, prendre son arme et sortir du commissariat en tirant sur tout ce qui bouge (les vrais truands peuvent se le permettre, du moins les plus furieux d'entre eux, mais moi, modeste traducteur, je n'avais pas la trempe). J'étais enfermé dans quatre mètres carrés et personne au monde (hormis mon brave voisin, qui formait probablement un comité de soutien) ne savait que j'étais coincé là. Les gangsters au moins demandent une rançon, et tous vos proches sont glacés d'inquiétude. En ce moment, ma mère proposait un petit café à mon père, dans la cuisine de Morsang-sur-Orge. Ma sœur laissait un message enjoué sur mon répondeur à propos de la soirée de la veille dans le bistrot camerouno-russe. Mes amis paressaient devant la télé. Ma fiancée Cécile grignotait des pistaches en écoutant Janis Joplin. Seule ma chatte, grâce à la faim qui torture, pressentait que quelque chose ne tournait pas rond.

Bref, dépassé par la situation, j'ai tourné fou. De cette journée, je ne garde en mémoire que quelques gestes: je marchais de long en long, je cognais des pieds et des mains, je hurlais, je crachais, j'ai pissé par terre, je secouais le banc mal fixé, je me jetais contre le plexiglas. Ce n'était plus, comme au début, une conduite destinée à attirer l'attention sur moi, mais un vrai déraillement solitaire. Je les avais tous oubliés, là-bas dehors.

Lorsque j'ai vu trois ennemis approcher de ma cage, trois terreurs en civil (ou plutôt en uniforme de jeune inspecteur dynamique en civil: baskets et Jean, tee-shirt blanc, gilet de cuir noir, poignet de force, holster au flanc), trapus, sûrs, prêts à tout casser (et comme «tout», ici, il n'y avait que moi), le torse en avant et les cheveux en arrière, j'ai pensé qu'ils venaient me calmer. Eh bien non. Ils se sont installés très paisiblement dans la cage avec moi, comme s'ils voulaient simplement passer un moment en ma compagnie, faire une pause dans ce cadre agréable. Assis sur le banc, ils regardaient autour d'eux, savourant apparemment le calme rare de l'endroit, rayonnants d'aise distraite.

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