C'était mon voisin. Celui qui avait assisté à mon arrestation. Ah le brave homme, l'ami de la vérité, le bouclier des innocents, il avait couru jusque-là, le marathonien de la bonne justice pour tous, le fils d'Aide Humanitaire et de Secours Catholique. C'était mon témoin.
Rouge comme un dément, donc, en nage malgré le froid, hoquetant, haletant, les yeux hors de la tête (c'était presque inquiétant – ils auraient pu tout aussi bien le cribler de balles, par réflexe), il s'est adressé au premier bureau près de la porte.
– Écoutez… Écoutez, il n'a rien fait. J'en suis sûr. C'est… Je sais que… Je suis sûr que… Attendez…
Dans ses efforts pour enrayer au plus vite le redoutable mécanisme de l'erreur judiciaire, le brave homme s'embrouillait, s'étouffait sous les yeux ébahis de gendarmes et voleurs qui ne comprenaient ni de qui il parlait, ni de quoi il était sûr (et sous les miens, d'yeux, vibrants d'espoir et d'encouragements («Vas-y, petit, vas-y!»). Lorsqu'il m'a désigné du doigt en reprenant son souffle, tous les visages se sont tournés vers moi, tous ces visages d'une laideur épouvantable. On s'intéressait à moi, mais enfin, bon. Non, je n'étais pas à l'aise.
– Je suis sûr qu'il n'a rien fait, je le connais très bien, c'est mon voisin…
– MAIS ARRÊTEZ-LE, CELUI-LÀ AUSSI!
– Bon, tu vas fermer ta gueule, Pépé, a grogné un inspecteur. Tu commences à nous les casser.
(Miel à mes oreilles…)
– Venez, a dit un autre flic au vieux, ne restez pas là, suivez-moi, je vais prendre votre déposition.
Le vieux s'est levé avec beaucoup de circonspection et l'a suivi vers une pièce voisine, en jetant autour de lui des regards angoissés, comme s'il se demandait soudain si tous ces gars en uniforme, dont il ne se méfiait pas jusqu'alors, ne faisaient pas eux aussi partie du complot.
– Tu vas payer, ne t'inquiète pas, m'a-t-il lancé avant d'être emmené par le flic.
Là-dessus, on a prié mon témoin de se mêler de ses oignons et de foutre le camp. Comme il insistait, en faisant remarquer à juste titre que c'était une honte d'entendre des choses pareilles, on lui a laissé le choix entre la fuite et la garde à vue. Sur un nouveau clin d'œil confiant de ma part (car je trouvais qu'il avait déjà beaucoup fait pour moi et craignais qu'il n'ait à le regretter), il a opté à contrecœur pour la fuite.
Je ne savais vraiment plus que penser. Ma confiance en la justice et en mon ange gardien (Oscar, il faudra que j'en parle) s'étiolait au fil des minutes. Pour qu'un témoin (qui n'avait rien vu, mais personne n'était censé le savoir) soit négligé de la sorte, récusé aussi malhonnêtement, il fallait vraiment qu'ils aient envie de me coffrer coûte que coûte, de me lyncher en douce, à l'abri du monde et des médias. (D'un autre côté, je les comprenais: il faut reconnaître que mon homme, échevelé bafouilleur écarlate, n'offrait pas toutes les garanties de fiabilité en matière de témoignage, et ne pas le prendre au sérieux ne relevait pas complètement de l'aberration.) Mais disons que la tournure globale des choses, cette notion de tournure, me tracassait vaguement.
Là-bas sur une table, perdu au milieu de la police, je voyais mon sac. Ce sac que je ne quittais jamais. Ce sac qui, après tant d'années, était devenu un véritable organe externe. Qui contenait toutes mes armes pour affronter tout. Un de ces sacs d'enfant, en bandoulière, à carreaux verts et rouges, ces sacs dans lesquels on met sa banane et sa serviette de piscine pour aller au centre aéré. Maintenant, loin de moi et tout avachi, il m'attendait sur une table en formica. Un sac matelot, ça s'appelle.