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«Allez, Tom, répéta-t-il fortement, à plusieurs reprises, va chercher ton maître, va chercher ton maître!»

Et il lâcha la bête.

Tom, sans une seconde d’hésitation, dévala la dune, se rua sur les traces de César. On le vit bondir à travers la plaine uniforme. Il détalait à longues foulées, de toute sa vitesse. Et il passa la frontière comme une flèche, il eut rejoint son maître en quelques minutes.

Sylvain, loin derrière lui, s’était aussi mis en route. Il passa la frontière sous le regard méfiant d’un douanier qui était venu faire une ronde dans ces parages. Mais il y avait longtemps que Tom était en sécurité à côté de César.

«Et voilà, dit César, quand Sylvain l’eut rejoint à son tour. Ça s’appelle leur passer sous la barbe, ça! Hein, Tom? Il a pourtant un peu plus que trente-sept centimètres au garrot, le gaillard. Maintenant, Sylvain, tu peux t’en aller avec Tom. Moi, il faut que je rentre à Dunkerque. J’ai un type qui m’attend avec du tabac.

– Et Tom? Où faut-il le conduire? Comme d’habitude?

– Non, chez Duplaud, l’épicier, tu sais, à la sortie d’Adinkerque…

– Oui.

– Tu lui diras de mettre dix-huit kilos comme la première fois. Il doit le lâcher vers dix heures.

– Tu retournes par la même route?

– Non.

– Il vaut mieux. Quand je suis passé, il y avait un douanier qui m’a regardé drôlement. Il pourrait se méfier.

– Je passerai par le bureau de Ghyvelde. À ce soir, hein?

– À ce soir.»

César retourna vers la France. Et Sylvain entraîna Tom dans la direction d’Adinkerque.

III

Après avoir déposé Tom dans l’épicerie d’Adinkerque, Sylvain, en goût de flânerie, résolut de pousser, tout en se promenant, jusqu’aux environs de Furnes, puisqu’il n’avait rien d’autre à faire cet après-midi.

Par les champs, il arriva jusqu’à proximité de Furnes, la vieille ville flamande au beffroi dentelé, portant très haut, dans le ciel d’un bleu pâle, le bulbe de son clocheton d’ardoise.

Sylvain n’alla pas plus loin. Il entra dans une petite boutique, au milieu d’un hameau, pour acheter du pain et du jambon. Et, tout en goûtant, il revint par le canal de Furnes à Dunkerque, il longea le cours d’eau lente et calme en achevant son pain de bon appétit. En retournant vers Dunkerque, la route est à gauche du canal. Mais Sylvain n’aimait pas y marcher. Les autos vous forcent trop souvent à vous garer. Et ce long ruban monotone, déroulant à l’infini sa perspective de macadam goudronné, et qui sentait le bitume, lui déplaisait. Il aimait mieux suivre le côté droit du canal, où, dans l’herbe, se dessinait à peine une sente capricieuse et douce aux pieds. Et il marchait là, bien tranquille, respirant avec bonheur l’air frais, dans la détente agréable de cet après-midi d’oisiveté, quand il découvrit le vieux cabaret.

Il est ainsi des coins dont, on ne sait pourquoi, l’aspect vous charme, vous prend sans résistance, vous fait soudainement reconnaître et aimer la beauté. Souvenirs inconscients, rappelés obscurément dans les profondeurs de la mémoire? Rappel de vieilles images? Réalisation d’un idéal lentement formé au fond de l’être? Sylvain ne savait pas où il avait déjà vu ce coin, pourquoi il le reconnaissait, l’aimait, en retrouvait avec plaisir les détails. Mais indiscutablement, tout cela lui était familier. Il en avait dû rêver déjà. C’était dans ce décor que se passaient les histoires que jadis on racontait à son enfance. Tout était comme il fallait que ce fût.

Et, sans étonnement, Sylvain quitta sa route, descendit le chemin herbeux qui menait à l’auberge, et s’assit sur une chaise rustique, devant une vieille table de chêne dont le bois raclé au verre se creusait et se vallonnait par place. Et il attendit l’aubergiste, il laissa errer son regard autour de lui, sur ces choses inconnues et cependant familières. Il lui semblait être soudain entré dans le cadre d’une de ces gravures anglaises, où l’on voit une grand-route, un coche arrêté, avec deux chevaux blancs qui fument, un gros postillon jovial qui vide un verre de gin et, sur l’herbe, dansant au son d’un crin-crin de rencontre, deux ou trois couples de jeunes seigneurs et de jolies dames.

Le coche n’était pas là. Lui seul, avec les personnages, manquaient dans le décor.

Sylvain attendit cinq minutes. L’aubergiste n’arrivait pas. Et Sylvain n’appelait pas, jouissait de cette quiétude.

L’auberge était bâtie au bord du canal, le long d’un large pavé abandonné, comme une sorte de grand-route qui s’arrêtait brusquement, à pic au-dessus de l’eau. À mieux regarder, Sylvain comprit que c’était là un ancien grand chemin, qui jadis traversait le canal sur un pont maintenant détruit. Le nouveau pont s’apercevait d’ailleurs à trois cents mètres de là.

De grands arbres bordaient cette voie morte, encadraient l’auberge et tout ce petit coin dans un décor d’épaisses frondaisons. Cela faisait comme un îlot touffu de verdure, au milieu de la nudité monotone du pays environnant. Et Sylvain, habitué à la stérilité de sa lande sablonneuse, aux arbres étiques et rabougris que le vent de mer secouait et tourmentait autour de sa demeure, subissait inconsciemment l’attrait de cette végétation puissante, de cette force paisible et noble qui semble émaner d’un bel arbre.

L’auberge, étouffée sous cette luxuriance, paraissait toute petite. C’était une vieille maison, bâtie en briques de sable, que les ans avaient patinées d’une grisaille de pierre. Elle était très basse, comme enfoncée dans le sol. Et un immense toit de tuiles rouges pesait sur elle, descendait sur les fenêtres, où de frais petits rideaux bleus et blancs mettaient quelque chose de pimpant et de gai, comme la charmante et discrète coquetterie d’une aïeule. Sur les appuis des fenêtres, il y avait aussi des caisses, peintes en gros vert. Là poussaient des fuchsias et des asparagus, assouplis autour de bâtis légers en bois blanc. La porte ouverte de la vieille demeure accueillante semblait une invitation à entrer dans la fraîcheur de la pénombre qui emplissait l’intérieur.

Dans les joints des pavés de l’ancienne grand-route, l’herbe avait poussé. Entre les branches des arbres, le soleil filtrait, projetait sur le sol des ronds de lumière blonde. Et cela faisait dans l’air d’innombrables faisceaux de rayons, une brume, un poudroiement lumineux qui prêtait à ce coin une atmosphère féerique. Très bas, au pied du talus à pic, qui terminait le pavé, l’eau murmurait, avec des clapotis, de lents frissons dans les joncs.

Dans la maison, il y eut un bruit de pas. Quelqu’un parut sur le seuil. Avant que Sylvain se fût retourné pour demander une consommation, il entendit pousser une exclamation de surprise. Et il vit une toute jeune fille qui le regardait avec étonnement.

«Il y a longtemps que vous êtes ici? demanda-t-elle.

– Assez longtemps, oui.

– Et vous n’avez pas appelé?

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