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Il s’arrêta. Il s’était levé, dans sa colère. Et Germaine courut à lui, se jeta dans ses bras, avec passion.

«Oui, dit-elle en paroles hachées, entrecoupées de larmes, t’as raison. C’est une sale bête… Et je suis imbécile, à la fin! Je trime depuis des semaines, je suis malheureuse comme les pierres, il me fait courir avec du tabac, dans tous les coins… Il me fait frauder à tous les bureaux… J’ai manqué cent fois de me faire pincer!… J’ai plus rien à me mettre, il dépense l’argent, tout l’argent que je lui gagne!

– Et c’est pour ce type-là, Germaine, que tu m’as repoussé! Et pourtant, qui est-ce qui t’a mise dedans? Et qui est-ce qui te tire d’affaire?

– C’est vrai! C’est vrai, Lourges. J’ai eu tort. T’es meilleur que lui, je serais plus heureuse avec toi… Je le vois bien, maintenant. Tiens, je voudrais qu’il foute le camp, qu’il se fasse coffrer, qu’il en attrape pour dix ans!

– Ça, c’est pas difficile. Quand tu voudras, tu peux me le donner. Je ne le raterai pas.

– Et je le ferai! Oui, je le ferai! Je le «donnerai!» Tiens, t’as qu’à faire une perquisition, aujourd’hui, demain, quand tu voudras, chez nous. Comme maintenant, il y a plus de vingt kilos de tabac dans la cave!

– Bon, dit Lourges. Tiens ta langue, hein? Demain, je viendrai. Et je voudrais qu’il ne se laisse pas faire. On ne le raterait pas, cette fois. T’en serais débarrassée pour longtemps, ma fille. Tu serais heureuse, avec moi, tu sais…

– Oui, autrement qu’avec ce voyou! Il me dégoûte, je voudrais qu’il crève! Tiens, Lourges, si tu veux encore, je veux bien aussi! Il ne l’a pas volé; paie-toi!»

Lourges se paya.

XVII

Toute la matinée du lendemain, Germaine témoigna d’une nervosité particulière. Elle semblait attendre quelque chose, tendait l’oreille au moindre bruit.

Sylvain finit par s’en étonner.

«Qu’est-ce qui te prend? demanda-t-il. Il y a quelque chose qui te tracasse?

– Non, dit Germaine, mais je ne suis pas dans mon assiette. Cette affaire d’hier m’a toute détraquée.

– Tu n’étais pas si nerveuse, dans le temps, se contenta de répondre Sylvain. Pas la peine de te tracasser, puisque c’est fini.»

Et il se remit à ses comptes.

Germaine, pour lui, avait inventé une version spéciale des événements de la veille. Elle avait été arrêtée, disait-elle, visitée et maintenue durant une heure dans le poste. Mais, profitant d’une minute d’inattention des douaniers, elle avait pu se sauver, se réfugier sur le territoire belge. Elle avait pourtant dû abandonner son chargement de tabac sur la table du bureau de douane.

Sylvain avait accepté sans défiance cette explication plausible. Et il s’était vite consolé de la perte que représentait le tabac abandonné. Trois kilos à onze francs, ce n’étaient jamais que trente-trois francs. Et c’était vite regagné. Il avait justement fait quelques bonnes affaires, de son côté. Sur quarante kilos qu’il avait en dépôt, il en avait livré vingt-cinq la veille, et sept le matin. Il n’avait plus que huit kilos, dissimulés dans sa cachette, sous une marche de l’escalier.

Cela ennuyait Germaine. Elle regrettait maintenant d’avoir prévenu Lourges. Non qu’elle éprouvât le moindre remords. Elle était de ces femmes qui ne savent que haïr quand elles n’aiment plus. Mais elle craignait que Lourges, mécontent de s’être dérangé pour huit pauvres kilos de tabac, l’accusât de s’être moquée de lui.

Sylvain partirait peut-être chercher quelques kilos encore chez le maître fraudeur. Mais il n’en parlait pas. Et malgré son désir, Germaine n’osait pas le lui conseiller, de peur d’éveiller ses soupçons.

Sylvain avait fini de compter sa recette, quand, en relevant la tête, il lui sembla voir passer devant sa fenêtre une ombre qui se courbait. Au même moment, contre le mur qui séparait la maison de celle de la grosse Louise, cinq coups violents résonnèrent.

Sylvain sursauta. Louise avait dû voir quelque chose, pour l’avertir ainsi. Cinq coups, du temps de César, ça voulait dire: «danger.»

Sylvain, quatre à quatre, monta jusqu’au grenier. Et, passant la tête par la tabatière, il regarda dans la rue. Il vit des douaniers à chaque bout. Devant sa porte était un attroupement d’hommes en noir. Parmi eux, il reconnut Lourges. Et d’autres hommes arrivaient, passaient devant sa fenêtre en se courbant, pour n’être pas aperçus de l’intérieur.

Sylvain comprit. On le cernait. Il y allait avoir une perquisition.

Il se précipita en bas.

«Les noirs», souffla-t-il à Germaine.

Il alla fermer le verrou de la porte de la rue, ouvrit sa cave, vida sa cachette, engouffra tout le tabac qu’elle contenait dans un grand sac. Il le jeta sur son épaule, courut à la cour, appliqua une échelle contre le mur qui la séparait du dehors.

«Germaine», appela-t-il.

Germaine arriva. Sa pâleur frappa Sylvain.

«Qu’est-ce que tu vas faire? demanda-t-elle.

– Filer. S’ils frappent, n’ouvre pas avant que je sois parti. Dis que tu étais en haut, et que tu n’as pas entendu.»

Et il grimpa sur l’échelle, il s’apprêtait à enjamber le mur.

«Nom de…»

Du dehors, un douanier lui faisait un salut ironique.

«Ça va, Sylvain? criait-il. T’es frit, là, hein?»

Sylvain redescendit, rentra dans la maison, juste à temps pour arrêter et repousser en arrière Germaine, qui s’apprêtait à ouvrir la porte.

«T’es folle? cria-t-il.

– On a frappé, expliqua Germaine.

– Tu n’as pas compris ce que je t’ai dit? Ouvre la plaque du poêle.»

Germaine obéit. Sylvain, hâtivement, entassa dans le feu ses paquets de tabac. Avec un rondement, la flamme consuma l’herbe sèche.

À la porte, des coups retentirent, violents.

«Mon Dieu! Mon Dieu!» gémit Germaine.

Sylvain, fébrile, entassait toujours ses paquets dans le feu. Il jura de nouveau.

«On n’y arrivera pas. Germaine, le pétrole.»

Germaine n’osa pas lui désobéir. Elle apporta le bidon de pétrole. Sylvain en versa une large lampée dans le foyer.

Une flamme jaillit en grondant, éclaira la pâleur de Germaine, les traits convulsés de Sylvain.

Plus fort, on frappa à la porte. Les ais craquèrent.

«Ouvrez, au nom de la loi!» cria une voix.

Germaine fit un pas vers la porte.

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