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Il essaya de se lever. Et cela lui fit une impression étrange. Il n’avait plus de jambes. Du moins elles ne lui obéissaient plus Elles n’avaient même plus froid. Elles étaient tout à fait comme si elles n’avaient plus existé. Jamais il ne pourrait marcher.

Il songea qu’il pouvait du moins appeler, crier à l’aide. Avec un grand effort, il se tourna de côté, pour fixer les yeux sur la fenêtre de Pascaline. Et il cria:

«Pascaline…»

Puis il attendit, appuyé sur le coude.

Dans la maison, rien ne bougea.

Sylvain commençait à trembler. Ses forces s’épuisaient. Il fallait les ménager, s’il voulait durer une heure encore.

Alors, il se recoucha sur le sol. Ses vêtements inondés de sang se plaquèrent contre son corps. Et il se dit qu’il devait être complètement exsangue, après avoir tant saigné. Il s’aperçut soudain que ses yeux ne voyaient plus la fenêtre. Elle pouvait s’ouvrir, il ne la verrait pas. Une brume grisâtre se rapprochait de lui, limitait sa vue, le murait dans un cercle confus. Cela l’effraya. Il rassembla tout son souffle pour crier de nouveau:

«Pascaline…»

Sa voix ne portait plus.

Autour de lui, la campagne pâlissait. Le vent se faisait plus fort. L’herbe, autour de la tête de Sylvain, murmurait, frôlait son visage, l’effleurait d’une dernière caresse. Sa main droite tenait toujours sa blessure fermée. De la gauche, il palpa son corps, le sentit à peine. Cette belle et robuste machine ne lui appartenait déjà plus. Et son bras s’appesantissait, retombait à son côté sans qu’il le voulût.

Sylvain sut alors qu’il allait mourir sans revoir Pascaline. Et, pour la première fois, il se sentit lâche, il pleura désespérément.

Il voulut crier encore. Et il n’émit qu’un son confus, inintelligible. Sa bouche s’embarrassait dans un mucus mousseux, à goût de sang. Cette mousse, il n’avait plus la force de la cracher, elle sortait en gargouillant, malgré lui, de sa gorge, coulait en bave rougeâtre sur son menton, inondait tout son visage…

Et d’ailleurs la suprême indifférence entrait en lui. Sa pensée, de plus en plus, s’obscurcissait. Tout lui paraissait confus, lointain, hors de son être. Germaine, Lourges, César, Pascaline même, ce n’étaient plus que des mots, des fantômes qui s’embrumaient lentement dans sa mémoire. Lui-même, Sylvain, ce n’était plus qu’un rien, un corps insensible sur lequel il concentrait un reste de lucidité agonisante…

Il perdit conscience une première fois, se rendit compte, en revenant à lui, qu’il gémissait tout haut, et ne put interrompre ce bruit de gorge qu’il faisait en respirant. D’ailleurs, ça n’avait plus d’importance. Il retournait lentement aux limbes de sa prime enfance, les sons n’étaient plus que des rumeurs indistinctes, la lumière, qu’une blancheur trouble sur ses pupilles…

Son âme mourut la première. Et il ne connut rien du drame ultime qui se déroula dans sa chair, de la lutte farouche que livra encore son être, avant de redevenir matière…

(1932)

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