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Et Sylvain rit, un peu embarrassé de devoir ainsi exprimer des choses qu’il ne comprenait pas très clairement lui-même. Il regrettait maintenant de s’être ainsi avancé. Il eût voulu reprendre ses paroles. Mais avec son ingénuité de toute jeune fille, Pascaline continuait impitoyablement son inquisition.

«C’est notre maison qui vous plaît? demanda-t-elle.

– C’est tout, dit Sylvain.

– Ça n’est pas si beau, chez vous?

– Nulle part.»

Il avait lâché de nouveau sa bêche.

«D’être venu ici, mademoiselle Pascaline, ça m’a changé. Vous ne pouvez pas comprendre, n’est-ce pas…?

– Non, dit Pascaline.

– … Mais j’ai trouvé quelque chose qui me manquait, qui n’existait pas dans la réalité, à ce que je croyais. J’en avais rêvé souvent. Mais je pensais que c’était impossible à trouver.

– Et de quoi rêviez-vous? interrogea Pascaline.

– De tout ce qui est ici, d’un jardin comme ça, de grands arbres, de vieilles gens qui ne seraient pas mauvais, d’une jeune fille comme vous, avec qui j’aurais pu parler comme nous parlons maintenant…

– Et c’est si rare que ça?

– Les gens que j’ai rencontrés n’étaient pas comme vous. C’est bien dommage. Mais il est déjà tard, n’est-ce pas?

– Oui, dit Pascaline, sans comprendre.

– Dans la vie, on passe comme ça à côté d’un tas de choses…»

Il y eut un long silence. Sylvain s’emplissait les yeux du décor touffu et charmant, avec la vieille maison enfouie sous les framboisiers, la perspective des arbres énormes qui déployaient très haut leur panache, et le fond pur du ciel bleu.

«Vous n’êtes pas gai, aujourd’hui, murmura Pascaline. D’habitude, vous êtes si amusant!

– Vous ne pouvez pas savoir… Quelquefois, voyez-vous, je me dis que je ne devrais plus revenir.

– Mais vous nous feriez de la peine à tous!

– … Ou bien alors, ne revenir que plus tard, quand je pourrais… Seulement, à ce moment-là, il sera trop tard… Il faudrait tout recommencer, hein?

– On peut toujours recommencer», murmura Pascaline, comme pour elle-même.

Sylvain leva les yeux sur elle, la regarda avec une attention anxieuse. Elle était devenue grave. Et cela changeait son air d’enfant, faisait plus hardi son regard bleu; la fillette s’effaçait. Derrière, la femme transparaissait, mûrie, transfigurée par la solennité de l’instant. Ses cheveux roux volaient autour de son visage sans qu’elle songeât à les rattacher. Et, face au vent qui passait sur son front, elle semblait interroger en silence l’horizon lointain des dunes, y chercher pour la première fois l’explication de son destin.

«Vous croyez? demanda Sylvain d’une voix profonde et qui tremblait, vous croyez?»

Et sans s’en rendre compte, il avait joint les mains, comme pour une prière.

«On peut toujours», répéta Pascaline.

Une émotion gonfla le cœur de Sylvain, une exaltation douce, qui lui mettait des larmes au bord des paupières.

«Alors, j’essaierai», dit-il tout bas.

Et ce fut tout. Il n’y eut jamais rien de plus, entre Pascaline et lui.

XII

Sylvain avait promis au grand Fernand d’aller prendre dix kilos de tabac chez lui le mardi suivant. Il avait des clients à fournir, du côté de Loon. Il pensait y aller à vélo, sous un déguisement quelconque, suivant son habitude. Mais la veille au soir, en revenant chez Germaine, il tomba de machine et se fit au genou une contusion douloureuse. Il lui serait impossible de partir le lendemain pour Loon.

Il envoya donc Germaine chercher César, à côté. Et il s’entendit avec lui. Moyennant le partage du bénéfice, César consentit volontiers à faire l’opération à la place de Sylvain. Sylvain indiqua soigneusement les clients à visiter et les quantités à livrer. Et le lendemain matin, César se mettait en campagne.

Il partit à pied. Il n’était plus aussi solide qu’autrefois, et la bicyclette demandait plus d’haleine qu’il n’en possédait encore. Les petits verres, les femmes et le tabac lui avaient, comme il disait, coupé les jambes. Il se proposait donc d’aller à pied chez le grand Fernand. Et de là, il prendrait le tramway aussi longtemps qu’il le pourrait dans la direction de Loon. C’était plus dangereux, il le savait. La loi établit ainsi de subtiles distinctions entre la fraude à pied et la fraude sur véhicule, la brouette et la bicyclette étant assimilées au premier groupe, la baladeuse, le tram et l’auto étant classés dans le second.

Mais César espérait bien n’être pas pris. Il emportait avec lui un grand panier où il mettrait son tabac. Il le déposerait sur la plateforme, dans un coin du tramway. Et s’il était interrogé par un gabelou quelconque, il ferait l’innocent, il nierait mordicus être le propriétaire du colis. Ce stratagème lui avait déjà réussi, une fois.

À neuf heures, son panier vide sous le bras, César arrivait devant la maison du maître fraudeur. Avant d’entrer dans là cour, par prudence, il inspecta longuement la rue, n’y vit rien d’anormal. Alors il entra chez le grand Fernand.

L’homme était en train de casser du bois dans sa cour.

«Salut, eh», dit César.

Le grand Fernand se retourna.

«Tiens, v’là César. Et quelle nouvelle?

– Les nouvelles sont bonnes. T’as mon tabac?

– Quel tabac?

– Le tabac de Sylvain.

– Il ne vient pas lui-même?

– Non. Il s’est amoché, hier, avec sa bécane.

– Ah! fit Fernand. C’est embêtant.

– Oui. Mais on s’est arrangé. C’est moi que je vas porter pour lui.»

Le grand Fernand paraissait contrarié. Il se grattait le nez, semblait réfléchir à quelque chose.

«On dirait que ça te tracasse? dit César.

– Moi? non. C’est pas ça. Je pensais à quelque chose.

– À quoi? demanda César, qui ignorait la discrétion.

– À rien. Alors, tu veux son tabac?

– Et alors, si je le veux. Je suis venu exprès pour ça.

– Entre.»

Le grand Fernand précéda César dans la cuisine, alla chercher dans son grenier quarante paquets d’une demi-livre de tabac, et les mit au fond du panier de César. Par-dessus, on disposa une couche de petit bois cassé.

«Et voilà, dit César.

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