«Vas-tu m’aider!» cria Sylvain.
Et il la força à jeter avec lui du tabac dans le poêle. Mais le foyer était étroit. Malgré le pétrole, le tabac se consumait encore trop lentement.
Alors Sylvain n’hésita plus. Il vida à terre le reste de son sac, l’arrosa copieusement de pétrole, y mit le feu.
Tout de suite, un rougeoiement formidable, un embrasement d’incendie illumina la petite pièce. Et Sylvain versa le reste de son pétrole.
«Il est fou! Il est fou! cria Germaine. Il va brûler mes meubles!»
Sous les coups terribles qu’on lui assenait, la porte craquait.
«Ouvrez! Ouvrez!» criaient des voix furieuses.
Germaine se précipita pour ouvrir. D’un bond, Sylvain fut sur elle, il la retint par le bras avec une telle violence qu’il la fit pirouetter sur elle-même. Et, la regardant en face, lui parlant avec un calme plus effrayant que la colère:
«Reste ici, Germaine, dit-il. Je sais pourquoi tu es si pressée d’ouvrir. Mais si tu touches la porte avant que j’aie fini…»
Et il leva sur elle une main capable de l’écraser.
Germaine ne bougea plus, resta collée contre le mur.
Et Sylvain, l’air farouche, les dents serrées, l’œil dur, regarda se consumer les restes de son tabac, sans plus se retourner, malgré le vacarme que faisaient les douaniers à sa porte. Il ne s’occupait même plus de Germaine. Il savait qu’elle obéirait.
Elle avait si peur de sa colère, d’ailleurs, que quand tout eut été anéanti, elle n’osa pas encore bouger. Et ce fut Sylvain lui-même qui alla tirer le verrou et faire entrer les douaniers.
Il y avait là, comme il est nécessaire pour toute perquisition, le capitaine, le lieutenant et le sous-lieutenant des douanes, un inspecteur des contributions, le commissaire de police, et deux préposés, dont Lourges.
«Entrez», dit Sylvain, calme.
Tout ce monde entra dans la petite pièce enfumée, empestée de l’odeur du pétrole et du tabac, et où volaient d’énormes noirets.
«Refaits! dit Lourges.
– J’ai mis longtemps à vous ouvrir, expliqua Sylvain, gracieux, mais j’avais justement un feu de cheminée que j’ai eu bien du mal à éteindre.
– Ou à allumer, dit Lourges.
– Vous venez pour une perquisition? continua Sylvain sans relever. Eh bien, allez-y. Moi, je vous regarde.»
Et il alla ouvrir la porte de la cour, il provoqua ainsi un violent courant d’air qui balaya la fumée et les cendres.
«Alors? demanda le capitaine, par où commençons-nous?
– Pas la peine de chercher, dit Lourges. On ne trouvera plus un poil de tabac ici. Il n’y est plus.
– Et où est-il?
– Ici…»
Lourges montrait les cendres.
«… et là!»
Il montrait les dernières traînées de fumée.
«Ah! ah! ah! rit Sylvain. Tu vas toucher une belle prime, hein, camarade?»
Et devant le lieutenant des douanes, il rit encore, à belles dents.
«Voyons, Sylvain, dit le lieutenant, dissimulant son désappointement, je ne te comprends pas. Tu es pourtant un type pas bête! Ça m’étonne que tu ne saches pas t’arranger mieux que ça. Qu’est-ce que tu y gagnes, à cette affaire?
– Autant que vous autres.
– Hé non. Nous, on n’y perd rien. Toi, ton tabac s’est envolé.
– Vous comptez pour rien le plaisir de me foutre de vos têtes à tous, et surtout de ce bel oiseau-là, qui pensait déjà tenir sa revanche.»
Lourges voulait répliquer. Le lieutenant lui fit signe de garder le silence. Et il répondit:
«Mettons. Mais encore deux ou trois petits amusements comme ça, et il ne te restera pas lourd, hein?
– C’est mon affaire.
– D’accord. Mais allons, je sais que je m’adresse à un débrouillard, un type qui sait ce que parler veut dire. Pourquoi ne travailles-tu pas avec nous?
– Avec vous?
– Oui. Fais pas la bête. Tu comprends très bien. Et tu en connais, toi, des tuyaux. Si tu voulais, tu pourrais gagner ta vie, avec nous. On partagerait les primes.»
Tout le monde regardait Sylvain.
«Hein? insista le lieutenant. On te laisserait bien tranquille, tu travaillerais à ton aise, sans te faire de bile. Tu te vois porter des paquets sous ton bras, comme un bourgeois qui se promène? ça te changerait un peu. Et pour ça, tu n’aurais qu’à te mettre avec nous. Tu n’es pas gêné de nous faire de belles prises. Qu’en dis-tu?
– Je dis non», répondit Sylvain, en regardant Lourges.
Et ce fut si ferme que le lieutenant n’insista pas.
«Allons, dit le capitaine, inutile de perdre notre temps plus longtemps. Chou blanc… pour cette fois.»
Les sept hommes sortirent.
Mais sur le seuil, avant de s’éloigner, le lieutenant se tourna encore vers Sylvain:
«Tu as choisi. Tu le regretteras.»
XVIII
Lourges sut garder pour lui son humiliation. Il était de ceux que l’attente ne rebute jamais, et qui savent avec patience espérer une occasion. Il savait que le temps travaillait pour lui. Par la femme, il finirait par avoir l’homme. Dix fois il avait joué ce jeu-là. Il ne se souvenait pas qu’il eût échoué.
Quand il revit Germaine, après la perquisition avortée, il ne lui fit que des reproches aussi modérés que sa colère le lui permit. Car au fond, il avait du mal à digérer cet insuccès. Il s’était fié aux paroles de Germaine. Il avait mis en branle tout l’appareil compliqué que nécessite une perquisition à domicile. Il avait affirmé à ses chefs, avec une assurance absolue, qu’on ferait une belle prise. Et voilà que toute l’affaire ratait. Il avait ainsi perdu un peu de la confiance aveugle que ses chefs avaient en lui. Il avait subi devant Sylvain un nouvel échec, une humiliation à laquelle il ne pouvait penser sans une rage sourde. Et sa haine contre son rival avait encore grandi, aussi cinglée par la moquerie non dissimulée de Sylvain.
Mais Lourges avait maintenant un atout puissant dans son jeu: Germaine.
De jour en jour, la femme s’attachait davantage à son amant. Elle en était envoûtée. Chaque jeudi, dans la chambre qu’ils louaient pour la soirée à Mme Jeanne, ils avaient des rendez-vous dont elle sortait lasse, la chair épuisée de plaisir, mais non rassasiée, affamée davantage au contraire. C’était une débauche de luxure, une conquête mutuelle par les sens. Et Germaine ne vivait plus maintenant que dans l’attente ardente de ces après-midi du jeudi.