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– Mais non, j’étais très tranquille, vous voyez.»

Il rit, content, sans trop savoir pourquoi, de se sentir là, plein d’une vague et douce quiétude.

La jeune fille le regardait. Et elle rit aussi.

«Ça vous paraît donc toute une affaire, que je sois ici, continua Sylvain. On dirait que vous n’en revenez pas.

– C’est qu’il n’est pas dimanche, dit l’autre.

– Et vous n’avez de clients que le dimanche?

– Oui. Des gens qui viennent pêcher, ou qui veulent se reposer.

– Vous ne ferez pas vite fortune, je pense, si vous chômez toute la semaine.»

De nouveau elle eut un beau rire, jeune, frais, – un rire de petite fille, pensait Sylvain émerveillé. Et elle répondit naïvement:

«Oh! non. Mais il y a beau temps que nous ne comptons plus faire fortune, non plus. Depuis qu’ils ont supprimé l’ancien pont, vous comprenez…

– Alors, vous êtes ainsi tranquilles toute la semaine?

– À peu près. On ne m’aurait pas laissée toute seule, vous pensez bien, si on avait cru qu’il viendrait du monde.

– Vous êtes toute seule?

– Oui. Mon oncle et ma tante sont partis pour Furnes.

– Ce ne sont pas vos parents qui demeurent ici?

– Non. Ils sont morts.»

Une ombre de tristesse passa sur ses traits, sans les endeuiller longtemps. On sentait en elle un débordement de jeunesse, une allégresse de vivre, un candide émerveillement devant les choses, qui l’empêchait de rester triste longtemps.

«Alors, reprit-elle d’un air embarrassé, qu’est-ce que nous allons faire?

– Vous ne pourriez pas me faire donner quelque chose à boire?»

Sylvain n’osait pas, sans qu’il sût pourquoi, envisager qu’elle-même pût le servir. La jeune fille, d’ailleurs, parut consternée à cette demande.

«Je ne l’ai jamais fait, avoua-t-elle. Je n’ai jamais servi les clients, je ne connais pas les verres ni les prix. Il n’y a pas longtemps que je suis ici.»

Il y eut un silence.

«Écoutez, reprit-elle enfin, le mieux, ça serait que vous partiez…»

C’était si drôle que Sylvain dut rire.

«Mais j’ai soif, protesta-t-il. On ne met pas ainsi les clients à la porte.»

La jeune fille était de plus en plus perplexe.

«C’est vrai? insista-t-elle. Vous avez vraiment soif?

– Ça, oui! soit dit sans vous froisser vous me semblez faire une étrange commerçante.»

Elle rit aussi, de nouveau.

«Alors, qu’est-ce que nous allons faire? reprit-elle.

– Eh bien, vous avez tout de même de quoi boire, chez vous, quand ça ne serait que pour le dimanche?

– Oui. Il y a de la bière, du vin, du sirop de groseille.

– Bon. Je vais me servir moi-même.

– C’est vrai. C’est le plus simple. Venez au comptoir. Vous choisirez.»

Sylvain se leva, entra dans l’auberge. Il n’en avait jamais rencontré de pareille. C’était une vaste pièce, basse, sombre, éclairée par de petites fenêtres. Le plafond bruni, le dallage de pierres bleues, les murailles enfumées, créaient là une atmosphère spéciale, une sorte de clair-obscur agréable et frais, que traversaient d’un rayonnement brutal les deux jets de lumière vive qui tombaient des fenêtres. Les yeux s’y accoutumaient vite. Et Sylvain vit que c’était là, bien plus qu’une salle d’auberge, une sorte de grande cuisine, une pièce où toute la maisonnée devait vivre habituellement. Contre le mur du fond, il y avait une large cheminée, telle qu’on en voit encore quelquefois dans les vieilles fermes des Flandres. Très haute, elle montait en se rétrécissant jusqu’au plafond. À mi-hauteur, un manteau la coupait transversalement. Et toute une série de casseroles, des marmites, une lampe de cuivre, une statuette de la vierge étaient disposées sur cette planche. L’immense ouverture de cette cheminée avait été murée. On n’y avait laissé qu’un trou, par où passait la buse d’un petit poêle flamand à pot rond, orné de barres nickelées, et soigneusement passé à la mine de plomb. Il y avait de chaque côté de ce poêle un fauteuil de tapisserie dont l’affaissement indiquait un service quotidien. Sur celui de droite dormait un petit chien roulé en boule. Au milieu de la salle, sous une suspension à grand abat-jour de papier peint, était une table carrelée de faïence blanche. Contre le mur, un buffet à vitraux colorés, sur le haut duquel s’alignaient des boîtes à épices. En face, contre l’autre mur, une vieille horloge arrêtée, son balancier de cuivre immobile dans sa longue gaine de bois brun, et son cadran d’émail blanc dépourvu d’aiguilles. Dans le coin de la fenêtre de gauche un petit comptoir, avec une étagère où l’on voyait quelques bouteilles et des verres propres, le fond en l’air. C’était la seule chose qui rappelât qu’on était dans un cabaret.

Sylvain n’eut pas le temps d’en voir davantage. Le petit chien roux s’était éveillé, et se précipitait sur lui en aboyant furieusement.

«Jim, Jim, veux-tu!» cria la jeune fille. Et elle courut autour de Jim, elle essaya vainement de l’attraper.

«C’est qu’il est méchant, disait-elle, effrayée. Il va vous mordre.

– Laissez-moi faire, dit Sylvain. J’ai l’habitude.»

Il ne bougeait pas, se laissait flairer par le petit animal, qui, le poil hérissé, s’approchait de lui avec méfiance, dérouté par cette immobilité. Sylvain, lentement, porta la main à sa poche, en tira un morceau de sucre, l’éleva jusqu’à sa bouche, fit semblant de le mâcher longuement. Jim leva la tête, pointa les oreilles d’un air intéressé. Le poil de son dos se rabaissait lentement. Sylvain cassa le sucre en deux, en offrit la moitié à la petite bête. Jim l’accepta, la croqua avec satisfaction, agita la queue. Alors Sylvain lui donna le reste du sucre. Et Jim parut avoir fait la paix, et vouloir accepter l’intrus!

«C’est extraordinaire, dit la jeune fille. Il est si méchant. Vous n’avez pas peur des chiens, je vois.

– Non, dit Sylvain, amusé, je m’entends un peu à les dresser, au contraire.

– Avec Jim, personne n’a jamais su rien faire. Il est trop méchant.

– Si j’en avais le temps, je lui apprendrais bien quelques petits tours, tout de même.

– Sans lui faire de mal?

– Au contraire, avec beaucoup de sucre.

– C’est dommage que vous ne veniez pas souvent par ici, vous lui apprendriez à donner la patte et à faire le beau. J’ai une amie, son chien sait faire tout cela… C’est gentil…

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