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– Hélas! oui, tu le vois… Je te dirai que le fils de M. de Saint-Remy étant fort répandu dans le monde, et fort riche…

– Fort riche?… Et son père est pauvre?

– Toute la fortune de M. de Saint-Remy fils vient de sa mère…

– Mais il n’importe… comment laisse-t-il son père…?

– Son père n’aurait rien accepté de lui.

– Pourquoi cela?

– C’est encore une question à laquelle je ne puis répondre, ma chère enfant. Mais j’ai entendu dire par mon pauvre frère qu’on vantait beaucoup la générosité de ce jeune homme… Jeune et généreux, il doit être bon… Aussi, apprenant par moi que mon mari était l’ami intime de son père, peut-être voudra-t-il bien s’intéresser à nous pour tâcher de nous trouver de l’ouvrage ou de l’emploi… il a des relations si brillantes, si nombreuses, que cela lui sera facile…

– Et puis l’on saurait par lui peut-être si M. de Saint-Remy, son père, n’aurait pas quitté Angers avant que vous ne lui ayez écrit; cela expliquerait alors son silence.

– Je crois que M. de Saint-Remy, mon enfant, n’a conservé aucune relation. Enfin, c’est toujours à tenter…

– À moins que M. d’Orbigny ne vous réponde d’une manière favorable… et, je vous le répète, je ne sais pourquoi, malgré moi, j’ai de l’espoir.

– Mais voilà plusieurs jours que je lui ai écrit, mon enfant, lui exposant les causes de notre malheur, et rien… rien encore… Une lettre mise à la poste avant quatre heures du soir arrive le lendemain matin à la terre des Aubiers… Depuis cinq jours, nous pourrions avoir reçu sa réponse…

– Peut-être cherche-t-il, avant de t’écrire, de quelle manière il pourra nous être utile avant de nous répondre.

– Dieu t’entende, mon enfant!

– Cela me paraît tout simple, maman… S’il ne pouvait rien pour nous, il t’en aurait instruite tout de suite.

– À moins qu’il ne veuille rien faire…

– Ah! maman… est-ce possible? Dédaigner de nous répondre et nous laisser espérer quatre jours, huit jours, peut-être… car lorsqu’on est malheureux on espère toujours…

– Hélas! mon enfant, il y a quelquefois tant d’indifférence pour les maux que l’on ne connaît pas!

– Mais votre lettre…

– Ma lettre ne peut lui donner une idée de nos inquiétudes, de nos souffrances de chaque minute; ma lettre lui peindra-t-elle notre vie si malheureuse, nos humiliations de toutes sortes, notre existence dans cette affreuse maison, la frayeur que nous avons eue tout à l’heure encore?… Ma lettre lui peindra-t-elle enfin l’horrible avenir qui nous attend, si…? Mais, tiens… mon enfant, ne parlons pas de cela… Mon Dieu… tu trembles… tu as froid…

– Non, maman… ne fais pas attention; mais, dis-moi, supposons que tout nous manque, que le peu d’argent qui nous reste là, dans cette malle, soit dépensé… il serait donc possible que dans une ville riche comme Paris… nous mourussions toutes les deux de faim et de misère… faute d’ouvrage, et parce qu’un méchant homme t’a pris tout ce que tu avais?…

– Tais-toi, malheureuse enfant…

– Mais enfin, maman, cela est donc possible?…

– Hélas!…

– Mais Dieu, qui sait tout, qui peut tout, comment nous abandonne-t-il ainsi, lui que nous n’avons jamais offensé?

– Je t’en supplie, mon enfant, n’aie pas de ces idées désolantes… j’aime mieux encore te voir espérer, sans grande raison peut-être… Allons, rassure-moi au contraire par tes chères illusions; je ne suis que trop sujette au découragement… tu sais bien…

– Oui! oui! espérons… cela vaut mieux. Le neveu du portier va sans doute revenir aujourd’hui de la poste restante avec une lettre… Encore une course à payer sur votre petit trésor… et par ma faute… Si je n’avais pas été si faible hier et aujourd’hui, nous serions allées à la poste nous-mêmes, comme avant-hier… mais vous n’avez pas voulu me laisser seule ici en y allant vous-même.

– Le pouvais-je… mon enfant?… Juge donc… tout à l’heure… ce misérable qui a enfoncé cette porte, si tu t’étais trouvée seule ici, pourtant!

– Oh! maman, tais-toi… rien qu’à y songer, cela épouvante…

À ce moment, on frappa assez brusquement à la porte.

– Ciel!… c’est lui! s’écria Mme de Fermont encore sous sa première impression de terreur. Et elle poussa de toutes ses forces la table contre la porte.

Ses craintes cessèrent lorsqu’elle entendit la voix du père Micou.

– Madame, mon neveu André arrive de la poste restante… C’est une lettre avec un X et un Z pour adresse… ça vient de loin… Il y a huit sous de port et la commission… c’est vingt sous…

– Maman… une lettre de province, nous sommes sauvés… c’est de M. de Saint-Remy ou de M. d’Orbigny! Pauvre mère, tu ne souffriras plus, tu ne t’inquiéteras plus de moi, tu seras heureuse… Dieu est juste… Dieu est bon!… s’écria la jeune fille; et un rayon d’espoir éclaira sa douce et charmante figure.

– Oh! monsieur, merci… donnez… donnez vite! dit Mme de Fermont en dérangeant la table à la hâte et en entrebâillant la porte.

– C’est vingt sous, madame, dit le receleur en montrant la lettre si impatiemment désirée.

– Je vais vous payer, monsieur.

– Ah! madame, par exemple… il n’y a pas de presse… Je monte aux combles; dans dix minutes je redescends, je prendrai l’argent en passant.

Le revendeur remit la lettre à Mme de Fermont et disparut.

– La lettre est de Normandie… Sur le timbre il y a Les Aubiers… c’est de M. d’Orbigny! s’écria Mme de Fermont en examinant l’adresse: À Madame X. Z., poste restante, à Paris .

– Eh bien, maman, avais-je raison?… Mon Dieu, comme le cœur me bat!

– Notre bon ou mauvais sort est là pourtant…, dit Mme de Fermont d’une voix altérée, en montrant la lettre.

Deux fois sa main tremblante s’approcha du cachet pour le rompre.

Elle n’en eut pas le courage.

Peut-on espérer de peindre la terrible angoisse à laquelle sont en proie ceux qui, comme Mme de Fermont, attendent d’une lettre l’espoir ou le désespoir?

La brûlante et fiévreuse émotion du joueur dont les dernières pièces sont aventurées sur une carte et qui, haletant, l’œil enflammé, attend d’un coup décisif sa ruine ou son salut; cette émotion si violente donnerait pourtant à peine une idée de la terrible angoisse dont nous parlons.

En une seconde l’âme s’élève jusqu’à la plus radieuse espérance, ou retombe dans un découragement mortel. Selon qu’il croit être secouru ou repoussé, le malheureux passe tour à tour par les émotions les plus violemment contraires: ineffables élans de bonheur et de reconnaissance envers le cœur généreux qui s’est apitoyé sur un sort misérable; amers et douloureux ressentiments contre l’égoïste indifférence!

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