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M. Boyer s’empara du plateau avec une sorte de jalouse prévenance, de respectueux empressement, et vint le présenter au vicomte.

Celui-ci y prit une assez volumineuse enveloppe scellée d’un cachet de cire noire.

Les deux serviteurs se retirèrent discrètement.

Florestan ouvrit l’enveloppe. Elle contenait vingt-cinq mille francs en bons du Trésor… sans autre avis.

– Décidément, s’écria-t-il avec joie, la journée est bonne… Sauvé! Cette fois, et pour le coup complètement sauvé… je cours chez le joaillier… et encore…, se dit-il, peut-être… Non, attendons on ne peut avoir aucun soupçon sur moi… Vingt-cinq mille francs sont bons à garder… Pardieu! je suis bien sot de jamais douter de mon étoile… au moment où elle semble obscurcie, ne reparaît-elle pas plus brillante encore?… Mais d’où vient cet argent? l’écriture de l’adresse m’est inconnue… voyons le cachet… le chiffre. Mais oui, oui… je ne me trompe pas… un N et un L… c’est Clotilde! Comment a-t-elle su? Et pas un mot… c’est bizarre! Quel à-propos!… Ah! mon Dieu! j’y songe… je lui avais donné rendez-vous ce matin… Ces menaces de Badinot m’ont bouleversé… J’ai oublié Clotilde… après m’avoir attendu au rez-de-chaussée, elle s’en sera allée?… Sans doute, cet envoi est un moyen délicat de me faire entendre qu’elle craint de se voir oubliée pour des embarras d’argent. Oui, c’est un reproche indirect de ne m’être pas adressé à elle comme toujours… Bonne Clotilde; toujours la même! Généreuse comme une reine! Quel dommage d’en être venu là avec elle… encore si jolie! Quelquefois j’en ai regret… mais je ne me suis adressé à elle qu’à la dernière extrémité. J’y ai été forcé.

– Le cabriolet de monsieur le vicomte est avancé, vint dire M. Boyer.

– Qui a apporté cette lettre? lui demanda Florestan.

– Je l’ignore, monsieur le vicomte.

– Au fait, je le demanderai en bas.

– Mais dites-moi, il n’y a personne au rez-de-chaussée? ajouta le vicomte en regardant Boyer d’un air significatif.

– Il n’y a plus personne, monsieur le vicomte.

«Je ne m’étais pas trompé, pensa Florestan, Clotilde m’a attendu et s’en est allée.»

– Si monsieur le vicomte voulait avoir la bonté de m’accorder deux minutes, dit Boyer.

– Dites et dépêchez-vous.

– Edwards et moi nous avons appris que M. le duc de Montbrison désirait monter sa maison; si monsieur le vicomte voulait être assez bon pour lui proposer la sienne toute meublée, ainsi que son écurie toute montée… ce serait pour moi et pour Edwards une très-bonne occasion de nous défaire de tout, et pour monsieur le vicomte peut-être une bonne occasion de motiver cette vente.

– Mais vous avez pardieu raison, Boyer… pour moi-même je préfère cela… Je verrai Montbrison, je lui parlerai. Quelles sont vos conditions?

– Monsieur le vicomte comprend bien… que nous devons tâcher de profiter le plus possible de sa générosité.

– Et gagner sur votre marché; rien de plus simple! Voyons… le prix?

– Le tout, deux cent soixante mille francs… monsieur le vicomte.

– Vous gagnez là-dessus, vous et Edwards?…

– Environ quarante mille francs, monsieur le vicomte…

– C’est joli! Du reste, tant mieux; car, après tout, je suis content de vous… et si j’avais eu un testament à faire, je vous aurais laissé cette somme, à vous et à Edwards.

Et le vicomte sortit pour se rendre d’abord chez son créancier, puis chez Mme de Lucenay qu’il ne soupçonnait pas d’avoir assisté à son entretien avec Badinot.

IX La perquisition

L’hôtel de Lucenay était une de ces royales habitations du faubourg Saint-Germain que le terrain perdu rendait si grandioses; une maison moderne tiendrait à l’aise dans la cage de l’escalier d’un de ces palais, et on bâtirait un quartier tout entier sur l’emplacement qu’ils occupent.

Vers les neuf heures du soir de ce même jour, les deux battants de l’énorme porte de cet hôtel s’ouvrirent devant un étincelant coupé qui, après avoir décrit une courbe savante dans la cour immense, s’arrêta devant un large perron abrité qui conduisait à une première antichambre.

Pendant que le piétinement de deux chevaux ardents et vigoureux retentissait sur le pavé sonore, un gigantesque valet de pied ouvrit la portière armoriée; un jeune homme descendit lestement de cette brillante voiture et monta non moins lestement les cinq ou six marches du perron.

Ce jeune homme était le vicomte de Saint-Remy.

En sortant de chez son créancier, qui, satisfait de l’engagement du père de Florestan, avait accordé le délai demandé et devait revenir toucher son argent à dix heures du soir, rue de Chaillot, M. de Saint-Remy s’était rendu chez Mme de Lucenay pour la remercier du nouveau service qu’elle lui avait rendu; mais, n’ayant pas rencontré la duchesse le matin, il arrivait triomphant, certain de la trouver en prima sera, heure qu’elle lui réservait habituellement.

À l’empressement de deux valets de pied de l’antichambre qui coururent ouvrir la porte vitrée dès qu’ils reconnurent la voiture de Florestan, à l’air profondément respectueux avec lequel le reste de la livrée se leva spontanément sur le passage du vicomte; enfin à quelques nuances presque imperceptibles, on devinait le second, ou plutôt le véritable maître de la maison.

Lorsque M. le duc de Lucenay rentrait chez lui, son parapluie à la main et les pieds chaussés de socques démesurés (il détestait de sortir le jour en voiture), les mêmes évolutions domestiques se répétaient tout aussi respectueuses; cependant, aux yeux d’un observateur, il y avait une grande différence de physionomie entre l’accueil fait au mari et celui qu’on réservait à l’amant.

Le même empressement se manifesta dans le salon des valets de chambre lorsque Florestan y entra; à l’instant l’un d’eux le précéda pour aller l’annoncer à Mme de Lucenay.

Jamais le vicomte n’avait été plus glorieux, ne s’était senti plus léger, plus sûr de lui, plus conquérant…

La victoire qu’il avait remportée le matin sur son père, la nouvelle preuve d’attachement de Mme de Lucenay, la joie d’être sorti si miraculeusement d’une position terrible, sa renaissante confiance dans son étoile donnaient à sa jolie figure une expression d’audace et de bonne humeur qui la rendait plus séduisante encore; jamais enfin il ne s’était senti mieux.

Et il avait raison.

Jamais sa taille mince et flexible ne s’était dressée plus cavalière; jamais il n’avait porté le front et le regard plus haut; jamais son orgueil n’avait été plus délicieusement chatouillé par cette pensée:

«La très-grande dame, maîtresse de ce palais, est à moi, est à mes pieds… ce matin encore elle m’attendait chez moi…»

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