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Ne seront-ils pas aussi étrangers aux lois sociales que les sauvages du nouveau monde?

Pauvres créatures corrompues en naissant, qui, dans les prisons où les conduisent souvent le vagabondage et le délaissement, sont déjà flétries par cette grossière et terrible métaphore:

«Graines de bagne!!!»

Et la métaphore a raison.

Cette sinistre prédiction s’accomplit presque toujours: galères ou lupanar, chaque sexe a son avenir.

Nous ne voulons justifier ici aucun débordement.

Que l’on compare seulement la dégradation volontaire d’une femme pieusement élevée au sein d’une famille aisée, qui ne lui aurait donné que de nobles exemples; que l’on compare, disons-nous, cette dégradation à celle de la Louve, créature pour ainsi dire élevée dans le vice, par le vice et pour le vice, à qui l’on montre, non sans raison, la prostitution comme un état protégé par le gouvernement!

Ce qui est vrai.

Il y a un bureau où cela s’enregistre, se certifie et se paraphe.

Un bureau où souvent la mère vient autoriser la prostitution de sa fille; le mari, la prostitution de sa femme.

Cet endroit s’appelle le «bureau des mœurs»!!!

Ne faut-il pas qu’une société ait un vice d’organisation bien profond, bien incurable, à l’endroit des lois qui régissent la condition de l’homme et de la femme, pour que le pouvoir – le pouvoir… cette grave et morale abstraction – soit obligé non-seulement de tolérer, mais de réglementer, mais de légaliser, mais de protéger, pour la rendre moins dangereuse, cette vente du corps et de l’âme, qui, multipliée par les appétits effrénés d’une population immense, atteint chaque jour à un chiffre presque incommensurable!

IX Châteaux en Espagne

La Goualeuse, surmontant l’émotion que lui avait causé la triste confession de sa compagne, lui dit timidement:

– Écoutez-moi sans vous fâcher.

– Voyons, dites, j’espère que j’ai assez bavardé; mais au fait c’est égal, puisque c’est la dernière fois que nous causons ensemble.

– Êtes-vous heureuse, la Louve?

– Comment?

– De la vie que vous menez?

– Ici, à Saint-Lazare?

– Non, chez vous, quand vous êtes libre?

– Oui, je suis heureuse.

– Toujours?

– Toujours.

– Vous ne voudriez pas changer votre sort contre un autre?

– Contre quel sort? Il n’y a pas d’autre sort pour moi.

– Dites-moi, la Louve, reprit Fleur-de-Marie, après un moment de silence, est-ce que vous n’aimez pas à faire quelquefois des châteaux en Espagne? C’est si amusant en prison!

– À propos de quoi, des châteaux en Espagne?

– À propos de Martial.

– De mon homme?

– Oui.

– Ma foi, je n’en ai jamais fait.

– Laissez-moi en faire un pour vous et pour Martial.

– Bah! à quoi bon?

– À passer le temps.

– Eh bien! voyons ce château en Espagne.

– Figurez-vous, par exemple, qu’un hasard comme il en arrive quelquefois vous fasse rencontrer une personne qui vous dise: «Abandonnée de votre père et de votre mère, votre enfance a été entourée de si mauvais exemples qu’il faut vous plaindre autant que vous blâmer d’être devenue…»

– D’être devenue quoi?

– Ce que vous et moi nous sommes devenues, répondit la Goualeuse d’une voix douce; et elle continua: Supposez que cette personne vous dise encore: «Vous aimez Martial, il vous aime; vous et lui, quittez une vie mauvaise; au lieu d’être sa maîtresse, soyez sa femme.»

La Louve haussa les épaules.

– Est-ce qu’il voudrait de moi pour sa femme?

– Excepté le braconnage, il n’a commis, n’est-ce pas, aucune autre action coupable?

– Non… il est braconnier sur la rivière comme il l’était dans les bois, et il a raison. Tiens, est-ce que les poissons ne sont pas comme le gibier, à qui peut les prendre? Où donc est la marque de leur propriétaire?

– Eh bien! supposez qu’ayant renoncé à son dangereux métier de maraudeur de rivière, il veuille devenir tout à fait honnête; supposez qu’il inspire, par la franchise de ses bonnes résolutions, assez de confiance à un bienfaiteur inconnu pour que celui-ci lui donne une place… de garde-chasse, par exemple, à lui qui était braconnier, ça serait dans ses goûts, j’espère; c’est le même état, mais en bien.

– Ma foi, oui, c’est toujours vivre dans les bois.

– Seulement on ne lui donnerait cette place qu’à la condition qu’il vous épouserait et qu’il vous emmènerait avec lui.

– M’en aller avec Martial!

– Oui, vous seriez si heureuse, disiez-vous, d’habiter ensemble au fond des forêts! N’aimeriez-vous pas mieux, au lieu d’une mauvaise hutte de braconnier, où vous vous cacheriez tous deux comme des coupables, avoir une honnête petite chaumière dont vous seriez la ménagère active et laborieuse?

– Vous vous moquez de moi! Est-ce que c’est possible?

– Qui sait? Le hasard! D’ailleurs c’est toujours un château en Espagne.

– Ah! comme ça, à la bonne heure.

– Dites donc, la Louve, il me semble déjà vous voir établie dans votre maisonnette, en pleine forêt, avec votre mari et deux ou trois enfants. Des enfants! quel bonheur, n’est-ce pas!

– Des enfants de mon homme? s’écria la Louve avec une passion farouche; oh! oui, ils seraient fièrement aimés, ceux-là!

– Comme ils vous tiendraient compagnie dans votre solitude! Puis, quand ils seraient un peu grands, ils commenceraient à vous rendre bien des services; les plus petits ramasseraient des branches mortes pour votre chauffage; le plus grand irait dans les herbes de la forêt faire pâturer une vache ou deux qu’on vous donnerait pour récompenser votre mari de son activité; car ayant été braconnier, il n’en serait que meilleur garde-chasse.

– Au fait… c’est vrai. Tiens, c’est amusant, ces châteaux en Espagne. Dites-m’en donc encore, la Goualeuse!

– On serait très-content de votre mari… vous auriez de son maître quelques douceurs… une basse-cour, un jardin; mais, dame! aussi, il vous faudrait courageusement travailler, la Louve! et cela du matin au soir.

– Oh! si ce n’était que ça, une fois auprès de mon homme, l’ouvrage ne me ferait pas peur, à moi… j’ai de bons bras…

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