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Un ministère public signalant les nobles actions, les dénonçant à la reconnaissance de tous, comme on dénonce aujourd’hui les crimes à la vindicte des lois.

Voici deux exemples, deux justices: que l’on dise quelle est la plus féconde en enseignements, en conséquences, en résultats positifs:

Un homme a tué un autre homme pour le voler:

Au point du jour on dresse sournoisement la guillotine dans un coin reculé de Paris, et on coupe le cou de l’assassin, devant la lie de la populace, qui rit du juge, du patient et du bourreau.

Voilà le dernier mot de la société.

Voilà le plus grand crime que l’on puisse commettre contre elle, voilà le plus grand châtiment… voilà l’enseignement le plus terrible, le plus salutaire qu’elle puisse donner au peuple…

Le seul… car rien ne sert de contrepoids à ce billot dégouttant de sang.

Non… la société n’a aucun spectacle doux et bienfaisant à opposer à ce spectacle funèbre.

Continuons notre utopie…

N’en serait-il pas autrement si presque chaque jour le peuple avait sous les yeux l’exemple de quelques grandes vertus hautement glorifiées et matériellement rémunérées par l’État?

Ne serait-il pas sans cesse encouragé au bien, s’il voyait souvent un tribunal auguste, imposant, vénéré, évoquer devant lui, aux yeux d’une foule immense, un pauvre et honnête artisan, dont on raconterait la longue vie probe, intelligente et laborieuse, et auquel on dirait:

– Pendant vingt ans vous avez plus qu’aucun autre travaillé, souffert, courageusement lutté contre l’infortune; votre famille a été élevée par vous dans des principes de droiture et d’honneur… vos vertus supérieures vous ont hautement distingué: soyez glorifié et récompensé. Vigilante, juste et toute-puissante, la société ne laisse jamais dans l’oubli ni le mal ni le bien… À chacun elle paye selon ses œuvres… l’État vous assure une pension suffisante à vos besoins. Environné de la considération publique, vous terminerez dans le repos et dans l’aisance une vie qui doit servir d’enseignement à tous… et ainsi sont et seront toujours exaltés ceux qui, comme vous, auront justifié, perdant beaucoup d’années, d’une admirable persévérance dans le bien… et fait preuve de rares et grandes qualités morales… Votre exemple encouragera le plus grand nombre à vous imiter… l’espérance allégera le pénible fardeau que le sort leur impose durant une longue carrière. Animés d’une salutaire émulation, ils lutteront d’énergie dans l’accomplissement des devoirs les plus difficiles, afin d’être un jour distingués entre tous et rémunérés comme vous…

Nous le demandons: lequel de ces deux spectacles, du meurtrier égorgé, du grand homme de bien récompensé, réagira sur le peuple d’une façon plus salutaire, plus féconde?

Sans doute beaucoup d’esprits délicats s’indigneront à la seule pensée de ces ignobles rémunérations matérielles accordées à ce qu’il y a au monde de plus éthéré: la vertu!

Ils trouveront contre ces tendances toutes sortes de raisons plus ou moins philosophiques, platoniques, théologiques, mais surtout économiques, telles que celles-ci:

Le bien porte en soi sa récompense…

La vertu est une chose sans prix…

La satisfaction de la conscience est la plus noble des récompenses.

Et enfin cette objection triomphante et sans réplique:

Le bonheur éternel qui attend les justes dans l’autre vie doit uniquement suffire pour les encourager au bien.

À cela nous répondrons que la société, pour intimider et punir les coupables, ne nous paraît pas exclusivement se reposer sur la vengeance divine qui les atteindra certainement dans l’autre vie.

La société prélude au jugement dernier par des jugements humains…

En attendant l’heure inexorable des archanges aux armures d’hyacinthe, aux trompettes retentissantes et aux glaives de flamme, elle se contente modestement… de gendarmes.

Nous le répétons:

Pour terrifier les méchants, on matérialise, ou plutôt on réduit à des proportions humaines, perceptibles, visibles, les effets anticipés du courroux céleste…

Pourquoi n’en serait-il pas de même des effets de la rémunération divine à l’égard des gens de bien?

Mais oublions ces utopies, folles, absurdes, stupides, impraticables, comme de véritables utopies qu’elles sont.

La société est si bien comme elle est! Interrogez plutôt tous ceux qui, la jambe avinée, l’œil incertain, le rire bruyant, sortent d’un joyeux banquet!

X La protectrice

L’inspectrice entra bientôt avec la Goualeuse dans le petit salon où se trouvait Clémence; la pâleur de la jeune fille s’était légèrement colorée ensuite de son entretien avec la Louve.

– Mme la marquise, touchée des excellents renseignements que je lui ai donnés sur vous, dit Mme Armand à Fleur-de-Marie, désire vous voir, et daignera peut-être vous faire sortir d’ici avant l’expiration de votre peine.

– Je vous remercie, madame, répondit timidement Fleur-de-Marie à Mme Armand, qui la laissa seule avec la marquise.

Celle-ci, frappée de l’expression candide des traits de sa protégée, de son maintien rempli de grâce et de modestie, ne put s’empêcher de se souvenir que la Goualeuse avait, en dormant, prononcé le nom de Rodolphe, et que l’inspectrice croyait la pauvre prisonnière en proie à un amour profond et caché.

Quoique parfaitement convaincue qu’il ne pouvait être question du grand-duc Rodolphe, Clémence reconnaissait que du moins, quant à la beauté, la Goualeuse était digne de l’amour d’un prince…

À l’aspect de sa protectrice, dont la physionomie, nous l’avons dit, respirait une bonté charmante, Fleur-de-Marie se sentit sympathiquement attirée vers elle.

– Mon enfant, lui dit Clémence, en louant beaucoup la douceur de votre caractère et la sagesse exemplaire de votre conduite, Mme Armand se plaint de votre peu de confiance envers elle.

Fleur-de-Marie baissa la tête sans répondre.

– Les habits de paysanne dont vous étiez vêtue lorsqu’on vous a arrêtée, votre silence au sujet de l’endroit où vous demeuriez avant d’être amenée ici, prouvent que vous nous cachez certaines circonstances.

– Madame…

– Je n’ai aucun droit à votre confiance, ma pauvre enfant, je ne voudrais pas vous faire de question importune; seulement on m’assure que si je demandais votre sortie de prison, cette grâce pourrait m’être accordée. Avant d’agir, je désirerais causer avec vous de vos projets, de vos ressources pour l’avenir. Une fois libérée… que ferez-vous? Si, comme je n’en doute pas, vous êtes décidée à suivre la bonne voie où vous êtes entrée, ayez confiance en moi, je vous mettrai à même de gagner honorablement votre vie…

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