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– Je vous assure que je me souviendrai toujours de votre amitié… Mont-Saint-Jean.

– Mon Dieu, mon Dieu!… Et dire que je vous aimais déjà tant… Quand j’étais là assise par terre, à vos pieds… il me semblait que j’étais sauvée… que je n’avais plus rien à craindre. Ce n’est pas pour les coups que les autres vont peut-être recommencer à me donner que je dis cela… j’ai la vie dure… Mais enfin il me semblait que vous étiez ma bonne chance et que vous porteriez bonheur à mon enfant, rien que parce que vous aviez eu pitié de moi… C’est vrai, allez, ça; quand on est habitué à être maltraité, on est plus sensible que d’autres à la bonté. Puis, s’interrompant pour éclater encore en sanglots, elle s’écria: Allons, c’est fini… c’est fini… Au fait… ça devait arriver un jour ou l’autre… mon tort est de n’y avoir jamais pensé… C’est fini… plus rien… plus rien…

– Allons, courage, je me souviendrai de vous, comme vous vous souviendrez de moi.

– Oh! pour ça on me couperait en morceaux plutôt que de me faire vous renier ou vous oublier: je deviendrais vieille, vieille, comme les rues, que j’aurais toujours devant les yeux votre belle figure d’ange. Le premier mot que j’apprendrai à mon enfant, ça sera votre nom, la Goualeuse, car il vous aura dû de n’être pas mort de froid…

– Écoutez-moi, Mont-Saint-Jean, dit Fleur-de-Marie, touchée de l’affection de cette misérable, je ne puis rien vous promettre pour vous… quoique je connaisse des personnes bien charitables; mais pour votre enfant… c’est différent… il est innocent de tout, lui, et les personnes dont je vous parle voudront peut-être bien se charger de le faire élever quand vous pourrez vous en séparer…

– M’en séparer… jamais, oh! jamais, s’écria Mont-Saint-Jean avec exaltation: qu’est-ce que je deviendrais donc maintenant que j’ai compté sur lui…

– Mais… comment l’élèverez-vous? Fille ou garçon, il faut qu’il soit honnête, et pour cela…

– Il faut qu’il mange un pain honnête, n’est-ce pas, la Goualeuse? Je crois bien, c’est mon ambition; je me le dis tous les jours; aussi, en sortant d’ici, je ne remettrai pas le pied sous un pont… Je me ferai chiffonnière, balayeuse des rues, mais honnête; on doit ça, sinon à soi, du moins à son enfant, quand on a l’honneur d’en avoir un…, dit-elle avec une sorte de fierté.

– Et qui gardera votre enfant pendant que vous travaillerez? reprit la Goualeuse; ne vaudrait-il pas mieux, si cela est possible, comme je l’espère, le placer à la campagne chez de braves gens qui en feraient une brave fille de ferme ou un bon cultivateur? Vous viendriez de temps en temps le voir, et un jour vous trouveriez peut-être moyen de vous en rapprocher tout à fait; à la campagne on vit de si peu!

– Mais m’en séparer, m’en séparer! Je mettais toute ma joie en lui, moi qui n’ai rien qui m’aime.

– Il faut songer plus à lui qu’à vous, ma pauvre Mont-Saint-Jean; dans deux ou trois jours j’écrirai à Mme Armand, et, si la demande que je compte faire en faveur de votre enfant réussit, vous n’aurez plus à dire de lui ce qui tout à l’heure m’a tant navrée: «Hélas! mon Dieu, que deviendra-t-il?»

L’inspectrice, Mme Armand, interrompit cet entretien; elle venait chercher Fleur-de-Marie. Après avoir de nouveau éclaté en sanglots et baigné de larmes désespérées les mains de la jeune fille, Mont-Saint-Jean retomba sur le banc dans un accablement stupide, ne songeant pas même à la promesse que Fleur-de-Marie venait de lui faire à propos de son enfant.

– Pauvre créature! dit Mme Armand en sortant du préau suivie de Fleur-de-Marie. Sa reconnaissance envers vous me donne meilleure opinion d’elle.

En apprenant que la Goualeuse était graciée, les autres détenues, loin de se montrer jalouses de cette faveur, en témoignèrent leur joie; quelques-unes entourèrent Fleur-de-Marie et lui firent des adieux pleins de cordialité, la félicitèrent franchement de sa prompte sortie de prison.

– C’est égal, dit l’une d’elles; cette petite blonde nous a fait passer un bon moment… c’est quand nous avons boursillé pour la layette de Mont-Saint-Jean. On se souviendra de cela à Saint-Lazare.

Lorsque Fleur-de-Marie eut quitté le bâtiment des prisons sous la conduite de l’inspectrice, celle-ci lui dit:

– Maintenant, mon enfant, rendez-vous au vestiaire où vous déposerez vos vêtements de détenue pour reprendre vos habits de paysanne, qui, par leur simplicité rustique, vous seyaient si bien; adieu, vous allez être heureuse, car vous allez vous trouver sous la protection de personnes recommandables, et vous quittez cette maison pour n’y jamais rentrer. Mais… tenez… je ne suis guère raisonnable, dit Mme Armand, dont les yeux se mouillèrent de larmes; il m’est impossible de vous cacher combien je m’étais déjà attachée à vous, pauvre petite! Puis, voyant le regard de Fleur-de-Marie devenir humide aussi, l’inspectrice ajouta: Vous ne m’en voudrez pas, je l’espère, d’attrister ainsi votre départ?

– Ah! madame… n’est-ce pas grâce à votre recommandation que cette jeune dame, à qui je dois ma liberté, s’est intéressée à mon sort?

– Oui, et je suis heureuse de ce que j’ai fait; mes pressentiments ne m’avaient pas trompée.

À ce moment une cloche sonna.

– Voici l’heure du travail des ateliers, il faut que je rentre… Adieu, encore adieu, ma chère enfant!…

Et Mme Armand, aussi émue que Fleur-de-Marie, l’embrassa tendrement; puis elle dit à un des employés de la maison:

– Conduisez mademoiselle au vestiaire.

Un quart d’heure après, Fleur-de-Marie, vêtue en paysanne ainsi que nous l’avons vue à la ferme de Bouqueval, entrait dans le greffe, où l’attendait Mme Séraphin.

La femme de charge du notaire Jacques Ferrand venait chercher cette malheureuse enfant pour la conduire à l’île du Ravageur.

XI Souvenirs

Jacques Ferrand avait facilement et promptement obtenu la liberté de Fleur-de-Marie, liberté qui dépendait d’une simple décision administrative.

Instruit par la Chouette du séjour de la Goualeuse à Saint-Lazare, il s’était aussitôt adressé à l’un de ses clients, homme honorable et influent, lui disant qu’une jeune fille, d’abord égarée mais sincèrement repentante et récemment enfermée à Saint-Lazare, risquait, par le contact des autres prisonnières, de voir s’affaiblir peut-être ses bonnes résolutions. Cette jeune fille lui ayant été vivement recommandée par des personnes respectables qui devaient se charger d’elle à sa sortie de prison, avait ajouté Jacques Ferrand, il priait son tout-puissant client, au nom de la morale, de la religion et de la réhabilitation future de cette infortunée, de solliciter sa libération.

Enfin le notaire, pour se mettre à l’abri de toute recherche ultérieure, avait surtout et instamment prié son client de ne pas le nommer dans l’accomplissement de cette bonne œuvre; ce vœu, attribué à la modestie philanthropique de Jacques Ferrand, homme aussi pieux que respectable, fut scrupuleusement observé: la liberté de Fleur-de-Marie fut demandée et obtenue au seul nom du client qui, pour comble d’obligeance, envoya directement à Jacques Ferrand l’ordre de sortie, afin qu’il pût l’adresser aux protecteurs de la jeune fille.

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