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– Je ne sais pas… mais j’ai peur…

– Tu es allé là cent fois, et encore hier soir?

– Je ne veux plus y aller maintenant…

– Voilà ma mère qui se lève!…

– Tant pis! s’écria l’enfant, qu’elle me batte, qu’elle me tue, elle ne me fera pas aller dans le bûcher… la nuit… surtout…

– Mais, encore une fois, pourquoi? reprit Calebasse.

– Eh bien! parce que…

– Parce que?

– Parce qu’il y a quelqu’un…

– Il y a quelqu’un?

– D’enterré là…, murmura François en frissonnant.

La veuve du supplicié, malgré son impassibilité, ne put réprimer un brusque tressaillement; sa fille l’imita; on eût dit ces deux femmes frappées d’une même secousse électrique.

– Il y a quelqu’un d’enterré dans le bûcher? reprit Calebasse en haussant les épaules.

– Oui, dit François d’une voix si basse qu’on l’entendit à peine.

– Menteur!… s’écria Calebasse.

– Je te dis, moi, que tantôt, en rangeant du bois, j’ai vu dans le coin noir du bûcher un os de mort… il sortait un peu de la terre qui était humide à l’entour…, répliqua François.

– L’entends-tu, ma mère? Est-il bête! dit Calebasse en faisant un signe d’intelligence à la veuve, ce sont des os de mouton que je mets là pour la lessive.

– Ce n’était pas un os de mouton, reprit l’enfant avec épouvante, c’étaient des os enterrés… des os de mort… un pied qui sortait de terre… je l’ai bien vu.

– Et tu as tout de suite raconté cette belle trouvaille-là… à ton frère… à ton bon ami Martial, n’est-ce pas? dit Calebasse avec une ironie sauvage.

François ne répondit pas.

– Méchant petit raille ! s’écria Calebasse furieuse, parce qu’il est poltron comme une vache, il serait capable de nous faire faucher comme on a fauché notre père!

– Puisque tu m’appelles raille, s’écria François exaspéré, je dirai tout à mon frère Martial. Je ne lui avais pas dit encore, car je ne l’ai pas vu depuis tantôt… Mais quand il reviendra ce soir… je…

L’enfant n’osa pas achever. Sa mère s’avançait vers lui, calme, mais inexorable.

Quoiqu’elle se tînt habituellement un peu courbée, sa taille était très-haute pour une femme; tenant sa baguette d’une main, de l’autre la veuve prit son fils par le bras et, malgré la terreur, la résistance, les prières, les pleurs de l’enfant, l’entraînant après elle, elle le força de monter l’escalier du fond de la cuisine.

Au bout d’un instant, on entendit au-dessus du plafond des trépignements sourds, mêlés de cris et de sanglots.

Quelques minutes après ce bruit cessa.

Une porte se referma violemment.

Et la veuve du supplicié redescendit.

Puis, toujours impassible, elle remit la baguette de saule à sa place, se rassit auprès du foyer et reprit son travail de couture sans prononcer une parole.

Fin de la cinquième partie

SIXIÈME PARTIE

I Le pirate d’eau douce

Après quelques moments de silence, la veuve du supplicié dit à sa fille:

– Va chercher du bois; cette nuit, nous rangerons le bûcher… au retour de Nicolas et de Martial.

– De Martial? Vous voulez donc lui dire aussi que…

– Du bois, reprit la veuve en interrompant brusquement sa fille. Celle-ci, habituée à subir cette volonté de fer, alluma une lanterne et sortit.

Au moment où elle ouvrit la porte, on vit au-dehors la nuit noire, on entendit le craquement des hauts peupliers agités par le vent, le cliquetis des chaînes de bateaux, les sifflements de la bise, le mugissement de la rivière.

Ces bruits étaient profondément tristes.

Pendant la scène précédente, Amandine, péniblement émue du sort de François, qu’elle aimait tendrement, n’avait osé ni lever les yeux, ni essuyer ses pleurs, qui tombaient goutte à goutte sur ses genoux. Ses sanglots contenus la suffoquaient, elle tâchait de réprimer jusqu’aux battements de son cœur palpitant de crainte.

Les larmes obscurcissaient sa vue. En se hâtant de démarquer la chemise qu’on lui avait donnée, elle s’était blessée à la main avec ses ciseaux; la piqûre saignait beaucoup, mais la pauvre enfant songeait moins à sa douleur qu’à la punition qui l’attendait pour avoir taché de son sang cette pièce de linge. Heureusement, la veuve, absorbée dans une réflexion profonde, ne s’aperçut de rien.

Calebasse rentra portant un panier rempli de bois. Au regard de sa mère, elle répondit par un signe de tête affirmatif.

Cela voulait dire qu’en effet le pied du mort sortait de terre…

La veuve pinça ses lèvres et continua de travailler, seulement elle parut manier plus précipitamment son aiguille.

Calebasse ranima le feu, surveilla l’ébullition de la marmite qui cuisait au coin du foyer, puis se rassit auprès de sa mère.

– Nicolas n’arrive pas! lui dit-elle. Pourvu que la vieille femme de ce matin, en lui donnant un rendez-vous avec un bourgeois de la part de Bradamanti, ne l’ait pas mis dans une mauvaise affaire… Elle avait l’air si en dessous! Elle n’a voulu ni s’expliquer, ni dire son nom, ni d’où elle venait.

La veuve haussa les épaules.

– Vous croyez qu’il n’y a pas de danger pour Nicolas, ma mère? Après tout, vous avez peut-être raison… La vieille lui demandait de se trouver à sept heures du soir quai de Billy, en face la gare, et là d’attendre un homme qui voulait lui parler et qui lui dirait Bradamanti pour mot de passe. Au fait, ça n’est pas bien périlleux. Si Nicolas s’attarde, c’est qu’il aura peut-être trouvé quelque chose en route, comme avant-hier ce linge-là, qu’il a grinchi sur un bateau de blanchisseuse. Et elle montra une des pièces que démarquait Amandine; puis, s’adressant à l’enfant: Qu’est-ce que ça veut dire, grinchir?

– Ça veut dire… prendre…, répondit l’enfant sans lever les yeux.

– Ça veut dire voler, petite sotte; entends-tu?… Voler…

– Oui, ma sœur…

– Et quand on sait bien grinchir comme Nicolas, il y a toujours quelque chose à gagner… Le linge qu’il a volé hier nous a remontés et ne nous coûtera que la façon du démarquage, n’est-ce pas… ma mère? ajouta Calebasse avec un éclat de rire qui laissa voir des dents déchaussées et jaunes comme son teint.

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